LE QUOTIDIEN : La FHF réclame un rattrapage de 1,3 milliard d’euros pour les seuls Ehpad publics. Partagez-vous ce constat d’un secteur exsangue ?
JÉRÔME GUEDJ : Le constat du déficit des Ehpad, c’est celui qu’on entend sur le terrain, révélateur de la fragilité du modèle économique de l’ensemble de ces établissements qui ont très peu de latitude sur l’augmentation de leurs tarifs. Ce qui est intrinsèque à leur modèle, c’est qu’ils sont à la fois sur une injonction de qualité de l’accompagnement des personnes âgées et sur une insuffisance systémique des dotations publiques pour assurer leurs missions. Ce modèle est à bout de souffle et doit être repensé de fond en comble, et pas seulement soutenu à coups de subventions exceptionnelles ou de sauvetages ponctuels.
Une des raisons de ces difficultés financières est le taux d’occupation en Ehpad, qui a dégringolé…Comment l’expliquez-vous ?
La baisse du taux d’occupation des chambres est liée à deux phénomènes, la difficulté d’accompagnement des Ehpad et la question du coût pour les familles, avec une hausse du reste à charge qui devient un repoussoir. Le secteur subit aussi l’effet réputationnel dû à l’affaire Orpea. C’est un cercle vicieux de l’attractivité, aussi bien pour les professionnels que pour les familles.
Un décret de juillet contraint les Ehpad qui accueillent plus de 200 résidents à recruter plus d’un médecin coordonnateur. Est-ce une bonne idée ?
Le nombre d’Ehpad sans médecin coordonnateur est important. Il y a un besoin majeur de renforcer la présence médicale et de coordination dans les Ehpad, mais aussi en infirmiers et en kinés coordonnateurs. Mais, là encore, nous sommes dans des injonctions contradictoires puisque les moyens ne sont pas à la hauteur. Car ce n’est pas le résident qui paie tous ces postes, mais la Sécurité sociale et le conseil départemental.
Comment redonner de l’attractivité au métier de soignant dans le secteur médico-social ?
Je plaide pour que l’Ehpad devienne un centre de ressource territorial, une véritable plateforme en lien avec les services à domicile, qui permette de la variété, y compris en termes de trajectoire de carrière pour des professionnels qui travaillent parfois en établissement, parfois à domicile.
Il faut sortir du cloisonnement historique des Ehpad. 75 % des plus de 75 ans vivent à moins de cinq kilomètres d’un Ehpad. La loi de financement de la Sécurité sociale 2022 avait créé les centres de ressource territoriaux. Cela veut dire que l’Ehpad ne s’occupera plus uniquement des résidents mais aussi des personnes fragiles qui vivent à proximité. Toutes ces ressources (restauration, téléconsultation, consultation mémoire) pourraient bénéficier à ces personnes et redonner de l’attractivité aux métiers soignants.
La fusion des sections soins et dépendance doit être expérimentée dans 23 départements volontaires en 2025. Y êtes-vous favorable ?
Je défends depuis de nombreuses années ce changement de dispositif de fixation des tarifs, source de confusion entre le département et l’ARS, afin de sortir du modèle de tarification actuel. Mais la réflexion sur le modèle économique doit porter aussi sur le reste à charge et le renforcement des moyens pour médicaliser les Ehpad.
La loi de programmation sur le grand âge, promise par le précédent gouvernement, pourra-t-elle tout résoudre ?
Le prochain gouvernement aura l’obligation légale, incluse dans la loi du 8 avril 2024 sur le « bien vieillir », de présenter une loi de programmation sur le grand âge avant le 31 décembre 2024 ! Ce texte pose la question des objectifs, des moyens et du financement pour notamment améliorer les ratios de personnel.
N’attendons pas tout du gouvernement. Le dernier a beaucoup procrastiné sur ce sujet. Je demande à l’ensemble des parlementaires de prendre l’initiative d’élaborer de manière transpartisane cette loi de programmation sur le grand âge. Le gouvernement aura ensuite à reprendre ces propositions issues des parlementaires. À ma connaissance, rien n’a été fait…
Qu’attendez-vous du prochain ministre en charge des personnes âgées ?
Il faut en finir avec la procrastination gouvernementale. J’avais applaudi quand Emmanuel Macron avait promis en 2018, pour 2019, une loi de programmation grand âge, période qui a été suivie d’un travail énorme de réflexion et de rapports. Certes, nous avons bien créé la cinquième branche de la Sécurité sociale [sur l’autonomie], mais les moyens ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux.
Et je constate que Fadila Khattabi [ministre chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées, NDLR] n’a pas mis en œuvre l’engagement de préparer cette loi grand âge, contrairement aux engagements d’Élisabeth Borne et d’Aurore Bergé, ni a fortiori déposé ce projet de loi qui aurait dû être sur la table depuis la fin du mois de juillet…
Faut-il aussi relancer le projet de loi sur la fin de vie ?
La dissolution a suspendu le travail parlementaire sur la fin de vie et repoussé aux calendes grecques le travail sur le grand âge. Moi, je plaide pour les deux.
Souhaiteriez-vous devenir ministre de la Santé dans le gouvernement Barnier ?
Je ne fais pas acte de candidature auprès de Michel Barnier. Je souhaite que les missions de santé qui sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens soient mieux portées, tout en haut de l’agenda politique. J’entends dire que le régalien est plus important, mais les politiques sociales et de santé en font partie intégrante. Je souhaite donc y contribuer quand nous serons en capacité de le faire à gauche.
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