L’ENQUÊTE des sociologues Catherine Reynaud-Maurupt et Emmanuelle Hoareau balaie tous les archétypes sur les usagers de cocaïne. Alors que la littérature présente habituellement deux profils types, le cadre qui a un usage contrôlé et ponctuel de la substance, et le toxicomane désocialisé, sous traitement de substitution, cette nouvelle étude met en lumière un autre visage du consommateur. Celui-ci ne fréquente pas les centres de soin, mais ne contrôle pas pour autant son addiction. Première remise en cause des idées reçues : « Plus de la moitié des usagers rencontrés ont connu un épisode de consommation compulsive de cocaïne au cours de leur vie, d’une durée d’au moins un mois à plusieurs années d’affilée, et en ont subi des dommages », affirment les auteures.
Pour étudier ces nouveaux consommateurs, Catherine Reynaud-Maurupt et Emmanuelle Hoareau se sont entretenues, entre 2006 et 2007, avec cinquante personnes de huit grandes agglomérations, qui ont effectué au moins 20 sessions de prise de cocaïne dans leur vie, sans pour autant fréquenter les structures sanitaires et sociales. L’enjeu : « Mieux comprendre la place changeante de la cocaïne dans les trajectoires sociales et personnelles des usagers qui restent cachés aux yeux des institutions », précisent les auteures. Car ces cocaïnomanes, aux contours socialement flous, du chômeur à l’étudiant en passant par l’ouvrier, le chef, ou le cadre d’entreprise, n’entretiennent pas le même rapport à la substance tout au long de leur « carrière ».
3 étapes et 3 profils.
À la première prise, puis lors de la persévérance, ces consommateurs présentent encore des profils semblables. Ils découvrent la cocaïne vers 19-20 ans, dans un contexte festif, en lieu privé, en absorbant d’autres substances psychoactives. Leurs appréhensions sont minimisées par l’observation préalable du comportement d’autrui et l’impression de connaître leurs limites. Scolarisés ou actifs, Ils ont de nombreuses connaissances et justifient leur découverte par la curiosité ou la volonté d’être « comme le groupe ». S’ils persévèrent, c’est souvent dans des contextes et pour des raisons identiques : fête, cocktail de substances, recherche de l’endurance et de la sociabilité. Ces consommateurs n’achètent pas leur dose mais se la laissent offrir, dans un esprit de communion. Ils déclarent ne ressentir aucun effet indésirable. Cette période, qui dure quelques mois voire années (deux ans maximum dans l’étude), n’entraîne pas de déscolarisation ou perte d’emploi. « Tous sont unanimes : l’usage de cocaïne n’a, selon eux, aucun impact sur leur vie sociale et professionnelle ou étudiante à cette époque ». Mais on décèle déjà chez les 2/3 l’expérimentation de free base, une préparation artisanale d’un caillou de crack à partir de la poudre de cocaïne. « Un point névralgique dans l’avancée vers une prochaine étape », avertissent les auteures.
Les usagers prennent, lors de cette dernière phase, trois chemins différents. Un tiers des personnes s’installe dans un usage strictement festif du produit. Une très faible minorité consomme occasionnellement hors d’un environnement festif. Enfin, plus de la moitié débute un usage courant de cocaïne, souvent quotidien, en dehors de tout environnement festif, d’une durée comprise entre un mois et quatorze ans (plus généralement, entre 3 mois et 2 ans).
Un tournant après le bac.
Ce tournant intervient souvent après l’obtention du baccalauréat, lorsque domine un sentiment de liberté et d’autonomie à l’égard du cercle familial. La cocaïne ne fait alors plus l’objet d’un contrôle et le contexte de la prise, les motivations, et les effets changent considérablement par rapport aux deux premières phases. La fête ne justifie plus la consommation. « L’accessibilité soudaine et à volonté de la cocaïne, l’influence des pratiques mimétiques, l’usage en milieu professionnel, ainsi qu’un sentiment d’isolement et d’abandon » sont de nouveaux facteurs à prendre en compte. Des effets négatifs apparaissent, physiques (polarisation sur les produits, palpitations cardiaques), psychologiques (agressivité, « paranoïa » renfermement sur soi - surtout avec le freebase) ou socioprofessionnels. Si la plupart des usagers de drogues continuent à travailler ou étudier, « les conditions de cette vie sociale sont tout de même le plus souvent décrites comme étant dans un processus de dégradation », rapportent les sociologues, qui insistent également sur le risque d’endettement que court cette population. Mais le décrochage est rarement total, ou alors, de très courte durée. La plupart s’enfoncent dans une double vie entre usage de substance et obligations socioprofessionnelles, adoptant ainsi ce que les sociologues appellent « cocaïnomanie séquentielle ».
En alertant sur cet autre profil d’usager contemporain, qui souffre de sa consommation sans pour autant être désocialisé, l’étude de Catherine Reynaud-Maurupt et Emmanuelle Hoareau alerte l’ensemble de la société, car toutes les catégories sociales sont concernées. Et surtout, les services sanitaires et sociaux, qui ne parviennent pas à être les interlocuteurs de ces personnes. « Les sorties de l’usage compulsif ainsi que ce qu’expriment les usagers sur le besoin d’aide montrent que c’est avant tout l’entourage personnel consommateur ou non consommateur qui est sollicité, plutôt que des professionnels ».
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