Les jeunes ne sont pas tous rétifs à visser leur plaque dans les zones blanches. La preuve : ces sept histoires de primo-installés qui ont opté sans trop d’angoisses pour des communes situées dans des secteurs déficitaires. C’est souvent un projet ou des facteurs personnels qui ont emporté leur décision. Mais l’oiseau ne fera son nid que si l’environnement lui semble s’y prêter...
Non, ce ne sont pas des kamikazes ! Parmi les déjà peu nombreux jeunes médecins à franchir le cap de l’installation à la fin de leurs études – environ 6 000 en 2014 selon les dernières statistiques de l’Ordre toutes spécialités confondues – ces jeunes pousses de la médecine générale ont pourtant choisi des zones géographiques où l’offre de soins se réduit comme peau de chagrin. Qu’est-ce qui les a poussés à faire ce choix du désert médical au point de passer pour des médecins un peu « hors normes » ? Souvent, comme l’explique le responsable de l’organisation des soins de ville de l’Agence régionale de santé (ARS) Haute-Normandie, Luc Poulalion, « les primo-installants ont déjà fait des stages ou des remplacements dans les lieux où ils choisissent de s’installer ». Pas vraiment un hasard donc, ni une décision prise à la légère. La plupart du temps ces jeunes médecins sont, dès le départ, très motivés par l’exercice libéral. Et leurs expériences les confortent dans leur choix.
Installé depuis un an à Villeneuve-d’Ascq, petite commune située près de Lille où la moitié des généralistes sera partie à la retraite d’ici cinq ans, le Dr Sébastien Mabon a décidé de reprendre la patientèle d’un des maîtres de stage de son université. Ce canaque d’origine fait ses premiers stages sur le littoral de la côte d’Opale qui se passent « très bien ». Les gens qu’ils rencontrent terminent de le convaincre de venir s’installer dans la région. Il signe d’abord un contrat de collaborateur libéral qui lui permet « de se familiariser » avec l’installation puis saute le pas. Même si les débuts en tant qu’installé – même en groupe – restent compliqués, le généraliste ne regrette pas son choix. « Aujourd’hui, ça va mieux, j’ai réussi à fidéliser mes patients et ils ont arrêté de faire la comparaison avec mon prédécesseur », s’amuse-t-il.
Une histoire ancienne pour certains
Pour d’autres, leur installation relève « d’un ancrage sur le territoire » plus ancien. À quelques centaines de kilomètres à l’est, à la frontière de la Belgique et des Ardennes, c’est le cas du Dr Élisabeth Bastin de Quick, généraliste à Hirson dans l’Aisne. Un choix parfaitement « naturel » pour l’enfant du pays. « Je suis originaire d’ici, toute ma famille est là et mon mari est agriculteur dans la région. C’était pour moi évident de m’installer ici », explique-t-elle. À la fac, quand la future médecin présente son projet, tout le monde la regarde « avec de grands yeux écarquillés », mais « cette installation me paraissait naturelle ».
Le Dr Julie Marcus est elle aussi une « autochtone » et s’est même installée dans la commune où elle a été au lycée ! Etablie à Rumilly-en-Cambresis, dans le Nord de la France, on peut dire que cette jeune femme de 32 ans connaît donc bien la région. Elle y a aussi « enchaîné » les remplacements après l’internat avant de s’installer dans un cabinet de groupe. « Même si au début cela me paraissait confortable, j’étais frustrée de ne pas suivre les dossiers de mes patients. J’ai donc très vite décidé de sauter le pas », se souvient-elle.
Et puis, les représentants des syndicats des étudiants et internes en médecine générale le répètent à l’envie : souvent un projet professionnel intéressant peut aussi déclencher l’installation de jeunes médecins, même si l’on arrive de nulle part. Ainsi, c’est le hasard d’une « rencontre avec les bonnes personnes » qui a poussé le Dr Emmanuelle Thomas à s’installer sept ans après sa thèse et à réaliser son projet en 2012 : remédicaliser une zone urbaine sensible (ZUP) de Belfort. « Il y a eu dans ce cabinet une très bonne entente sur le plan humain et, professionnellement, je me retrouvais dans leur exercice. Sans eux, je ne me serais pas lancée », explique la Franc-comtoise de Besançon. Car le défi est important. La zone est dépeuplée de tous libéraux de santé mais la généraliste se jette à l’eau. « Ma folie, si c’est le cas, a été de m’installer comme seule généraliste mais je suis accompagnée de paramédicaux dans mon cabinet et je fais partie d’un pôle de santé constitué d’une soixantaine de professionnels de santé et d’une dizaine de médecins ».
Tout faire pour éviter d’exercer seul
Jamais sans associé ? Animé depuis toujours par la polyvalence des soins en médecine générale et encore plus en zone rurale, le Dr Nusbaum était lui aussi motivé par la volonté de convaincre d’autres confrères à venir s’installer dans un « désert ». « C’était important pour moi de leur montrer que travailler dans un milieu rural peut se faire sans être débordé et sans se retrouver dans une situation de burn-out au bout de quelques années. » Et la formule a semble-t-il marché ! Trois ans plus tard, le cabinet situé à Frangy à 30 kilomètres d’Annecy s’est agrandi : une collaboratrice arrivée le 1er janvier 2013 va devenir son associée et une troisième généraliste remplaçante va signer un contrat en tant que collaboratrice libérale. La zone déficitaire qui fait si peur a finalement fini par attirer quelques-unes. « Ce qui a marché, je pense, c’est que j’ai fixé des règles dès le départ dans le cabinet avec les patients pour ne pas se laisser déborder », poursuit le généraliste. Preuve à l’appui, l’écriteau fixé dans la salle d’attente : « Pour éviter qu’il y ait trop de travail et que les médecins s’en aillent, veuillez respecter les horaires ». En essayant d’équilibrer vie privée et vie professionnelle – les médecins ne travaillent pas à temps complet –, le Dr Nusbaum a su proposer un exercice adapté aux aspirations actuelles de la jeune génération. « C’est plutôt un mode de vie que l’argent qui est recherché ».
