Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) estime, dans l'actualisation de son avis de 2016 relatif aux bénéfices-risques de la cigarette électronique, que les données de la littérature ne sont pas suffisantes pour recommander l'utilisation de ce dispositif comme moyen de sevrage tabagique. Ils recommandent donc aux professionnels de santé de privilégier les autres traitements, médicamenteux ou non, bénéficiant de davantage de preuves. En outre, le HCSP estime que la relation entre initiation à la cigarette électronique et initiation au tabac est bien documentée par des études de cohortes. Elle recommande donc le maintien de l’interdiction de vente aux mineurs.
« Il faut faire la distinction entre le message à porter aux professionnels de santé et l'utilisation qui peut être faite en dehors du soin », explique le Dr Ivan Berlin du département de médecine interne et immunologie clinique de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), qui a participé à l'élaboration de l'avis du HCSP. « Il y a une hypothèse très forte en faveur d'un effet bénéfique de la cigarette électronique, mais le HCSP s'adresse aux professionnels de santé et ne peut pas faire de recommandations sans une bonne évaluation du rapport bénéfice-risque non biaisée », poursuit-il.
Des études ont bien été menées pour estimer l'efficacité de la cigarette électronique en tant qu'outil de sevrage tabagique, mais leur nombre « est faible et leur qualité méthodologique est inférieure à celle recommandée pour de tels essais thérapeutiques », constate le HCSP. Par ailleurs, « les résultats des comparaisons cigarettes électroniques avec nicotine versus “conseils” sont peu fiables, les comparaisons à des traitements de substitution nicotinique sont en ouvert » et, par conséquent, avec des comparaisons « potentiellement biaisées », poursuivent les experts.
« Presque toutes ces études ont été faites par des psychologues ou des pharmaciens, et très peu par des médecins, souligne le Pr Berlin. Aucune ne s'est attachée à montrer de différence entre cigarette électronique avec ou sans nicotine, ce qui constituerait l'étude randomisée contre placebo dont nous aurions besoin. De plus, aucune ne prend en compte sérieusement les effets secondaires. »
Une revue Cochrane sur 12 804 patients
Dans une revue Cochrane publiée en avril 2021, les auteurs ont constaté que, sur les 56 études analysées, comptant 29 randomisées et totalisant 12 804 patients, 41 étaient à haut risque de biais, et seulement 5 à faible risque de biais. Les taux de cessation du tabac étaient plus élevés de 69 % chez les patients sous cigarette électronique délivrant de la nicotine que chez les patients sous produits de substitution, ce qui représentait 4 personnes supplémentaires qui parvenaient à arrêter de fumer pour 100 utilisateurs de cigarettes électroniques. Ce résultat a été qualifié de « limité par les imprécisions » des études retenues.
Comparée aux thérapies cognitivo-comportementales, la cigarette électronique augmentait de 170 % les chances d'arrêt du tabac, soit 7 personnes supplémentaires qui arrêtaient le tabac tous les 100 patients « traités ». Tous ces résultats « suggèrent un bénéfice de la cigarette électronique, mais d'autres études sont nécessaires pour confirmer la taille de l'effet, en particulier quand on utilise les cigarettes électroniques modernes », concluent les auteurs. En outre, cette méta-analyse ne rapporte que succinctement les profils de tolérance des cigarettes électroniques.
Les difficultés de l'étude Ecsmoke
Le Pr Berlin mène en ce moment l'étude Ecsmoke, randomisée en double aveugle selon les critères des essais cliniques classiques. Le but est de proposer à des patients une cigarette électronique délivrant de la nicotine ou un dispositif identique délivrant un placebo, à chaque fois associé ou non à un traitement de substitution en prise orale. Cette étude illustre bien les difficultés de l'évaluation d'un dispositif médical aussi particulier que la cigarette électronique. « Il a d'abord fallu trouver un placebo, ce qui est très coûteux : 200 000 euros », explique le Pr Berlin. L'essai Ecsmoke est actuellement en pause pour cause de rupture de stock de varénicline. « Je ne sais pas quelle solution je vais bien pouvoir trouver », souffle-t-il.
Bien qu'il n'existe aucune étude spécifiquement conçue pour le démontrer, le HCSP estime que la cigarette électronique peut être un outil d'aide au sevrage dans certaines populations spécifiques : les adolescents fumeurs, les fumeurs ayant des maladies associées à leur consommation de tabac, les fumeurs atteints de maladies psychiatriques, les fumeurs avec co-addictions, les fumeurs en situation de précarité et les femmes enceintes fumeuses.
Un gâchis
Pour le Pr Berlin, le cas de la cigarette électronique est « un véritable gâchis : cela fait 10 ans que les gens l'utilisent, et c'est un produit très prometteur, mais personne n'a jamais voulu l'évaluer correctement, à commencer par les fabricants eux-mêmes ». En 2016, l'Agence du médicament (ANSM) a lancé un appel : les fabricants qui le souhaitaient pouvaient déposer un dossier auprès de l'agence pour une éventuelle autorisation de mise sur le marché (AMM) et un possible remboursement. Une initiative qu'a reprise outre-Manche son homologue britannique.
À ce jour, aucun fabricant ne s'est saisi de cette opportunité en France ou au Royaume-Uni. « Ils ne veulent pas faire de leurs appareils un dispositif médical et revendiquer le qualificatif de produit de sevrage tabagique, car ils n'ont pas besoin de ça pour vendre », conclut le Dr Berlin.
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