Le patient, en consultation pour un genou douloureux, a comme antécédent principal une allogreffe de moelle en 2002 pour une leucose, avec un traitement immunosuppresseur ayant comporté mycophénolate mofétil, ciclosporine et corticoïdes. La corticothérapie a été arrêtée en 2004. Il a une maladie chronique du greffon contre l’hôte (GVH) qui se manifeste essentiellement par un syndrome sec buccal et un lichen péribuccal.
Il est connu du service pour avoir déjà consulté en 2004 pour une douleur du genou gauche, depuis quelques mois, avec un gonflement quasi-permanent. Sur la radiographie, on constatait des remaniements ischémiques avec une trame osseuse hétérogène de l’extrémité inférieure du fémur témoignant d’une ostéonécrose liée à la corticothérapie. Une infiltration cortisonique avait permis d’améliorer ses douleurs et sa fonction, avec un résultat durable. Il avait aussi des ostéonécroses épiphysaires des têtes humérales et fémorales, ayant nécessité une arthroplastie totale de hanches, bilatérale en un temps, avec un excellent résultat.
Il consulte donc cette fois pour un gonflement douloureux du genou droit, apparu rapidement depuis 1 mois. Il est gêné pour les activités en charge. Le genou est difficilement mobilisable, avec un flexum de 40°. Il existe un choc rotulien. La ponction est très peu productive, ne permettant d’extraire qu’environ 5 cc d’un liquide clair et visqueux. Il est réalisé dans le même temps une injection d’une ampoule d’hexacétonide de triamcinolone et d’une ampoule d’acide hyaluronique, sans complication immédiate.
Une semaine après, la situation ne s’est pas du tout améliorée. Entre temps, il a fait des radiographies qui confirment la présence de lésions ischémiques des deux genoux (figure 1 ci-dessus). L’absence d’amélioration clinique (contrairement au résultat très brillant obtenu pour l’autre genou il y a 15 ans) amène à réaliser une IRM dans le but de confirmer les phénomènes ischémiques et d’évaluer la dégradation cartilagineuse, notamment à la recherche d’un fragment détaché dans l’articulation. Cet examen (figure 2) révèle une image métaphyso-diaphysaire du condyle fémoral médial à point de départ médullaire, de 34 mm de diamètre transverse, 50 mm de diamètre antéro-postérieur et 55 mm de hauteur, en hyposignal T1, hypersignal STIR, avec perte de la trame osseuse sous-jacente, en faveur d'un remplacement médullaire. Cette image est le siège d'une nécrose centrale avec rehaussement progressif en périphérie. La corticale médiale est rompue, avec envahissement des parties molles médiales et synovite mixte réactionnelle. Elle contient de gros bourgeons d'allure tumorale à remaniements hémorragiques.

Réalisé en même temps, le scanner confirme la présence d’un image ostéolytique épiphyso-métaphysaire agressive, centrée sur la médullaire, Lodwick IB du condyle fémoral médial. Il montre une rupture corticale, sans réaction périostée, sans minéralisation intralésionnelle, avec une masse des parties molles adjacentes (figure 3).

Une ponction-biopsie est rapidement faite (figure 4), avec des prélèvements osseux et synoviaux.

L’aspect est superposable sur les différents prélèvements, qui ont porté sur une prolifération tumorale indifférenciée à noyau de taille très inégale, souvent volumineux et polylobé (figure 5).

Il y a de nombreuses mitoses parfois anormales. Les cytoplasmes sont éosinophiles, parfois un peu allongés, fusiformes, à contours irréguliers. Ces cellules forment des plages densément cellulaires sans architecture particulière. Il existe quelques foyers de nécrose. Il n’y a pas d’élaboration de substance ostéoïde. Il est conclu à un sarcome indifférencié à cellules pléomorphes, de grade III selon la FNCLCC.
Un complément d’exploration est demandé à la recherche de skip-métastases dans le fémur gauche et de métastases pulmonaires, afin de guider rapidement la stratégie thérapeutique : exérèse articulaire en bloc, extra-tumorale, ou amputation fémorale. Une chimiothérapie néo-adjuvante pourrait aussi se discuter, mais elle s’avère difficile à envisager en raison des antécédents hématologiques.
LE SAIO, un ostéosarcome rare de mauvais pronostic
Les sarcomes associés à l'infarctus osseux (SAIO) ont été décrits pour la première fois en 1960 par Furey et al (1). Rarissimes, ils représentent environ 1% de tous les sarcomes osseux. Travaillant depuis plus de 20 ans avec le service de Greffe de moelle de l’hôpital St Louis, nous n’en avons jamais observé…
La plupart des ostéosarcomes sont primitifs, mais des ostéosarcomes secondaires peuvent également résulter de la dégénérescence maligne de la maladie osseuse de Paget, d’os radique, de la dysplasie fibreuse des os, d'ostéomyélite chronique, de brûlures et donc aussi d’infarctus osseux chroniques. Ces infarctus osseux sont le plus souvent idiopathiques, mais peuvent être secondaires à diverses causes, notamment l'utilisation prolongée de dérivés cortisoniques, comme chez notre patient pour sa GVH. Le sarcome pléomorphe indifférencié (anciennement dénommé histiocytofibrome malin) est la forme la plus fréquente (près de 2/3 des cas rapportés), suivi par l'ostéosarcome (moins de 1/5), le fibrosarcome et l’angiosarcome (moins de 1/10).
La moyenne d’âge de découverte est classiquement autour de la cinquantaine (2), comme chez notre patient, et 2/3 sont des hommes. Il n’y a pas de données précises sur le délai entre la survenue des infarctus et celle du sarcome.
Dans une série de 50 cas rapportée en 1992, environ 75% des patients avaient des infarctus osseux multiples. Le fémur était touché chez 21 patients, le tibia chez 14 (2). Une étude d’imagerie confirme que ces sarcomes surviennent surtout chez des patients ayant des infarctus multifocaux (3). Les sarcomes étaient généralement associés à un schéma d'ostéonécrose de type dit « mature », c'est-à-dire avec des marges calcifiées bien définies, comme observé chez notre patient. Le scanner et l'IRM révèlent une effraction corticale dans tous les cas. Une rupture de la marge de l'infarctus était observée, mais avec conservation de la graisse dans l'infarctus. Toutes les lésions étaient métaphysaires ou diaphysaires. Bien que l'extension épiphysaire du sarcome à partir d'un infarctus métaphyso-diaphysaire était courante, aucune lésion purement épiphysaire n'a été rencontrée.
Le traitement est presque toujours chirurgical (4). Dans deux tiers des cas de la littérature, l’intervention est une amputation : seuls un bon quart des patients relèvent d’une intervention conservatrice avec résection tumoral et reconstruction. La chimiothérapie et la radiothérapie ont été peu utilisées. Le pronostic est malheureusement mauvais : 57% de décès en moyenne 19,2 mois après le diagnostic dans la série de Domson (5).
Service de Rhumatologie, Hôpital Lariboisière.
(1) Furey JG, Ferrer-Torells M, Reagan JW. Fibrosarcoma arising at the site of bone infarcts: a report of 2 cases. J Bone Joint Surg Am 1960, 42:802-810.
(2) Torres FX, Kyriakos M. Bone infarct-associated osteosarcoma. Cancer 1992, 70:2418-2430.
(3) Stacy GS, Lo R, Montag A. Infarct-associated bone sarcomas: multimodality imaging findings. Am J Roentgenol 2015, 205:432.
(4) McDonald MD, Sadigh S, Weber KL, Sebro R. A rare case of an osteolytic bone-infarct-associated osteosarcoma: case report with radiographic and histopathologic correlation, and literature review. Cureus 2018;10:e2777.
(5) Domson GF, Shahlaee A, Reith JD, Bush CH, Gibbs CP. Infarct-associated bone sarcomas. Clin Orthop Relat Res 2009, 467:1820-1825
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