Tout consommateur ne devient pas toxicomane

L’addiction, une perte de plasticité synaptique

Publié le 17/12/2010
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SEULES CERTAINES personnes consommant de la drogue deviennent toxicomanes c’est-à-dire ne peuvent s’arrêter de consommer alors que d’autres restent capables de contrôler leur consommation, voir d’arrêter brutalement . Pour quelles raisons ?

Des travaux sur le rat, réalisés par l’équipe de Pier Vincenzo Piazza (directeur de recherche INSERM 862, Bordeaux), apportent un élément de réponse : le cerveau des sujets qui développent une toxicomanie est moins « souple » c’est-à-dire moins plastique, les connexions entre neurones ne pouvant s’habituer à la présence de la drogue.

Historiquement, la dépendance a été associée à un phénotype de vulnérabilité comportant une hyperactivité dopaminergique et des médiateurs du stress.

« Les premiers modèles animaux, expliquent les chercheurs, nous ont fait découvrir les bases biologiques de la vulnérabilité à développer une prise régulière de drogue, mais on ne savait pas pourquoi certains de ces consommateurs développaient une toxicomanie. En travaillant sur de nouveaux modèles animaux, nous avons découvert que l’absence de contrôle de l’usage d’une drogue est lié à un déficit de plasticité synaptique. Chez les animaux qui développent une toxicomanie, nous observons une suppression de la " dépression à long terme " de la synapse, c’est-à-dire une suppression de l’inhibition de l’activité de la synapse qui est essentielle pour encoder de nouvelles associations et garder un comportement flexible. »

Ce travail sur des modèles animaux montre que cette suppression de la dépression à long terme ne survient pas tout de suite mais une fois que le comportement est appris et stabilisé.

Un comportement de plus en plus résistant

« Le comportement de prise de drogue devient de plus en plus résistant au contrôle de la personne, il devient de plus en plus rigide à mesure que la synapse perd sa plasticité. Et le fait de ne pas avoir cette plasticité rend le comportement peu flexible. »

Un fait intéressant est souligné dans ce dernier travail : au début de l’expérience, tous les animaux présentaient une diminution de la dépression à long terme après la prise de drogue. Cet effet persistait chez les animaux devenus dépendants et toxicomanes alors que la dépression à long terme est réapparue chez les animaux contrôlant leur consommation de drogue.

Cela montre qu’il n’a pas d’individus vulnérables et d’autres non vulnérables mais que certains individus sont capables d’avoir un comportement flexible et que d’autres n’ont pas cette capacité. Pourquoi la drogue modifie-t-elle de façon persistante la dépression à long terme uniquement chez certains animaux ?

« Nous avons des pistes mais cela n’est pas complètement élucidé », indiquent les chercheurs. Cela peut-il expliquer qu’il n’y ait pas de traitement de la toxicomanie ? « Nous travaillons également sur ce sujet et nous avons des résultats préliminaires encourageants. Il est possible que, dans le futur, on puisse restaurer la plasticité neuronale de toxicomanes pharmacologiquement. »

Fernando Kasanetz, Olivier Manzoni et Pier Vincenzo Piazza Science, 25 juin 2010.

 Dr MICHELINE FOURCADE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8879