LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Vous affirmez votre opposition aux salles d’injection. Mais il ne s’agit pour l’heure que d’une demande d’expérimentation ?
Pr JEAN COSTENTIN - Nous n’avons pas en France la culture de l’expérimentation. Certains pays l’ont. Ils font un essai et si cela ne marche pas, ils font marche arrière. Nous, nous ignorons la marche arrière. Tout ce que nous faisons est gravé dans le marbre. Nous devons donc être plus prudents qu’ailleurs. De plus, nous avons une relation très particulière avec les drogues.
Que voulez-vous dire ?
Parmi les 27 États membres de l’Union européenne, la France est le pays où les jeunes sont les plus gros consommateurs de cannabis, talonnés de près, il est vrai, par les jeunes Tchèques, suivis par les Espagnols et les Anglais. Les Hollandais sont en 5e ou 6e position seulement. Qui plus est, nous avons en France un nombre important de sujets en délicatesse avec le tabac. Aux 15 millions de Français en délicatesse avec le tabac, s’ajoutent les 3 à 4 millions en délicatesse avec l’alcool. Quant à l’héroïne, on comptait 150 000 usagers il y a 2, 3 ans, maintenant ils sont 250 000. Notre législation est rigoureuse mais elle n’est pas appliquée. Quand il s’agit de drogue, en France en particulier, il faut une pédagogie soigneuse et des messages clairs pour nos jeunes, particulièrement sensibles et vulnérables.
Vous rappeliez les chiffres, n’est-il pas légitime de tenter de renouveler la stratégie de lutte contre les toxicomanies ?
On n’a fait que de la substitution, mais on n’arrive pas à inscrire cela dans un projet thérapeutique. Si on estime que c’est une maladie qu’on ne peut pas guérir, alors on n’a plus besoin de praticiens de santé pour traiter ces maladies incurables. Le seul projet médical qui vaille est donc celui du sevrage, en recourant à tous les moyens disponibles, parfois le sevrage « sec », insupportable, mais qui peut être efficace, la substitution à doses dégressives et/ou encore les communautés thérapeutiques. Mais il faut que le thérapeute soit intimement convaincu que celui qu’il prend en charge peut guérir. S’il n’y croit pas, il faut qu’il change de métier ! Les toxicomanes méritent toute notre compassion et au plan médical, ils ont énormément besoin d’une aide médicale. Or, on n’a jamais traité une intoxication par le produit qui l’a créée.
Les expériences réalisées dans d’autres pays montrent qu’un certain pourcentage d’usagers va vers le sevrage ?
Il n’y a pas besoin de salles de shoot pour aller vers le sevrage. Il n’est pas nécessaire d’attirer les toxicomanes. On peut les rencontrer ailleurs que dans des salles de shoot, par exemple dans les asiles où ils viennent dormir le soir, dans les restaurants où ils viennent manger gratuitement le midi, dans les maraudes, au commissariat où ils ont été amenés parce qu’ils ont été pris dealant sur la voie publique. Et c’est à ce moment-là qu’il faut exercer, ce que je n’hésite pas à appeler une coercition médicale. Quand un patient est amené à l’hôpital parce qu’il a fait une tentative de suicide, on ne s’interdit pas de lui mettre un tube de Faucher pour lui faire des lavages gastriques. On est en droit, médicalement, de le faire.
ON N’A JAMAIS TRAITÉ UNE INTOXICATION PAR LE PRODUIT QUI L’A CRÉÉE
Vous ne croyez donc pas au traitement social de la toxicomanie ?
Oui j’y crois, mais il consiste justement à aller chercher les toxicomanes là où ils sont pour leur fournir cette couverture médicale dont ils ont un énorme besoin. Pour cela il n’est pas utile de leur jeter de l’héroïne comme du grain aux moineaux, pour les prendre dans les filets. Je vois d’ailleurs dans ce projet la stratégie des petits pas. Car quel médecin accepterait de superviser l’injection d’une drogue que le toxicomane apporterait avec lui, une drogue de la rue, dont on sait qu’elle est terriblement coupée. Bientôt, on proposera qu’il puisse trouver sur place une héroïne de qualité. Et, bien sûr, on utilisera le terme d’héroïne médicale, certains le font déjà. Mais comment les toxicomanes achèteront-ils cette drogue, puisqu’ils n’auront plus le coupage qui leur permettait, grâce à la revente, de tirer leur propre dîme ? L’étape suivante sera de leur procurer gratuitement sur place de l’héroïne. Comment voulez-vous comme cela l’aider à décrocher si vous facilitez l’accès aux drogues qui auront perdu leur caractère aversif ?
*Le Centre national de prévention d’études et de recherches en toxicomanie (CNPERT), le Comité national d’information sur la drogue (CNID 32), l’AFDER (Association française des dépendants en rétablissement), le CAAM (Conduite addictive et aptitude médico-professionnelle), les associations Marilou, Fraternité Marie espérance et Le phare 29, 46, 71, 75, la Fédération nationale des associations de prévention toxicomanie (EDVO, Le phare 69, Vigilance, Pour une jeunesse sans drogue, APT 85, ADELT, COMENCA, Stop à la drogue).
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