Pr Victor de Lédinghen, hépatologue, hôpital Haut-Lévêque (Pessac)

« Si la médecine de proximité s’occupe de l’hépatite C, le combat est gagné ! »

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Publié le 15/10/2021
Afin de juguler le virus de l’hépatite C (VHC), les stratégies de dépistage, ciblé ou généralisé, se confrontent, quand d'autres se mettent en place avec la généralisation de prescription des traitements. Mais l'enjeu pourrait résider dans la prise en charge de proximité des patients à risque...

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN. L’élimination de l’hépatite C en France a été fixée pour 2025. Est-ce réaliste ?

Pr VICTOR DE LEDINGHEN. Début 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a revu à la baisse ses critères sur la notion d’élimination du VHC. L’objectif n’est pas l’éradication du virus, mais la tolérance de cas sporadiques traités au fil de l’eau. L’élimination est désormais définie par une diminution de 80 % des nouvelles infections (et non plus 90 %) liée à une réduction drastique du réservoir viral, associée à un effondrement de la mortalité de 65 %. Concernant la mortalité, l’objectif est déjà atteint. On ne décède quasiment plus de l’hépatite C, d’après les données de la cohorte française HEPATHER. Ce constat contraste très fortement avec la situation observée il y a cinq ans à peine. En effet, la guérison de nombreux patients infectés (95 % grâce au traitement pangénotypique sofosbuvir/velpatasvir ou glécaprévir/pibrentasvir) infléchit considérablement leur risque de complication et, de ce fait, de décès. Il faut désormais s’attaquer à l’incidence de l’infection, en dépistant les personnes à risque de transmettre le virus (constituant le réservoir de l’hépatite C), principalement celles utilisant de la drogue par voie intra-veineuse ou nasale.

Selon l’observatoire ANGH KIDEPIST en 2019 (1), un dépistage systématique des plus de 40 ans permettrait de dépister 90 % des patients infectés par le VHC. Qu’en pensez-vous ?

En 2021, un dépistage ciblé est toujours recommandé chez les personnes à risque. La Haute Autorité de santé (HAS) reconnaît qu’il présente des limites et contribue à la persistance d’une épidémie cachée de l’infection VHC, mais elle plaide surtout en faveur du renforcement du dépistage ciblé dans les populations les plus à risque. Je suis convaincu du bien-fondé de cette stratégie.

Même si environ 20 % des personnes infectées ne rentrent pas dans les catégories à risque, elles ont souvent été contaminées par le passé, par des gestes médicaux, par transfusion... Elles ont aujourd’hui un certain âge avec probablement une maladie peu sévère et décèderont d’une autre cause que de l’hépatite C.

Pourtant, la Société française d’hépatologie (AFEF) et récemment l’US Preventive Services Task Force (2) penchent pour un dépistage « one shot » du VHC au cours de la vie pour tous. Pourquoi n’est-ce pas retenu ?

Le dépistage généralisé a été écarté par la HAS en 2019 car il n’est pas coût efficace au regard de la faible prévalence en France de l’hépatite C chronique, estimée à 0,30 % (IC 95 % : 0,13-0,70) chez les 18-75 ans, selon Santé publique France (3). Cependant, la liste des personnes éligibles au dépistage ciblé est déjà très large : celles ayant eu avant 1992 une transfusion, une intervention chirurgicale lourde, un séjour en réanimation, un accouchement difficile, une hémorragie digestive, une greffe de tissu (cellules ou organe), ayant été hémodialysées, incarcérées, tatouées (ou piercing), traitées par mésothérapie ou acupuncture, originaires ou ayant séjourné plusieurs années dans des pays à forte prévalence du VHC, ayant un taux d’alanine aminotransférase (ALAT) supérieur à la normale sans cause connue, celles infectées par le sida et l'hépatite B, les homosexuels… Il ne faut donc pas hésiter à prescrire une sérologie du VHC au moindre doute.

Comment évolue la prise en charge des patients infectés ?

L’autorisation généralisée de prescription du traitement du VHC a permis à l’ensemble des médecins prenant en charge des personnes à risque de prescrire les thérapeutiques (agents antiviraux directs pangénotypiques) et de réduire le réservoir viral. Ils ont donc été davantage sensibilisés à la maladie et au dépistage. Cette mesure a porté ses fruits, par exemple dans les prisons, où les généralistes prescrivent sans avoir recours à un hépatologue. Mais il faut aller chercher le malade dans son lieu de vie, là où il a ses repères, où il est connu, pour mettre en place de A à Z une prise en charge personnalisée, dans une structure de proximité (centres d’examen de santé, de planning familial, d’accueil de migrants, maison de santé…). Depuis 2019, la prise en charge simplifiée (4) doit pouvoir être réalisée au plus proche du lieu de vie (ou de suivi) du patient. Il peut bénéficier de l’ensemble du parcours de soin : dépistage, évaluation de la maladie et traitement. Si la médecine de proximité s’occupe de l’hépatite C, le combat est gagné !

(1) Rosa I et al. Hépatologie 2019-05-14 
(2) US Preventive Services Task Force. JAMA. 2020;323(10):970-975.
(3) Brouard C et al. BMC Infect Dis 2019;19:896.
(4) https:// www.has-sante.fr/ jcms/c_2911891/fr/hepatite-c-prise-en-chargesimplifiee-chez-l-adulte

Propos recueillis par Hélène Joubert
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Source : lequotidiendumedecin.fr