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Dossier

Addictologie

Tabac, le sevrage sinon rien 

Publié le 01/12/2017
Tabac, le sevrage sinon rien 

Mégot écrasé
DANIEL SAMBRAUS,THOMAS LUDDINGTON/SPL/PHANIE

Plusieurs spécialistes l'ont souligné lors du congrès annuel de la Société francophone de tabacologie : en matière de tabac, la seule diminution des consommations ne semble pas suffir à réduire les risques de façon conséquente et l’arrêt total doit rester la règle. En revanche, le concept de sevrage plus progressif avec pré-traitement fait peu à peu son chemin.

Très en vogue et reconnue en alcoologie, la stratégie de « réduction des risques » par la diminution des consommations n’a pas fait ses preuves en tabacologie, comme l’ont expliqué plusieurs intervenants à l’occasion du congrès annuel de la Société francophone de tabacologie (Paris, du 16 au 17 novembre).

Alors que certains patients espèrent alléger leur facture santé en diminuant leur consommation tabagique plutôt que d’arrêter la cigarette, les données de la littérature montrent qu’une réduction – même supérieure à 50 % – ne suffit pas à faire baisser la mortalité globale ni la morbidité.

Sur le plan cardiovasculaire, des effets bénéfiques sur des marqueurs de risque intermédiaire ont certes été rapportés, mais « à l’exception d’une étude israélienne, dans la majorité des études prospectives, une réduction de consommation n’entraîne aucun effet significatif », rapporte le Pr Daniel Thomas (Paris).

Le tableau est un peu plus nuancé sur le plan pulmonaire, puisqu’une diminution de la consommation chez les gros fumeurs (>15 cig/j) s’accompagnerait d’une baisse de 20 % du risque de cancer. Elle n’a en revanche aucun effet clairement démontré dans la BPCO. De même, chez la femme enceinte, une simple réduction de consommation n’entraîne qu’un bénéfice modéré pour l’enfant à naître.

Pas de consommation sans risque

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce constat, au premier plan desquels un phénomène de compensation. Lorsqu’il diminue sa consommation, le fumeur tend, de façon inconsciente, à tirer davantage sur sa cigarette pour compenser la quantité de nicotine perdue. Il inspire donc à chaque bouffée davantage de substances toxiques. La baisse de la consomation peut aussi aller de pair avec l'introduction de nouveaux facteurs de risque « comme par exemple la cigarette électronique dont on ne connaît pas complètement l'impact », illustre le Pr Ivan Berlin (Paris).

Par ailleurs, la durée du tabagisme pourrait peser davantage que son intensité. Par exemple, « plus que le nombre de cigarettes par jour, c’est le nombre d’années de tabagisme qui augmente le risque de cancer pulmonaire », explique le Pr Yves Martinet (Nancy).

Enfin et surtout, alors que pour l’alcool le risque croît de façon exponentielle avec le nombre de verres consommés (avec une courbe en J dans certains cas), pour le tabac « la plus grande partie du risque est atteinte avec de faibles taux d’utilisation de cigarettes » souligne le Pr Henri Jean-Aubin (Paris). Ainsi, « les fumeurs de moins d’une cigarette par jour ont une mortalité augmentée de 64 % par rapport aux non-fumeurs ». De même, la mortalité par cancer pulmonaire et par BPCO augmente dès la première cigarette fumée par jour.

Sur le plan cardiovasculaire, il existe « une relation non linéaire entre intensité du tabagisme et évènements CV [avec une hausse rapide du risque], liée à une grande sensibilité au tabac des principaux mécanismes en cause (thrombose et vasomotricité coronaire) », explique le Pr Thomas.

Fausses croyances

Chez la femme enceinte enfin, « les études récentes réaffirment l’impact d’un tabagisme minime tant sur le poids de naissance que sur le sur le risque de mortalité périnatale ou de fausses couches », explique le Dr Gilles Grange (Paris).

Alors qu’environ 20 % des Françaises considèrent que fumer moins de cinq cigarettes par jour en cours de grossesse est sans risque pour le fœtus et sûrement moins délétère que le stress qu’entraînerait un sevrage total, un travail récent mené par le Pr Ivan Berlin vient tordre le cou à cette croyance. Montrant au contraire qu’une faible consommation (1 à 4 cig/j) suffit à diminuer le poids de l’enfant de 228 g, soit presque autant que 5 à 9 cigarettes quotidiennes (-251 g). Là encore, « la relation dose-effet n’est pas linéaire », poursuit le Dr Grange.

Globalement, « il n’y a donc pas de petit fumeur heureux », conclut le Pr Martinet. Le sevrage total doit donc rester la règle.

Vers des étapes intermédiaires ?

Si la réduction des consommations ne peut constituer un objectif en soi, peut-elle être une étape intermédiaire favorisant le sevrage ? « Les études montrent que la réduction de la consommation sans substitution nicotinique ne conduit pas à une augmentation du nombre d’arrêts à terme », tranche le Pr Thomas. Pour autant, l’idée d’une phase de transition permettant au patient de se “préparer” au sevrage et d’optimiser ses chances de réussite fait peu à peu son chemin.

Plusieurs études ont testé l’intérêt d’un prétraitement par substituts nicotiniques. Selon une métanalyse de 2003, un prétraitement par patch pourrait doubler la probabilité d’abstinence à 6 semaines et à 6 mois. En revanche, une autre méta-analyse plus récente ne retrouve pas d’effet bénéfique.

Malgré ces résultats contradictoires, les nouvelles recommandations suisses ont déjà franchi le pas et entériné l’option d’une diminution progressive sous substitution.

D’autres travaux ont évalué la pertinence d’un traitement préalable par bupropropion et varénicline avec des résultats plutôt encourageants. Globalement, « un prétraitement de quatre semaines est associé à une réduction de consommation plus importante pendant la période de prétraitement et à un taux d’abstinence plus élevé quatre semaines après la date d’arrêt chez tous les sujets et plus nettement encore chez ceux ayant réduit leur consommation pendant le prétraitement », résume le Dr Michel Underner (Poitiers). Chez des fumeurs ne se sentant pas prêts à s’engager dans un arrêt immédiat, mais volontaires pour diminuer leur consommation, une autre étude réalisée avec la varénicline vs placebo a montré qu’un pré-traitement plus long associé à des objectifs de réduction progressifs (-50 % à la 4e semaine ; -75 % à la 8e et arrêt à 12 semaines) multiplie par 4 la probabilité d’arrêt définitif.

Ainsi, si les objectifs finaux en matière de tabac restent stricts, « on est beaucoup plus souples qu’avant » sur les moyens d’y parvenir, se félicite le Pr Aubin.

Bénédicte Gatin