Tumeurs ORL

Quelle stratégie aux stades avancés ?

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Publié le 21/11/2019
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Quatrième cause de cancer en France avec 14 000 nouveaux cas par an, les cancers ORL touchent surtout les hommes (deux tiers des cas) et leurs principaux facteurs de risque sont le tabac, l'alcool et l'HPV. Si au stade localisé la chirurgie et/ou la radiothérapie permettent 70 % de guérison, au stade avancé les possibilités se multiplient...  Explications du Pr Sandrine Faivre et du Dr Hélène Gauthier (CHU Saint Louis, Paris).
Survie globale pembrolizumab/chimiothérapie versus EXTREME

Survie globale pembrolizumab/chimiothérapie versus EXTREME
Crédit photo : DR

"Les tumeurs oropharyngées HPV (+) sont liées à une carcinogenèse différente des autres tumeurs ORL : la maladie est plus homogène avec des tumeurs plus radio- et chimio-sensibles. Souvent, elles ne sont pas opérées et traitées par radiothérapie +/- chimiothérapie. On se demandait si on pouvait les traiter moins agressivement pour s'affranchir en particulier de la toxicité rénale du cisplatine en le remplaçant par du cétuximab. La réponse est clairement non", résume la Pr Sandrine Faivre. Dans deux essais, l'un britannique (1), l'autre américain (2), le traitement par radiothérapie/cétuximab a réduit les chances de survie sans franche diminution des effets secondaires par rapport au standard radiothérapie/cisplatine. "Cette option radiothérapie/cétuximab est donc exclue pour les tumeurs HPV+".

Peu d'intérêt à remplacer le 5FU par un taxane 

"Pour les tumeurs récidivantes et/ou métastatiques, le standard de traitement depuis 2008 est le protocole EXTREME associant platine/5 FU/cétuximab avec 6 cycles en traitement d'attaque. Une étude française a testé le remplacement du 5FU par un taxane et une réduction à 4 cycles du traitement d'induction (protocole TPEx) dans l'intention d'améliorer l'efficacité et la tolérance du traitement. Ses résultats sont décevants" (3). Si la tolérance est sensiblement meilleure, les courbes de survie sont superposables malgré une tendance encourageante pour TPEx (14,5 mois dans le bras docétaxel vs 13,4 mois avec le 5 FU ; RR = 0,87 ; NS,). Pourquoi cet échec ? "Le seul platine autorisé dans TPEx était le cisplatine alors que le carboplatine l’était aussi dans l'étude princeps EXTREME. On a donc probablement inclus des patients en meilleur état général et de meilleur pronostic. De fait, la survie du bras contrôle est de 13,4 mois alors qu’elle était à 10,1 mois dans l'étude princeps. Ce qui pourrait expliquer en partie l'échec de supériorité de TPEX ", commentent Sandrine Faivre et Hélène Gauthier. Quoi qu'il en soit, "cette étude ne devrait pas changer les pratiques. Chez certains patients fragiles, elle peut toutefois permettre d'envisager le docétaxel à la place du 5FU, en l'absence de dégradation de la survie et l'existence d'un gain en termes de tolérance".

Quel schéma d'immunothérapie et pour qui ?

Les tumeurs ORL sont assez sensibles à l'immunothérapie. La démonstration en a été faite l'an passé en seconde ligne par le nivolumab (essai CheckMate 141) puis le pembrolizumab (essai Keynote-040). Tous deux avaient été comparés en monothérapie aux options de traitements de seconde ligne - taxane, méthotrexate ou cétuximab au choix de l'investigateur - avec des résultats positifs. Cette année un vaste essai est venu élargir en première ligne les indications potentielles de l'immunothérapie dans ces formes récidivantes et/ou métastatiques.

L'étude Keynote-048, dont les résultats ont été présentés à l'ESMO (4) puis à l'ASCO (5), a comparé en première ligne le pembrolizumab en monothérapie ou associé à 6 cycles de chimiothérapie standard au traitement de référence "EXTREME". Les données montrent, d’une part, que l'immunothérapie est plus efficace en monothérapie chez les patients dont la tumeur exprime PD-L1 et, d'autre part, qu'elle fait mieux en association à la chimiothérapie que EXTREME.

"En monothérapie, le pembrolizumab améliore la survie dès un score CPS* ≥ 1 % (12,3 mois vs 10,3 mois ; RR = 0,78, p = 0,0086) et plus encore pour un score CPS ≥ 20 % (14,9 mois vs 10,7 mois RR = 0,61) ; soit chez une majorité de patients puisque 85 % ont un CPS ≥ 1 % et autour de 40 % un CPS ≥ 20 %. Toutefois, le taux de répondeurs est faible (19-23 %) et l'on a 30-40 % de progressions primaires ", expliquent la Pr Faivre et la Dr Gauthier. En association à la chimiothérapie, l’ensemble des patients tirent un bénéfice du traitement (13 mois vs 10,7 mois de survie). Et ceci sans ajouter de progression tumorale, ni de toxicité.

"Le bénéfice en monothérapie dès un CPS ≥ 1 % est probablement largement lié aux sujets à CPS ≥ 20 %. Il semble donc judicieux de réserver la monothérapie aux CPS ≥ 20 % et de privilégier l'association immuno/chimiothérapie chez les autres sachant qu'avec ce schéma on s'affranchit d’un surcroît de progression tumorale, qui pose problème. Mais c'est aux agences de peser le pour et le contre en intégrant également la problématique du coût ", commente Sandrine Faivre. Affaire à suivre…

*score CPS : score combiné de cellules tumorales et immunitaires stromales (lymphocytes, macrophages) exprimant PDL1
(1) H Mehanna. Lancet 2019;393: 51-60.
(2) ML Gillison et al. Lancet 2019;393:40-50.
(3)J Guigay et al. ASCO 2019.
(4) B Burtness et al. ESMO 2018
(5) D Rischin et al. ASCO 2019.

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr