LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : On constate un recul du dépistage du cancer, malgré les campagnes de sensibilisation. À quoi attribuez-vous cette tendance ?
JÉRÔME VIGUIER : Ce recul est multifactoriel. Il y a d'abord ce qui relève de l'essence du dépistage, qui s'adresse à des gens asymptomatiques. Le paradoxe entre le bon état de santé et la nécessité de réaliser un examen médical constitue un frein à la participation au dépistage. Ensuite, beaucoup ne se sentent pas concernés. Parce qu'il n'y a pas d'antécédents familiaux, parce qu'ils n'ont pas de problème de santé, parce qu'ils ne connaissent personne atteint de ces pathologies, certains deviennent négligents. Un autre facteur peut relever de la crainte du résultat et des éventuels examens complémentaires, qui peuvent être invasifs. Pour le cancer colorectal par exemple, il existe une crainte de la coloscopie.
On constate par ailleurs une certaine méfiance, voire une défiance, vis-à-vis des politiques publiques. On le voit dans la prévention, dans la vaccination. Enfin, les médecins considèrent que l'existence de structures dédiées au dépistage les désengagent : ils pensent qu'ils n'ont plus de rôle à jouer, alors que c'est exactement le contraire. Ils sous-estiment leur impact auprès de leurs patients dans la réalisation de ces examens. Si le médecin n'aborde pas la question, alors que le patient a reçu un courrier d'une structure administrative, s'il n'explique pas les bénéfices et limites de chaque dépistage, le patient se dira que ce n'est pas si important que ça.
Il y a aussi quelques spécificités selon les cancers. Sur le cancer du sein par exemple, la polémique joue un rôle. Le débat sur le rapport bénéfice – risque a probablement plus d'impact sur les médecins que sur la population. Ils sont sensibles aux arguments comme celui du surdiagnostic et cela a un impact sur la conviction des femmes.
Comment lutter contre les « fake news » en la matière ? Et quelles réponses apportez-vous aux critiques sur le surdiagnostic ?
Le souci des informations parcellaires, c'est que les micros se tendent facilement vers les scoops sur les inefficacités suspectées. Nous avons une démarche scientifique : l'Institut ne s'intéresse pas à ce qui va faire un joli titre de presse, mais à l'ensemble de la littérature, des études publiées, des résultats qui nous sont rapportés, pour avoir une vision globale et neutre. Nous sommes gênés quand les « anti » ou les « trop pro » ont des tribunes - un peu démesurées - et sont susceptibles d'avoir un impact sur la motivation et la conviction des professionnels et donc un impact collatéral sur les populations concernées.
Concernant le surdiagnostic, il existe une certaine confusion dans la population avec les faux positifs. Le surdiagnostic, c'est le diagnostic de vrais cancers qui n'auraient pas évolué, ou qui auraient évolué, mais sans que ce soit la cause du décès. Il y a donc deux composantes dans le surdiagnostic : les cancers peu évolutifs et la mortalité compétitive. Il est important de rappeler que le surdiagnostic est un modèle mathématique et qu’il est inhérent à tout dépistage.
Les résultats de vos différents programmes de dépistage montrent l’impact de la mobilisation des médecins, notamment des généralistes, sur la réussite des campagnes. Comment mieux les sensibiliser ?
Il faut leur faire prendre conscience de leur poids, de l'importance de leur participation aux programmes de dépistages, même si une structure s'occupe de la logistique et de la communication. Leur parole et leur conviction sont importantes pour obtenir des résultats. Il faut insister là-dessus dans le cadre de la formation continue. Les données issues des programmes doivent également être portées à leur connaissance : ils doivent savoir où on en est, être conscients qu'on décroche. Sur le cancer du col de l'utérus, déjà 50 à 60 % des femmes se font régulièrement dépister. Mais, dans les départements pilotes où il y a une mobilisation des professionnels, notamment des généralistes, les taux de participation atteignent 70 à 80 %.
Notre culture de santé publique est assez moyenne en France. Les études de médecine sont encore très orientées sur le curatif. La prévention - et le dépistage est de la prévention secondaire - est pourtant fondamentale pour faire reculer cette maladie. On a une opportunité sur trois cancers (colorectal, sein, utérus, N.D.L.R.), qui font des milliers de morts et sont parmi les plus répandus dans notre pays, de parvenir à changer le pronostic en arrivant plus tôt dans sa survenue. Arriver tôt dans la maladie, c'est avoir, en général, des traitements moins lourds, plus efficaces. Dans les cancers colorectal et du sein, on peut opérer à un stade précoce et avoir moins des séquelles moins lourdes. La chirurgie est moins mutilante, et on recourt moins à la chimiothérapie.
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