L’arrivée du Covid il y a cinq ans a mis sous tension le système de santé, mais aussi l’ensemble de la société, révélant nos vulnérabilités. Alors que l’émergence d’une nouvelle pandémie ne semble être qu’une question de temps, serons-nous mieux préparés pour l’affronter ?
Cinq ans après l’émergence du Covid, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, s'est demandé si nous étions mieux préparés à une future pandémie. « La réponse est oui et non », a-t-il lâché lors d’une conférence de presse en décembre. « Le monde a retenu de nombreuses et douloureuses leçons et pris des mesures importantes (mais) si la prochaine pandémie survenait aujourd'hui, le monde serait toujours confronté aux mêmes faiblesses et vulnérabilités qui ont permis au Covid de s'implanter et se répandre », a-t-il expliqué.
Malgré une prise de conscience de nombreux États et « une victoire de la science » face à un nouveau pathogène, selon le Pr Didier Houssin, qui a présidé le comité d’urgence Covid de l’OMS, les négociations engagées en décembre 2021 à la suite des dysfonctionnements de la riposte mondiale au Covid n’ont toujours pas abouti. La conclusion d’un accord mondial sur la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies, bute toujours sur les conditions d’une surveillance accrue des agents pathogènes émergents et d’un partage équitable des informations et produits qui en découlent (vaccins, tests…). Et le retrait des discussions des États-Unis en janvier n’arrange rien à l’affaire.
Ce revers résonne comme un avertissement, alors que les « conditions générales » (changement climatique, déforestation, mondialisation…) sont « propices » à une nouvelle pandémie, a rappelé l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, lors d’un débat des Contrepoints de la santé en janvier. En France, où le Covid a mis « le système de santé à genoux », poursuit celui qui fut membre du Conseil scientifique lors de la pandémie, la crise sanitaire a impulsé certaines évolutions. Mais « toutes les leçons n’ont pas encore été tirées », déplore le Pr Jean-François Delfraissy, qui a présidé le Conseil scientifique. Et ce malgré les commissions d’enquête parlementaires, le rapport du Dr Didier Pittet ou l’enquête de la Cour de justice de la République.
Des acquis en France et en Europe
S’il juge « présomptueux » de penser que le pays est complètement prêt à affronter une future pandémie, le directeur général de la santé (DGS), le Dr Grégory Emery, énonce malgré tout quelques-uns des « apprentissages » post-crise. « Beaucoup de capacités ont été renforcées », a-t-il rappelé. « Le niveau de préparation a augmenté » comme l’a révélé l’organisation des Jeux olympiques, ajoute-t-il.
Depuis mars 2024, la France dispose d’un centre des crises sanitaires qui intègre le centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss). Les stocks stratégiques, gérés par Santé publique France (SPF) sous la houlette de la DGS, ont été restaurés, avec notamment 1,4 milliard de masques conservés sur l’ensemble du territoire. Le système d’information de dépistage populationnel (SI-Dep), mis en place en avril 2020 et arrêté en juin 2024, est en cours de basculement vers un dispositif pérenne, LABOé-SI.
La crise a aussi impulsé la création d’un système de surveillance des eaux usées pour la détection des signaux faibles d’une circulation virale. Un « véritable acquis du Covid », selon le directeur général délégué Recherche et Référence de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Gilles Salvat. D’abord porté par des chercheurs sous le nom d’Obépine, ce réseau désormais baptisé Sum’Eau est géré par SPF depuis 2022.
L’ANRS-MIE a été créée en 2021 en réponse à un manque de coordination dans la recherche lors de la pandémie
De la crise est aussi né le réseau de séquençage Emergen, un « outil puissant qui a permis de suivre les variants et les chaînes de contamination », rappelle Gilles Salvat. Le dispositif consolidé Emergen 2.0 est lancé en mars sous l’égide de SPF, de l’Anses et de l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE). Cette dernière agence sanitaire, créée en 2021, est d’ailleurs aussi un héritage de la pandémie, en réponse à un manque de coordination initial dans le financement des recherches.
Au niveau européen également, après un début de crise en ordre dispersé, « l’UE a montré qu’elle est capable de s’organiser », relève le Pr Houssin. Les Européens ont acquis ensemble des vaccins, créé Hera, l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire et mené une réflexion sur un dispositif commun de gestion de crise, le « health crisis board ». « Des leçons ont été apprises » et des « priorités sont désormais partagées », ajoute Hervé Raoul, directeur adjoint de l’ANRS-MIE, se référant à un effort commun de recherche (lire page 12). Mais la nécessité d’investir dans une recherche fondamentale est encore « difficile à faire comprendre aux politiques », modère le Pr Delfraissy.
Autre acquis de la crise, la notion de santé globale, prenant en compte les interdépendances entre santé humaine, animale et des écosystèmes (« One Health » ou « Une seule santé »), est désormais « dans la tête de tous les spécialistes » et des « politiques raisonnables », observe le Pr Delfraissy. Le risque zoonotique est devenu un « domaine prioritaire de recherche », financé par des fonds européens et internationaux, à l’instar du programme Prezode (preventing zoonotic disease emergence). Et, face au risque H5N1, « des protocoles sont en place entre SPF, l’Anses et les agences régionales de santé (ARS) », témoigne le Pr Benoît Vallet, directeur de l’Anses. Mais, installer la logique « une seule santé » reste « un défi à relever », nuance-t-il. Certaines initiatives restent « trop cloisonnées », appuie Gilles Salvat, appelant à capitaliser sur l’investissement des laboratoires vétérinaires pendant les crises zoonotiques.
Les acteurs du soin et de la prévention ont su s’organiser de manière rapide et exemplaire
Pr Benoît Vallet, ancien DGS, directeur général de l’Anses
Une expérience à capitaliser
D’autres mobilisations auraient mérité une analyse post-crise, à commencer par celle des professionnels de santé. « Les acteurs du soin et de la prévention ont su s’organiser de manière rapide et exemplaire. Cela méritait un retour d’expériences (Retex) », estime le Pr Vallet. Celui qui fut à la tête de l’ARS Hauts-de-France lors du déploiement de la campagne vaccinale plaide pour poursuivre la réflexion menée alors sur l’adéquation entre offre de soins et besoin de santé de la population. Pour l’ouverture de lits de soins critiques ou la répartition des doses de vaccins, « nous sommes partis d’une observation fine des besoins à couvrir », rappelle-t-il, invitant à généraliser cette approche et à amplifier les actions de prévention.
Tous les talents sont nécessaires pour gérer une crise sanitaire, mais il faut un pilote à l’échelon interministériel
Gilles Salvat, directeur général délégué de l’Anses
Président du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), le Pr Didier Lepelletier souligne l’intérêt des Retex dans l’anticipation des futures crises. Saisi plus de 160 fois par le ministère de la Santé et la DGS sur de nombreux sujets – de l’utilisation des masques aux jauges dans les établissements recevant du public –, le HCSP a été « une plume de l’ombre », décrit-il, insistant sur l’« extraordinaire » engagement des experts. Selon lui, « en période de crise sanitaire, la mobilisation et la coordination des expertises scientifiques nationales, européennes et internationales représentent un véritable challenge pour leur traduction en politiques publiques intersectorielles pragmatiques, efficaces et évaluables ».
La réactivité s’est révélée une clé de la gestion de crise. Le Pr Arnaud Fontanet, qui a dirigé une étude comparative sur les réponses de différents pays au Covid, rappelle que « ceux qui ont réagi tôt s’en sont le mieux sortis », en termes de mortalité mais aussi économiquement. « Tous les talents sont nécessaires pour gérer une crise sanitaire, mais il faut un pilote à l’échelon interministériel », juge Gilles Salvat.
L’adhésion de la population aux mesures est un autre élément déterminant de la riposte. Alors que les communications gouvernementales parfois changeantes ont érodé la confiance, le Pr Vallet invite à « un discours de vérité n’occultant pas les doutes et les incertitudes » : « rassurer et être contredit plus tard génère de la défiance », observe-t-il. Les experts aussi doivent s’interroger sur leurs prises de parole. La présence sur les plateaux télé de nombreux médecins aux discours parfois contradictoires, a sans doute produit une « cacophonie » et une « compréhension biaisée » des enjeux, analyse le Pr Lepelletier. Mais le risque principal, pour le Pr Houssin, « serait d’oublier les leçons apprises ».
Mieux anticiper les pandémies avec l’IA
L’intégration de l’IA aux systèmes d’intervention nationaux dans les cinq prochaines années permettrait de prédire le lieu de déclenchement et la trajectoire des épidémies. C’est ce qu’avancent dans un article de perspective de Nature des chercheurs internationaux. Ce groupe mené par des scientifiques de l’université d’Oxford, de l’université de Copenhague et de l’Institut Pasteur en collaboration avec des confrères des cinq continents appelle à une meilleure collaboration entre les sphères académique, gouvernementale et industrielle « afin de garantir une utilisation sûre, responsable et éthique de l’IA », indique un communiqué de l’Institut Pasteur. « L’IA pourrait révolutionner la préparation aux pandémies », estime Moritz Kraemer, de l’université d’Oxford et premier auteur, sous réserve de ne pas s’en servir seule, les progrès de l’IA n’ayant pas les mêmes incidences sur tous les aspects de la préparation. Un feedback humain intégré aux flux de travail de la modélisation pourrait contribuer à surmonter les limites existantes.
M. Kraemer et l., Nature, 20 février 2025.