Article réservé aux abonnés
Dossier

JESFC 2022

Cardiologie : ces facteurs de risque inattendus

Par Dr Maia Bovard Gouffrant - Publié le 07/02/2022
Cardiologie : ces facteurs de risque inattendus


adobe stock.com

Alors que les campagnes de prévention ont déjà du mal avec les facteurs de risque cardiovasculaires classiques comme le tabac, le diabète ou l’HTA, l’impact délétère pour le cœur d’éléments moins connus se fait de plus en plus évident. À ce titre, les facteurs psychosociaux et les addictions sont d’autant plus inquiétants que la pandémie a pu les faire exploser. L’addition pourrait être lourde à payer pour la santé cardiovasculaire, comme l'ont souligné plusieurs experts lors des journées européennes de la Société française de cardiologie (JESFC, 12 au 15 janvier).

De nombreuses études, menées généralement sur de petits effectifs, rendent compte d’un certain nombre de complications cardiovasculaires (CV) liées à des substances illicites. « La quasi-totalité de ces substances – cocaïne, cannabis, alcool… – peut provoquer des évènements cardiovasculaires variés, du syndrome coronarien aigu (SCA) à l’insuffisance cardiaque (IC) aiguë avec myocardite, en passant par des troubles du rythme ou de la conduction », déplore le Dr Théo Pezel (hôpital Lariboisière, Paris). Un problème d’autant plus sournois que les complications cardiovasculaires surviennent souvent chez des patients plus jeunes a priori en bonne santé, avec souvent des tableaux atypiques qui risquent d’être sous-diagnostiqués.

Le cannabis, facteur déclenchant de SCA ?

En France, 10 % des personnes de 14 à 64 ans consomment du cannabis au moins une fois par an, et 3 % de façon quotidienne. Le cannabis a été impliqué dans des infarctus du myocarde (IDM), des troubles du rythme, voire des arrêts cardiaques et dans des AVC, mais les résultats des études ne concordent pas toujours quant à sa responsabilité et il est parfois difficile de faire la part des choses, son usage s’accompagnant souvent d’une consommation excessive de tabac ou l’alcool. On sait que dans les minutes suivant la prise de cannabis, on peut observer des vasospasmes mais aussi une augmentation de la charge de travail cardiaque par accélération de la fréquence cardiaque (FC) et une légère hausse de la pression artérielle (PA) systolique. On connaît moins bien les effets sur le long terme, si ce n’est qu’il a un impact sur le système immunitaire et la réponse inflammatoire. Selon une étude canadienne de 2021, les adultes de moins de 45 ans ayant récemment pris du cannabis ont deux fois plus de risque de faire un IDM que les non-consommateurs (1,3 % vs 0,8 %). La consommation cannabis constitue vraisemblablement un facteur déclenchant potentiel de SCA et doit être recherchée devant un évènement CV survenant chez un patient jeune sans facteur de risque CV connu. Ce risque pourrait augmenter avec les plus fortes concentrations du cannabis en THC, qui ont été multipliées par quatre en 20 ans.

Le cannabis doit être recherché devant tout évènement CV survenant chez un patient jeune sans facteur de risque connu

Cocaïne et ecstasy : des complications CV multiples

La consommation de cocaïne et d’amphétamines s’envole, et au moins 2 millions de personnes en France ont déjà utilisé de la cocaïne ou de l’ecstasy.

Les effets immédiats de la cocaïne sont assez bien connus : augmentation des catécholamines, stimulation du système nerveux sympathique, avec au niveau cardiaque une augmentation de la demande en O2 mais une diminution des apports au niveau vasculaire, auxquels s’ajoute vraisemblablement une action proagrégante. La cocaïne augmente le risque d’ischémie coronarienne, de dysfonction ventriculaire, d’arythmies, de troubles de la conduction, de dissection aortique, d’AVC hémorragiques ou ischémiques (HTA aiguë par sécrétion brutale de catécholamines). Dans une étude espagnole, parmi les 2 800 SCA survenus chez les moins de 50 ans, 12 % consommaient de la cocaïne (25 % chez les moins de 30 ans). Ces SCA se caractérisaient par la fréquence des vasospasmes, des dissections coronaires, des thromboses coronaires sur artères saines (dans la moitié des cas). Lorsqu’elles étaient obstructives, l’atteinte était généralement monotronculaire avec un bon pronostic. Mais des questions restent en suspens pour connaître la réelle prévalence des SCA liés à la cocaïne, leurs caractéristiques et le pronostic dans cette population jeune.

Les amphétamines, méthamphétamine synthétique (Crystal Met) ou MDMA (ecstasy) ont des effets similaires à la cocaïne mais plus prolongés, leur durée de vie étant plus longue. L’ecstasy augmente la PA et la FC, provoque une dysfonction cardiaque et des arythmies avec, au niveau vasculaire, une vaso­constriction et un risque de thrombose. « Une étude américaine montre une augmentation importante des hospitalisations pour IC liées à la méthamphétamine de 2002 à 2014. Les cardio­myopathies associées à la MDMA se développent dans la moitié des cas dans les 5 ans après le début de l’addiction mais 18 % surviennent dans l’année qui suit », prévient le Pr Franck Boccara (hôpital Saint-Antoine, Paris). Elles se caractérisent par une FEVG plus basse, une dilatation du ventricule droit plus fréquente et souvent sévère.

Une étude dédiée aux addictions en Usic

Consciente des implications des addictions sur les complications CV, la SFC a lancé une étude de cohorte prospective (Addicto-Usic) qui a inclus en avril 2021 plus de 2 000 patients hospitalisés en Usic (unité de soins intensifs cardiologiques) dans 40 centres, avec recueil des éléments cardiologiques cliniques et paracliniques ainsi que des données addictologiques sur l’utilisation de substances psychoactives (drogues mais aussi médicaments, alcool et tabac). Une attention particulière était apportée à leurs associations, des phénomènes synergiques entre ces drogues n’étant pas rares. « Ce sera la première grande étude au monde à évaluer l’épidémiologie des addictions en Usic, la présentation clinique, les données de l’ECG et de l’angiographie ainsi que le pronostic de ces évènements CV en rapport avec une consommation de substances, avec un suivi à 6 mois et à 1 an », se félicite le Dr Pezel (co-investigateur principal de l’étude).