« Je salue ce travail transpartisan important. C'est un honneur pour le Sénat d'avoir trouvé un texte aussi important », s'est félicité le Dr Alain Milon, sénateur LR du Vaucluse et président de la commission des Affaires sociales de la Haute Assemblée. Dans la nuit du lundi à mardi, les sénateurs ont adopté à une large majorité (311 voix contre 16), contre l'avis du gouvernement, trois amendements identiques au projet de loi de santé qui, s'ils restent en l'état, pourraient considérablement bouleverser la dernière année d'études de médecine générale.
Ces amendements (LR, PS et Les Indépendants - République et Territoires) visent à transformer la dernière année du troisième cycle des études de médecine générale en une année de pratique « ambulatoire en autonomie », réalisée en cabinet ou en maison de santé, en priorité dans les zones sous-denses. « La dernière année du DES de médecine deviendrait ainsi une année professionnalisante hors hôpital, dans les territoires », insistent les sénateurs. Dans les faits, il s'agit de généraliser pour les internes de médecine générale le dispositif de médecin adjoint (même si ce statut devra encore être précisé) à toutes les zones sous-denses, qu'il est pour l'instant possible de déclencher uniquement en cas de pic d'activité (épidémies, afflux touristique, etc.) ou à titre expérimental.
La formation d'autres spécialités pauvres en médecins (ophtalmologie, pédiatrie) pourrait, dans un second temps, évoluer en ce sens par décret.
Pari ambitieux
À l’origine de l'un des amendements adoptés, Corinne Imbert, pharmacienne et sénatrice LR de la Charente-Maritime, a estimé que ce dispositif est « un pari ambitieux pour inciter et accompagner les professionnels dans les territoires à travers une plus grande professionnalisation ». « Cela permettrait aux 3 500 étudiants de dernière année de 3e année d’exercer tout en favorisant la construction de leur projet professionnel, hors de l'hôpital. »
Soutenant un autre amendement identique, Yves Daudigny, sénateur socialiste de l'Aisne, a martelé : « Cet amendement ne réglera pas tous les problèmes mais il apporte une réponse rapide et efficace aux problématiques des déserts médicaux en familiarisant les professionnels de santé à la pratique en zone sous-dense. » Pour l'élu, cette mesure permettra « de déployer plusieurs milliers de professionnels de santé sur l'ensemble du territoire très rapidement répondant ainsi aux besoins des populations en matière d'accès aux soins ».
Ces explications de vote des sénateurs n'ont pas convaincu Agnès Buzyn, ministre de la Santé, et Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, qui ont donné un avis défavorable. Selon la locataire de Ségur, ce principe d'autonomie éloignerait la troisième année du processus de formation initialement prévu pour rapprocher du « modèle de quasi-exercice ». « Or il est impératif que cette dernière année continue de faire partie de la formation des médecins et constitue l'ultime étape de la délivrance du DES », a défendu Agnès Buzyn.
« Aujourd'hui, la formation des internes est de trois ans. Certains ont l'air de dire que la troisième année n'est pas si utile que cela. Nous entendons le désarroi des territoires. Mais le message que vous souhaitez faire passer est qu'on va leur envoyer prioritairement des jeunes dont on aura réduit un an de formation. C'est une grande responsabilité », a averti Frédérique Vidal.
Dans une ambiance électrique, ces positions ministérielles ont immédiatement soulevé un tollé du côté des sénateurs. « Il faut avancer dans un sens constructif qui est celui que nous vous proposons. Si vous ne changez pas de position, vont arriver des solutions coercitives qui seront un désastre pour le système de santé », a déclaré le Dr Bernard Jomier, sénateur socialiste de Paris. « Il n'est pas dit qu'on va obliger les gens à s'installer en milieu rural. On leur propose d'être des médecins adjoints, épaulés par un maître de stage. Les médecins ne seront pas lâchés, ils seront en contact avec l'hôpital », a embrayé le sénateur de la Corrèze, le Dr Daniel Chasseing (Les Indépendants-République et Territoires).
« Mépris » pour les jeunes, sous-médecine pour la CSMF
Aussitôt ce vote connu, les trois structures représentant les jeunes étudiants et internes (ANEMF, ISNAR-IMG et ISNI) ont accusé les sénateurs de vouloir « brader la médecine générale pour répondre aux problématiques d'accès aux soins ». « Le Sénat marche sur la tête. Avec cette mesure, l’internat de médecine générale de 3 ans se voit privé d’une de ses années de formation, au mépris de tout principe pédagogique nécessaire à une prise en charge complète et optimale de la population », écrivent-ils. L'ensemble des structures somment les sénateurs à « revenir à la raison ».
Balayant tout intérêt pédagogique le @sénat vote pour obliger les internes à effectuer leur dernière année de formation en ambulatoire en autonomie COMPLÈTE :
— ANEMF (@ANEMF) 4 juin 2019
NON
Ne bradons pas la formation des médecins de demain et la santé des patients ! pic.twitter.com/J0PPfG4whf
La CSMF soutient cette opposition des jeunes. Le syndicat senior présidé par le Dr Jean-Paul Ortiz trouve ce dispositif totalement « injuste » pour les patients, qui se verraient proposer des futurs médecins « lâchés dans la nature », « sans une formation complète, gage de qualité des soins et de bonne prise en charge ». Le Sénat semble bel et bien « prêt à créer une "sous-médecine" dans les zones "sous-denses" », déplore la centrale.
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