Les patients en oncologie ont payé un lourd tribut à la crise sanitaire, dont le bilan dépasse les 100 000 morts en France. Une étude nationale, incluant lors de la première vague 1 289 patients atteints du Covid-19 et de cancer, a mis en évidence 33 % de formes sévères de la maladie et 29 % de décès (1). « Les facteurs prédictifs de mortalité étaient associés à l’âge et aux comorbidités, explique le Pr Thomas Aparicio (AP-HP). Une seconde analyse a aussi montré un surrisque de décès chez les patients ayant reçu une chimiothérapie ».
De plus, les retards de diagnostics occasionnés par la pandémie ont également des conséquences… D’après une étude réalisée par Unicancer (2), « une baisse de 6,8 % de nouveaux cancers diagnostiqués pris en charge a été observée sur les sept premiers mois de l’année 2020 (par rapport à 2019), avec un pic atteignant 21 % en avril/mai, qui n’a toujours pas été rattrapé », ajoute le Pr Blay. Cette diminution était plus prononcée chez les femmes, pour les cancers du sein, de la prostate et non métastatiques. Le retard accumulé sur la période de mars à juillet 2020 aurait pour conséquence 1 000 à 6 000 décès supplémentaires liés au cancer dans les années à venir…
Une réorganisation sur le long terme ?
« Après la sidération du premier confinement, nous avons appris à nous adapter et à sanctuariser la prise en charge des patients atteints de cancer, constate le Pr Aparicio. C’est fondamental de ne pas retarder les soins des patients ».
« En effet, la réorganisation est passée par la mise en place d’une filière Covid, de la téléconsultation, de recommandations de sociétés savantes et de travaux de groupes coopérateurs », reconnaît la Dr Audrey Bellesoeur (Institut Curie). « Parmi les innovations transformantes, la téléconsultation a connu un formidable essor avec la crise sanitaire, et cela va durer », projette le Pr Blay. Cependant, il est nécessaire de bien sélectionner les patients auxquels la proposer. « Elle n'est pas adaptée à une première consultation, ni aux critères de qualité qui entoure la consultation d'annonce en oncologie, relève la Dr Bellesoeur. Cependant, elle permet d’éviter des déplacements longs et pénibles aux patients. Sa place est à redéfinir collectivement ».
La sélection des patients est aussi au cœur d’une autre avancée : la chimiothérapie orale à domicile. Celle-ci est en plein développement, notamment depuis l’article 51 et l’expérimentation nationale d'organisation pour le suivi à domicile des patients sous anticancéreux oraux (autorisée en décembre 2020), proposée par Unicancer et impliquant une trentaine d'établissements.
« Ces modifications organisationnelles, en profondeur, vont perdurer et dépasser la période Covid », prédit le Pr Blay. « On attend aussi beaucoup des infirmières de pratique avancée mais des questions de moyens se posent concernant leur rémunération, le manque de personnel… », ajoute le Pr Aparicio.
Par contre, certaines situations doivent encore évoluer. Par exemple, les visites aux patients hospitalisés sont toujours très réduites, même dans des contextes de fin de vie…
Vaccination : lever les réticences
Les vaccins à ARN sont recommandés pour les patients atteints de cancer et bénéficient d’une relativement bonne acceptabilité. En effet, ils sont moins sous les feux des projecteurs concernant leurs effets secondaires que les vaccins à adénovirus, dont le risque de thrombose atypique associé serait de 11 pour 100 000 vaccinations (pour le vaccin AstraZeneca) [3]. « Cependant, certains patients sont encore réticents à la vaccination, alors qu’ils courent le risque de développer des formes graves en cas d’infection par le SARS-CoV-2. Il faut encore convaincre les derniers réfractaires de se faire vacciner, observe le Pr Aparicio. Par rapport aux effets secondaires de la chimiothérapie, ceux des vaccins sont relativement modérés ».
Chez les patients atteints de cancers hématologiques, ou même de tumeurs solides, il a été constaté un manque d'efficacité et d'apparition d'anticorps protecteurs. « Les patients ont des difficultés à s'immuniser avec le vaccin, d’où la question d'une troisième injection », s’interroge le Pr Aparicio. Les résultats de plusieurs études en cours sont attendus afin d’adapter la stratégie vaccinale. C’est notamment le cas de l'étude COVPOPART, qui évalue la vaccination chez les patients immunodéprimés (greffés ou atteints d'un cancer). Par contre, « une étude israélienne en population, parue tout récemment dans le New England (4), est plutôt rassurante concernant la vaccination chez les patients avec antécédents de cancer », rapporte le Pr Blay.
Recherche : de futures avancées ?
« Bien qu’avec peu d’effectifs et de recul, des études, évaluant des combinaisons d'anticorps monoclonaux dirigés contre les composants du coronavirus, ont rapporté une efficacité significative », observe le Pr Blay. En Europe, une dizaine de pays dont la France permettent donc un accès précoce à ce traitement novateur. En effet, quatre anticorps monoclonaux ont obtenu une autorisation temporaire d’utilisation pour le traitement des formes symptomatiques de Covid-19, chez les adultes à risque élevé d'évolution vers une forme grave de la maladie. En l’absence d’alternative thérapeutique, ils sont mis à disposition de quelques établissements de référence, dont huit centres de lutte contre le cancer (Dijon, Lille, Lyon, Nancy, Nice, Paris, Rouen et Toulouse), pour une administration sous étroite surveillance (5).
Par ailleurs, la crise sanitaire pourrait avoir une retombée positive : l'émergence avec la vaccination de la technologie de l'ARN messager, initialement développée pour la mise au point de traitements anticancéreux, pourrait accélérer son utilisation en oncologie.
Si depuis le début de la pandémie la période a été globalement compliquée sur le plan scientifique, elle n’a cependant pas été infructueuse. Après un gel des avancées lors du premier confinement, la recherche clinique repart. « De nouvelles stratégies thérapeutiques et de nouveaux inhibiteurs de check-point, en association avec un anti-PD1 ou en monothérapie, augurent des programmes de recherche clinique intéressants, annonce le Pr Blay. L’immunothérapie réserve encore de futurs succès, avec une utilisation de plus en plus de précoce et sur de nouvelles cibles ».
D’après une e-conférence de l’Université du change management en médecine (UC2M), le 21 avril 2020
(1) Lièvre A. et al. Risk factors for Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) severity and mortality among solid cancer patients and impact of the disease on anticancer treatment: A French nationwide cohort study (GCO-002 CACOVID-19), European Journal of Cancer 141 (2020) 62-81
(2) Blay JY et al. Delayed care for patients with newly diagnosed cancer due to COVID-19 and estimated impact on cancer mortality in France, avril 2021, doi.org/10.1016/j.esmoop.2021.10013411
(3) Pottegard A et al. Arterial events, venous thromboembolism, thrombocytopenia, and bleeding after vaccination with Oxford-AstraZeneca ChAdOx1-S in Denmark and Norway: population based cohort study, BMJ 2021;373:n1114, doi: https://doi.org/10.1136/bmj.n1114
(4) Dagan N et al. BNT162b2 mRNA Covid-19 Vaccine in a Nationwide Mass Vaccination Setting, N Engl J Med 2021;384:1412-23.
(5) Communiqué de presse d’Unicancer, fédération des centres de lutte contre le cancer, 21 avril 2021
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