Se lancer dans l’aventure, sans projet bien défini, peut d’ailleurs se révéler compliqué et, dans certains cas, mener à l’échec. Le Dr Sorina Pipos en a fait les frais. Démarchée par un cabinet de recrutement pour venir s’installer à Orgères-en-Beauce, petite commune de 1 000 habitants dans l’Eure-et-Loir, la jeune généraliste, fraîchement arrivée de Roumanie, a dans un premier temps échoué, faute de patientèle suffisante. « La première fois j’étais toute seule avec un ostéopathe qui n’était pas un professionnel de santé. Je n’avais que six patients par jour », se rappelle-t-elle. Après avoir décidé de partir, la jeune femme décide de retenter sa chance mais cette fois-ci en « mûrissant » son projet. De nouveau, des recruteurs l’appellent et lui proposent de reprendre un cabinet à Mainvilliers, une commune plus urbaine située à une quarantaine de kilomètres de son ancien cabinet. « J’ai dit oui car dans le premier cas c’était une création de cabinet ce qui était beaucoup plus difficile ». Depuis, « ça se passe très bien » pour le Dr Pipos qui, même si elle a été chaleureusement accueillie, reconnaît qu’il est difficile au début de s’y retrouver dans les papiers. « Il y a beaucoup de bureaucratie », sourit-elle.
CESP et PTMG, les deux sigles à la mode
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la plupart de ces jeunes médecins aux profils et aux motivations différents ont un point commun. Ils ont tous signé soit un contrat d’engagement de service public (CESP), dispositif mis en place sous Roselyne Bachelot qui prévoit de rémunérer l'étudiant pendant ses études en échange d’années d’exercice dans une zone sous-dotée, soit pour un poste de Praticien territorial de médecine générale (PTMG), nouveau statut issu du Pacte Territoire Santé de Marisol Touraine et qui garantit un revenu minimum en zones blanches ainsi que des avantages proches du salariat en matière de protection sociale maladie. Mais ces deux dispositifs ont-ils joué un rôle dans l’installation de ces jeunes médecins ? Pas si sûr.
Installé seul depuis moins d’un mois à Plumelin dans le Morbihan, le Dr Guillaume Antunes qui a signé un CESP sur deux ans en 2011 et un PTMG est un bon exemple. Il reconnaît lui-même qu’il savait dès le départ qu’il exercerait en libéral et… à la campagne ! Son avis sur le PTMG est assez tranché. « C’est une fausse bonne idée car, sur un territoire très déficitaire, on arrive très facilement à faire les revenus minimums », assure-t-il. Alors qu’il a bénéficié de deux mesures phares des deux derniers gouvernements, le jeune généraliste se dit même « en contradiction avec les politiques menées qui vont dans le sens du regroupement. Mais mon exercice m’apporte une richesse médicale incroyable ! ».
Dans l’Aisne, le Dr Élisabeth Bastin de Quick est du même avis. « Je ne trouve pas que cela incite à venir s’installer car les trois cents actes par mois, on les fait rapidement dans notre cas. Il n’y a aucune incitation financière quand on s’installe à la campagne. Pas de baisse d’impôts, rien ! C’est vraiment l’attachement au territoire qui pousse le médecin à s’installer. » Premier signataire du CESP en 2011, le Dr Nicolas Nusbaum, qui se souvient encore de cette période pré-installation « compliquée », assume tout de go. « C’était un effet d’aubaine car je voulais de toute façon m’installer en libéral et en zone déficitaire ; je n’étais pas intéressé par d’autres modes d’exercice. » Le message vaut toutes les démonstrations…
La qualité de vie avant tout
Clairement, les motivations des signataires du CESP qui optent pour les zones blanches sont donc ailleurs. Dans une thèse de médecine générale soutenue en 2013 à la faculté de médecine de Toulouse, Marie-Hélène Grasseau a tenté de cerner les motivations d’installation de 55 d’entre eux. Conclusion : la qualité de vie est le facteur principal retrouvé. Commentaire de la jeune thésarde : « Les jeunes médecins veulent exercer la médecine différemment de leurs aînés. En particulier, ils recherchent un exercice en groupe permettant les échanges et la coordination autour des patients. Ils veulent également se dégager du temps médical, ceci passant par la présence d’un secrétariat. » Selon elle, l’environnement vient immédiatement ensuite dans leur décision d’installation : « En particulier les services publics, importants pour leur vie professionnelle mais également familiale », avec la présence de services publics et sanitaires de proximité.
Le message à destination du corps médical et des pouvoirs publics est donc clair. Mais s’il est possible de jouer sur les conditions d’exercice, pas facile d’influer sur l’aménagement du territoire…