CE TRAVAIL décrit la première corrélation biologique de la transition d’un comportement de prise de drogue à une toxicomanie. La prise d’une drogue peut être un comportement normal et admis (prendre un verre de vin), sachant que par drogue il faut entendre tout produit psychoactif susceptible d’entraîner une addiction. Prendre une substance pour ses propriétés psychoactives est un comportement très largement répandu dans notre société. Il y a donc des drogues légales (alcool, tabac) et illégales (cocaïne…)*. Et pour toutes ces substances, on peut avoir une addiction.
Pour toute consommation de drogue, un problème se pose : le sujet a-t-il le contrôle sur ce comportement ?
Un très grand nombre de sujets ne développent pas d’addiction. Par exemple, une large majorité des Français consomme du vin, mais seule une petite fraction développe un alcoolisme.
« Depuis des années mon groupe essaie de comprendre pourquoi certains sujets développent une addiction et ce qui se passe dans le cerveau. »
Historiquement, la dépendance a été associée à un phénotype de « vulnérabilité » comportant une hyperactivité dopaminergique et des médiateurs du stress.
La consommation régulière n’est pas synonyme de toxicomanie : certains très gros fumeurs peuvent s’arrêter brutalement (ils restent capables de contrôler) et d’autres non. Ce phénomène de vulnérabilité individuelle existe pour toutes les drogues et on ne comprenait pas pourquoi. Le pourcentage des sujets qui développent une toxicomanie dépend de la substance : la drogue où il est le plus élevé est la cigarette et le plus faible c’est le cannabis.
« Les premiers modèles animaux nous ont fait découvrir les bases biologiques de la vulnérabilité à développer une prise régulière de drogue, mais on ne savait pas pourquoi certains de ces consommateurs développaient une toxicomanie. »
Maintenant, en travaillant sur de nouveaux modèles animaux, nous avons découvert que l’absence de contrôle de l’usage d’une drogue est liée à un déficit de plasticité synaptique. Chez les sujets qui développent une toxicomanie, nous observons une suppression de la « dépression à long terme » de la synapse, c’est-à-dire une suppression de l’inhibition de l’activité de la synapse qui est essentielle pour encoder de nouvelles associations et garder un comportement flexible.
C’est cette suppression de la dépression à long terme (DLT) qui correspond à une perte de la plasticité synaptique.
Le travail montre que la suppression de la DLT ne survient pas tout de suite, mais une fois que le comportement est appris et stabilisé.
Un comportement de plus en plus résistant.
« Le comportement de prise de drogue devient de plus en plus résistant au contrôle de la personne ; il devient de plus en plus rigide, à mesure que la synapse perd sa plasticité. Et le fait de ne pas avoir cette plasticité rend le comportement peu flexible. »
Un fait intéressant qui ressort du dernier travail est que le phénomène de perte de plasticité n’arrive pas que chez les toxicomanes, il survient chez tout le monde : au début de la prise chronique de drogue, la plasticité se perd chez tous les sujets.
Mais seuls les non toxicomanes sont capables d’inverser le déficit. Chez ces sujets, la plasticité neuronale se restaure, et ils sont capables de contrôler leur prise. Chez d’autres, le déficit se chronicise et la toxicomanie s’installe. C’est un changement de paradigme. Cela montre qu’il n’y a pas des individus vulnérables et d’autres non, mais qu’il existe des sujets qui ont la capacité de reverser une perte de plasticité synaptique et d’autres non. Maintenant il faut comprendre ce qui se passe. « Nous avons des pistes, mais cela n’est pas complètement élucidé. »
Peut-être cela explique-t-il pourquoi il n’y a pas de traitement de la toxicomanie. On a recherché dans le cerveau des toxicomanes. Alors qu’il faudrait chercher dans le cerveau des non toxicomanes. « Nous travaillons également sur ce sujet et avons des résultats préliminaires encourageants. Il est possible que dans le futur, on puisse restaurer la plasticité synaptique de toxicomanes pharmacologiquement. »
Fernando Kasanetz, Olivier Manzoni et Pier Vincenzo Piazza. Science, 25 juin 2010.
* Lire « La dangerosité des drogues », par Roques (éditions Odile Jacob).
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