APRÈS LE démembrement moléculaire des lymphomes puis des cancers du sein, vient aujourd’hui le tour de celui des cancers bronchopulmonaires. C’est ainsi que l’on peut s’attendre à l’identification prochaine « d’au moins une demi-douzaine d’adénocarcinomes bronchiques différents et d’autant de carcinomes épidermoïdes, tous définis par une anomalie moléculaire spécifique, indique le Pr Gérard Zalcman. En réalité, il y a souvent plusieurs dizaines d’anomalies moléculaires dans une tumeur donnée et toute la problématique est de savoir quelle est celle dont la cellule cancéreuse est totalement dépendante pour continuer à survivre et à se multiplier. Au fil des divisions, la cellule tumorale va en effet accumuler des événements génétiques, mais, parmi eux, il n’y a souvent qu’une seule mutation « driver » ou fondatrice, c’est-à-dire conditionnant la survie cellulaire ». Il est donc capital de mettre en évidence la « bonne gâchette » sur laquelle on pourra agir. Cette mutation « driver » de la tumeur primitive est également présente dans les métastases. « Certes, ces dernières constituent des clones indépendants qui vont évoluer pour leur propre compte et peuvent acquérir d’autres mutations. Cependant, si ces mutations additionnelles confèrent des propriétés particulières comme la capacité à se mouvoir dans l’organisme, les métastases seront, comme la tumeur primitive, la plupart du temps sensibles à une thérapie ciblant la mutation fondatrice, précise encore le Pr Zalcman. C’est d’ailleurs parce que l’on peut agir sur les métastases que l’on observe des bénéfices en termes de survie avec ces nouveaux traitements ».
De fait, depuis une dizaine d’années, le développement des médicaments anticancéreux s’est radicalement modifié en raison du décryptage progressif des voies de signalisation puis de la possibilité de réaliser une conception informatique de molécules pouvant interagir avec une protéine cellulaire précise, sous réserve de réussir à sélectionner les patients les plus à même de bénéficier de la molécule thérapeutique par biomarqueur spécifique.
« On est ainsi passé d’une sélection des molécules thérapeutique effectuée par criblage en fonction de leur effet clinique, un peu aléatoire, sans connaître leur mode d’action, à une sélection de molécules choisies en fonction de leur capacité à interagir avec des voies de signalisation dont on pense qu’elles jouent un rôle clé dans la survie cellulaire » ajoute le Pr Zalcman.
EGFR et ALK.
Parmi les voies de signalisation activées dans les cancers bronchiques, celle du récepteur de l’EGF a été la plus étudiée et à l’origine du développement de petites molécules dont deux approuvées, le géfitinib et l’erlotinib (et d’autres prochainement). Ces inhibiteurs de la fonction tyrosine kinase de l’EGFR ont globalement montré un bénéfice chez les patients en situation métastatique. Mais bien d’autres anomalies sont ciblées. En particulier, dans certains cancers bronchiques, peut se former un gène de fusion, à l’origine d’une activation constitutionnelle d’une kinase, ALK, responsable d’une prolifération cellulaire incontrôlée et d’un effet antiapoptotique. C’est sur cette voie de signalisation qu’agit le crizotinib, en cours de développement et dont l’efficacité semble très prometteuse, d’ores et déjà approuvé aux États-Unis et bénéficiant d’une ATU de cohorte en France.
Pour le Pr Zalcman, le grand espoir porté par ces nouvelles molécules, qui peuvent déjà permettre de longues survies sans récidive, c’est celui d’aboutir par l’utilisation d’associations de ces molécules ciblées, à une éradication prolongée de la maladie, transformant une maladie aiguë en pathologie chronique, nécessitant un traitement au long cours, à l’instar de ce que les trithérapies antirétrovirales ont permis dans l’infection à VIH.
À cela, il faut ajouter que les effets secondaires des traitements ciblés sont très différents de ceux des chimiothérapies qui peuvent, il faut le rappeler, menacer le pronostic vital. « Le plus souvent, il s’agit d’effets pouvant être gênants au quotidien, mais qui ne mettent pas en péril la vie des patients. Pour les inhibiteurs de l’EGFR, il s’agit essentiellement de toxicités cutanées (dermites séborrhéiques) ; le crizotinib peut, lui, être responsable d’effets oculaires très modestes (troubles de l’accomodation). Des problèmes d’hépatotoxicité ont été rapportés avec certains produits, mais ils restent extrêmement rares. Tous ces médicaments sont susceptibles d’entraîner des diarrhées, habituellement contrôlables et en tout cas bien différentes de celles provoquées par certaines chimiothérapies », explique le Pr Zalcman. L’apparition de résistances et d’échappements thérapeutiques est bien sûr décrite pour toutes ces thérapeutiques, mais, ce qui est fantastique, c’est que l’on comprend maintenant beaucoup mieux quels sont les mécanismes en jeu : il peut s’agir soit d’une nouvelle mutation sur le même gène ciblé par la molécule, soit de l’amplification d’un autre gène, soit d’une mutation située sur un gène codant pour une protéine située en aval de la première cible. Cette amélioration des connaissances offre donc la possibilité de recourir à un autre inhibiteur ciblant ce mécanisme de résistance, soit d’emblée, soit secondairement, en monothérapie ou en association avec la première molécule. Ainsi on peut penser que, très probablement, pour les mêmes raisons que l’on utilise des polychimiothérapies ou des polyantibiothérapies (par exemple dans la tuberculose), de façon à réduire la probabilité d’émergence de résistances, il faudra, à terme, employer des « cocktails » de thérapies ciblées ayant des toxicités non additives afin de pouvoir éradiquer d’emblée, dès l’initiation du traitement, les clones cellulaires minoritaires porteurs d’une mutation à l’origine de la résistance.
Si les discussions ont porté initialement sur la manière d’associer des nouvelles molécules à la chimiothérapie, les réflexions portent donc désormais sur la façon d’associer différentes thérapies ciblées entre elles, « il est clair que l’on peut s’attendre à l’instauration de bithérapies ciblées d’emblée, voire de trithérapies, exactement comme pour le traitement de la tuberculose car l’utilisation concomitante de médicaments agissant sur des mécanismes différents, réduit les risques d’émergence de résistances », souligne le Pr Zalcman.
Ensuite, il faudra bien sûr gérer les toxicités, veiller à ce qu’elles ne soient pas cumulatives, à ce qu’il n’y ait pas d’interactions pharmacodynamiques. Mais l’important est que, tout comme dans l’infection à VIH, on va passer d’une maladie aiguë, mortelle à une maladie chronique, au moyen d’associations thérapeutiques comme de la multiplication des lignes de traitement, au prix d’une gestion correcte des effets secondaires, et d’un monitoring moléculaire déjà en œuvre d’ailleurs dans les hémopathies malignes. On peut même raisonnablement espérer la guérison de certains types de cancers par l’utilisation de certaines de ces thérapies ciblées et l’association des nouvelles thérapies ciblées à la chimiothérapie, qui conservera une place importante dans le traitement du cancer broncho-pulmonaire.
D’après un entretien avec le Pr Gérard, Zalcman, hôpital Côte-de-Nacre, CHU de Caen.
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