Le Pr Norbert Ifrah, 61 ans, PU-PH en hématologie au CHU d'Angers depuis 1989, spécialiste des leucémies aiguës et des allogreffes de cellules-souches hématopoïétiques, a été auditionné ce 1er juin par la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, en vue de sa nomination à la présidence du conseil d'administration de l'Institut national du cancer (INCa), en remplacement du Pr Agnès Buzyn, elle aussi hématologue, partie à la tête de la Haute Autorité de santé.
En terrain connu
« L'individu est souvent le moins important face à l'adversaire : le cancer », a-t-il dit, après avoir tracé à grands traits son portrait : INSERM/CNRS, chef de service et de pôle au CHU d'Angers, à la tête de la CME pendant 8 ans, lauréat de plusieurs appels à projet, président du Comité national de la recherche des CHU, de la 47e section du Conseil national des universités, du pôle cancer de la FHF – et à ce titre membre du conseil d'administration de l'INCa depuis 2008, et auteur de plus de 200 publications internationales référencées.
Quant à l'adversaire, le cancer donc, ce sont 1 000 personnes chaque jour, dont 7 enfants, qui sont confrontées à ce diagnostic, a décrit le Pr Ifrah. Une personne sur 20 a ou a eu un cancer, les plus courants étant la prostate, le sein le côlon et le poumon. Des chiffres qui ont doublé depuis 1980. Les dépenses liées à ces affections représentent 15 milliards d'euros, soit 10 % du budget de l'Assurance-maladie. « La moitié des malades guérissent », a-t-il souligné, insistant sur l'« acuité d'une réflexion sur les séquelles et le droit à l'oubli ».
Manque de moyens
Le Pr Ifrah a dépeint un champ en plein bouleversement, sous l'impulsion de la médecine moléculaire, de la télémédecine, des évolutions en radiologie ou en chirurgie, du développement de l'ambulatoire, etc. Si les promesses sont riches, les motifs d'inquiétude n'ont pas été éludés. Le Pr Ifrah a ainsi observé qu'il ne serait pas tenable pour l'INCa, à l'équilibre en 2015, avec 149 équivalents temps plein et un taux d'exécution budgétaire de 97 %, de continuer à puiser 11 % de son financement sur son fonds de roulement. « Cela risque de conduire à une hiérarchisation des objectifs, qui ne sera pas indolore », met-il en garde.
Il s'est aussi ému de l'explosion du poste des médicaments « très ou moins innovants ». « Nous sommes arrivés à la fin d'un modèle. Il faut le dire haut et fort (...) la méthode de fixation des prix n'est pas soutenable, elle risque à terme d'être contre-productive », a-t-il développé, en appelant à ouvrir la discussion avec tous les acteurs. Il a insisté sur une analyse fine, situation par situation (des nouveaux médicaments, des anciens qui réapparaissent majorés après une rupture, d'autres qui guérissent des malades incurables, ou accordent un répit, etc) et en partie, européenne et internationale.
Articulation ville-hôpital, inégalités, prévention, recherche
Parmi les autres chantiers de l'INCa, le Pr Ifrah a évoqué l'articulation entre la ville et l'hôpital : « Les incertitudes sur les modes de financement à venir, et l'apparition des GHT, ont pu rendre certains établissements de soins prudents, et parfois frileux dans leur coopération. » Il a fait part de son souhait de développer les parcours patient, le patient expert, les infirmiers de coordination, la consultation de fin de traitement. La généralisation dossier communiquant de cancérologie devrait notamment faciliter la réflexion sur la tarification des parcours de soins, et le partage de l'information avec les équipes de premier recours, espère-t-il.
La réduction des inégalités sociales de santé devrait être au cœur de son mandat… modestement, mais sûrement : « Je crois que c'est une addition de petits pas plus qu'une action spectaculaire qui contribuera à leur diminution », a-t-il dit.
Il a rappelé le rôle de l'INCa dans la prévention, alors que 40 % des cancers sont liés à des comportements (tabac, alcool, UV, expositions professionnelles). « Le dépistage organisé de certains cancers – pas de tous - est une arme majeure », a-t-il ajouté. Évoquant certains problèmes d'acceptabilité (notamment des femmes pour le dépistage du cancer de sein), il a fait part de son espoir que l'amélioration de la sensibilité d'un test et l'accessibilité des examens améliorent l'adhésion.
Droit à l'oubli et recherche
Sur le droit à l'oubli, la procédure est lancée et sera révisée chaque année ; « ce n'est pas une petite affaire, il faut discuter avec les assurances notamment qui ont leurs propres contraintes », a-t-il dit.
Enfin, « ce qui me tient le plus à cœur est la recherche », co-pilotée avec Aviesan, a-t-il insisté. Fondamentale, elle doit aider à repérer les mutations à l'origine des cancers et leurs évolutions. Elle doit aussi s'ouvrir aux sciences dures (mathématiques, physiques, chimie), pour exploiter les perspectives ouvertes. Le Pr Ifrah a aussi vanté la recherche clinique, source d'accès à l'innovation pour les malades, en lui assignant comme domaine prioritaire de développement la chirurgie, la radiothérapie, la pédiatrie et oncologériatrie. Sans oublier la recherche épidémiologique, médico-économique, et en sciences humaines pour cernes les inégalités sociales, les inquiétudes, le déni, le retour au travail ou l'oubli. « L'objectif de 50 000 patients dans des essais thérapeutiques en 2019 est très ambitieux » a-t-il estimé, revenant sur l'un des engagements du 3e Plan Cancer. « Toutefois, de 2008 à 2014, le nombre de malades est passé de 12 000 à 43 000 », a-t-il précisé.
Et de souligner l'adhésion franche de tous les acteurs à l'InCA, dont les avancées dans le cancer peuvent profiter à d'autres malades chroniques, a-t-il conclu.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024