INTRODUIT pour la première fois en Suisse en milieu des années 1990, le traitement par injections d’héroïne sous supervision médicale a, tout comme les salles de consommation à moindres risques, déjà fait couler beaucoup d’encre où une vive opposition idéologique perdure à son sujet. « Le nouveau traitement à l’héroïne a suscité à la fois un vif intérêt, des polémiques et bien souvent une certaine confusion », constate Wolfgang Götz, directeur de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. Dans son nouveau rapport, l’OEDT établit un état des lieux de la recherche sur cette pratique testée par plusieurs pays au sein et à l’extérieur de l’Europe. Disponibles légalement pour les usagers d’opiacés de longue durée réfractaires à tout autre traitement au Danemark, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suisse, ces injections d’héroïne médicalisées sont par ailleurs expérimentées en Espagne et au Canada. « Les résultats d’essais internationaux laissent désormais à penser que l’utilisation supervisée d’héroïne médicinale peut constituer un traitement de seconde intention », pour un petit groupe de personnes qui ne répond pas aux autres traitements qu’il s’agisse de sevrage ou de prescription de drogues de substitution (méthadone, buprénomorphine…), souligne le rapport. Ces patients cibles, « ce sont des personnes qui vivent dans des squats, dans des conditions précaires, qui s’injectent dans des conditions toutes aussi précaires et pour lesquelles la réduction des risques est difficile à mettre en œuvre s’il n’y a pas de lieux adaptés pour les recevoir », décrit le Dr Marc Valleur, médecin chef du centre médical Marmottan (Paris).
Les programmes d’injection d’héroïne sous supervision médicale ne doivent toutefois pas être confondus avec les salles de consommation supervisée, encore appelées « salles de shoot ». « L’objectif de la salle de consommation, c’est de faire en sorte que l’acte de consommation de drogues se déroule dans un univers socialisé et sanitarisé », rappelle le Dr Jean-Pierre Couteron, président de l’association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie (ANITEA). Dans une "salle de shoot", la personne arrive dans la structure avec son propre produit qui peut être autre que de l’héroïne injectable. Dans un programme d’injection d’héroïne médicalisée, le produit - de la diacétylmorphine à usage thérapeutique - est proposé et contrôlé par l’équipe soignante qui évolue au sein de cliniques spécialisées ouvertes toute l’année. Ce type de programme se révèle également beaucoup plus contraignant pour l’usager de drogues que les salles de consommation, en termes de régularité de fréquentation du dispositif.
Point d’équilibre.
Cette approche vise d’abord à réduire l’usage d’héroïne « de rue » chez ces personnes précaires, leur implication dans des activités criminelles liées à leur dépendance tout en améliorant leur bien-être et leur intégration sociale. « Ce qui est attendu par ce traitement, c’est qu’il permette à la personne de se rééquilibrer », souligne le Dr Couteron. « Ensuite, à partir de cette position d’équilibre, soit la personne va tenter de faire un pas supplémentaire (vers le sevrage ou un traitement de substitution), soit au moins, elle va bénéficier de cette position d’équilibre pour évoluer sur les autres terrains de la socialisation, des relations affectives, de la reprofessionnalisation… », explique-t-il. « C’est indéniablement une stratégie efficace mais elle coûte cher », souligne le Dr Marc Valleur. Selon des évaluations économiques menées en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas, le coût d’un programme de maintenance à l’héroïne serait compris entre 12 700 et 20 400 euros par patient et par an contre une fourchette de 1 600 à 3 500 euros par patients et par an dans le cas d’un programme de traitement à la méthadone. Mais parallèlement, ce coût élevé de prise en charge d’une population restreinte d’usagers de drogues « extrêmement problématiques » est compensé par des économies importantes pour la société, chiffrées par patient et par an à 15 000 euros aux Pays-Bas, à 13 000 euros en Suisse et à 6 000 euros en Allemagne. « Après ce rapport, nous verrons si les discours sont un peu moins chargés idéologiquement sur ce sujet dans notre pays », glisse le Dr Valleur. « Je pense aussi qu’il faudra faire le bilan de la loi de 1970 et mettre à plat l’ensemble du cadre de la prise en charge des problèmes d’addictions. Dans ce cadre-là, pourquoi ne pas faire avancer l’idée d’une ou deux expérimentations dans notre pays ? », interroge-t-il.
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