Développé à partir des cellules des voies biliaires, le cholangiocarcinome (CC) peut être extra- ou intra-hépatique (CCI). Si cette seconde forme est la plus courante, son incidence reste faible en Europe (plus élevée en Asie) : environ 2 000 personnes seraient concernées chaque année en France. « Elle semble cependant augmenter en pratique », déplore le Pr Jean-Frédéric Blanc lors de sa présentation aux RCFr. Si cette maladie rare est peu propice aux essais thérapeutiques de phase III de grande ampleur, son pronostic est pourtant très mauvais et la mortalité reste élevée. Jusqu’en 2019, dans les CCI opérables (14 % des cas), 50 % de récidives étaient observées en France et la survie médiane atteignait 50 mois. Dans 24 % des cas, un traitement par chimiothérapie pouvait être proposé dans les formes inopérables, avec une survie médiane à 12 mois : cisplatine-gemcitabine en première ligne (schéma développé en 2010) et 5 fluorouracile-oxaliplatine en seconde ligne (depuis 2020). Enfin, « dans environ deux tiers des cas (63 %), les patients au diagnostic ne pouvaient recevoir que des soins de support, avec une médiane de survie à six mois », reconnaît malheureusement le Pr Blanc.
Des cibles thérapeutiques dans 45 % des cas
« On a avancé grâce à la biologie et à un meilleur démembrement de ces tumeurs », annonce l’hépatogastroentérologue. En effet, les formes intra-hépatiques sont développées sur les petits canaux biliaires, contrairement aux tumeurs survenant sur les gros canaux biliaires. Les mécanismes de carcinogenèse et le pronostic sont différents. Les CCI apparaissent souvent dans un contexte d’hépatites ou plus largement de maladies chroniques du foie. Par contre, les tumeurs des gros canaux biliaires sont liées à une inflammation des voies biliaires, comme pour la cholangite sclérosante, ou à des parasites retrouvés en Asie.
Au niveau biologique, des anomalies moléculaires ont été identifiées, permettant le développement de traitements ciblés. « Le cholangiocarcinome intra-hépatique fait partie des tumeurs ayant le plus de mutations ciblables, explique le Pr Blanc. Dans 45 % des cas, on estime pouvoir en trouver une ».
Des thérapies novatrices
Deux thérapies ciblées ont récemment obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France dans le CCI. La première, l’ivosidénib, cible les mutations de l’enzyme IDH1 (responsables de l’accumulation de métabolites toxiques et carcinogènes). L’étude pivotale de phase III ClarIDHy (1), réalisée versus placebo chez 186 patients lourdement prétraités (en deuxième ou troisième ligne après chimiothérapie) pour un CCI, montre que l’ivosidénib prolonge significativement la survie sans progression (2,7 versus 1,4 mois, HR = 0,37, p < 0,001). « À un an, voire deux ans, 20 % des patients sous ivosidénib sont toujours vivants avec une maladie contrôlée », relève le Pr Blanc.
Aucune différence significative en survie globale n’a été observée (10,8 mois versus 9,7 mois, p < 0,06). Cependant, ce critère était difficilement évaluable, l’ivosidenib pouvant être utilisé dans le groupe placebo en cas de progression tumorale.
La seconde molécule homologuée (fin mars 2021 en Europe) est un inhibiteur de FGFR : le pemigatinib. En cas de fusion du gène FGFR2 (10 à 15 % des CCI), cette thérapie ciblée permet une importante diminution tumorale. En effet, selon les données de l’étude de phase II FIGHT-202 menée chez 146 patients avec un CCI localement évolué ou métastatique (2), le taux de réponse objective était de 35 % chez les 107 sujets présentant une fusion de FGFR2 (versus 0 % en son absence ou en cas d’autre anomalie de FGFR). La survie sans progression et la survie à un an étaient également nettement améliorées. « En cas de fusion de FGFR2, la médiane de survie atteint près de deux ans chez les patients traités, alors qu’elle n’est que de l’ordre de six mois en l’absence de la fusion, commente le Pr Blanc. Ces résultats sont considérables ! ».
L’immunothérapie attendue en première ligne
Il existe d’autres mutations dans les CCI qui sont potentiellement accessibles à des traitements, tels que les anti-HER2, anti-BRAF, inhibiteurs de PARP ou encore l’immunothérapie dans les formes avec instabilité microsatellitaire (MSI). Ainsi, l’étude de phase III TOPAZ-1, dont la présentation est attendue prochainement, démontre le bénéfice apporté en première ligne de l’association de l’immunothérapie (durvalumab) à la chimiothérapie (gemcitabine-cisplatine), indépendamment du statut MSI. « Il est probable que le standard de première ligne change dans ces prochains mois et que ce sera l’immunothérapie en association à la chimiothérapie », projette le Pr Blanc.
« Aujourd’hui, le traitement de première ligne reste la chimiothérapie gemcitabine-cisplatine, avec la nécessité d’un ciblage moléculaire. Dans environ 40 % des cas, on aura ensuite recours à des traitements ciblés dont certains sont déjà autorisés (ivosidénib, pemigatinib). Et en l’absence d’anomalies moléculaires, on s’oriente vers la chimiothérapie, conclut le Pr Blanc. Le CCI, qui était le parent pauvre de l’oncologie, est maintenant un modèle de médecine de précision. Ce qui est inédit dans les cancers digestifs ! ».
D’après la présentation du Pr Jean-Frédéric Blanc (CHU de Bordeaux) lors des Rencontres de la cancérologie françaises (24 novembre 2021)
(1) Abou-Alfa GK et al, Lancet Oncology 2020;Jun;21(6):796-807
(2) Abou-Alfa GK et al; Lancet Oncology 2020 May;21(5):671-684
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