Dans le contexte actuel de préparation de la réforme de la politique pénale de stupéfiants, les premiers résultats de l'étude Cannalex sur l'effet des expériences de régulation du Cannabis étaient très attendus.
La hausse des consommations et des intoxications semblent, à première vue, valider la voie de la prohibition. La réalité est plus complexe selon les auteurs. Décryptage.
Quels sont les pays analysés par l'étude Cannalex ?
L'étude porte sur l'Uruguay et les États américains du Colorado et de Washington, qui ont mis en place un régime légal autorisant l'achat et la consommation de cannabis pour les adultes à des fins non médicales entre 2012 et 2013, et qui rassemblent près de 20 millions d'habitants. Outre les résultats en termes de santé publique, les auteurs ont aussi mesuré les effets économiques de la légalisation, ainsi que l'impact sur les trafics et la criminalité.
Quels sont les premiers résultats ?
Les auteurs de l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et de l'institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) ont constaté une hausse des prévalences d'usage chez les adultes et des intoxications.
Le Colorado est devenu l'État américain le plus consommateur de cannabis dans toutes les catégories d'âge. Si le niveau de consommation dans le mois écoulé chez les mineurs n'y a pas évolué, et reste entre 10 et 12 % entre 2008 et 2015, celui des adultes (25 ans et plus) est passé de 7,3 % à 14,7 %. Dans l'État de Washington, le niveau de consommation dans le mois écoulé des adultes est passé de 5,5 à 9,7 %.
En Uruguay, non seulement le niveau de consommation a significativement augmenté en population générale (passant de 4,9 % à 6,5 % entre 2011 et 2014), mais il a également doublé chez les moins de 19 ans (de 4,3 % à 9,5 %).
Autre signal inquiétant : la hausse des intoxications aiguës. Au Colorado, 2,4 cas d'hospitalisations sur 100 sont liés au cannabis, contre 0,8 avant la légalisation. Dans l'État de Washington, les appels aux centres antipoison pour intoxication cannabique présumé ont augmenté de 50 % la première année et de 17 % la deuxième. Ces intoxications concernent principalement les publics « naïfs », notamment les touristes, et ont été favorisées par la diversification des produits comestibles contenant du cannabis.
Ces résultats valident-ils l'idée que la légalisation du cannabis a des effets négatifs en termes de santé publique ?
Ces résultats sont à prendre avec beaucoup de prudence, comme le rappelle Ivana Obradovic directrice adjointe de l'OFDT : « Il y a des modifications de semaines en semaines en ce qui concerne la fiscalité ou les taux de THC autorisés. Nos observations vieilles de 2 ans, mériteraient déjà d'être actualisées ».
En Uruguay, les résultats sont à relativiser, car les effets de la réforme ont été limités par le rétropédalage du gouvernement. « Seule la culture et la vente dans 64 cannabis social clubs ont été autorisés, détaille Ivana Obradovic, la vente en pharmacie a été reportée de 2 ans et demi et fait l’objet de beaucoup de réticences de la part des pharmaciens et des médecins. »
Ces résultats laissent-ils présager de ce qui se passerait en France si la production et l'usage du cannabis à des fins non médicales étaient autorisés en France ?
Non car le contexte est très différent. L'Uruguay, le Colorado et l'État de Washington avaient déjà autorisé l'usage thérapeutique du cannabis avant d'envisager la légalisation du cannabis. La France a fait un premier pas vers le cannabis thérapeutique en juin 2013 en permettant à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de délivrer des autorisations de mise sur le marché (AMM) pour des médicaments contenant du cannabis ou ses dérivés, mais à ce jour seul le Sativex commercialisé par Almiral a bénéficié de cette nouvelle possibilité.
Du fait de l'interdiction fédérale qui frappe le cannabis, la FDA n'a pu, dans un premier temps, réglementer la production, la transformation et la vente du cannabis. Une situation impensable en France. Cet état de fait a contribué à un modèle de régulation « bottom-up », porté par les acteurs de la société civile, par opposition au modèle « top-bottom » uruguayen.
Ces résultats sont néanmoins scrutés par la classe politique. En témoigne la présence lors de la restitution des résultats du député LREM Éric Pouillat, membre de la « mission d’information tendant à évaluer l’impact d’une application de la procédure de l’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiant ».
Quelle est la suite pour l'étude Cannalex ?
Six nouveaux États américains ont légalisé la vente et la consommation de cannabis en 2014 (Alaska et Oregon) et en 2016 (Maine, Massachusetts, Nevada et Californie). Les auteurs vont maintenant se pencher sur l'impact de la légalisation dans l'État de Californie qui représente la 6e puissance économique mondiale. « L'enjeu, qui était avant tout politique et diplomatique, est en train de devenir un enjeu économique et industriel » prédit Ivana Obradovic.
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