La patiente a comme antécédents un chondrosarcome sphénoïdal traité par chirurgie et radiothérapie en1999. Elle en garde des désordres endocriniens : insuffisance gonadotrope (traitée par THS), thyréotrope (traitée par Lévothyrox 125 μg/j), somatotrope (traitée par Norditropine 0,4 mg/j). En 2013, elle a aussi été opérée d’un méningiome post-radiothérapie.
Cliniquement, la patiente a depuis l’enfance une hypertrophie du membre inférieur droit (figure 1), avec inégalité de longueur de membre. Elle présente aussi des lésions vasculaires distales, situées dans le talon droit et les orteils, qui peuvent être douloureuses. Evoquant des phénomènes de thrombose locale, elles sont à l’origine de saignements localisés et de phlébolithes. Elles ont été étiquetées « hémangiomes » (figure 2).

Récemment, est apparue une lésion pseudo-tumorale de l’extrémité inférieure du fémur droit, indolore, mais évolutive d’environ 8 cm de diamètre (figure 3). La patiente ne présente pas d’altération de l’état général ni de fièvre.

Sur les radiographies (figure 4), on observe des lésions squelettiques multiples au niveau du bassin, fémur, tibia, fibula, bilatérales et asymétriques, costales (du côté droit) et crâniennes. Elles évoquent des enchondromes.

La lésion pseudo-tumorale de l’extrémité inferieur du fémur droit est une lésion exophytique du bord médial du fémur (figure 5), avec présence de calcifications en grain, bien limitée, associé à une masse para patellaire droite avec des calcifications arrondies. Des enchondromes sont présents sur l’extrémité supérieure de la fibula et face interne du tibia. Sur le scanner, la coque périostée de la lésion exophytique est discontinue par endroit, associée à une matrice d’allure mixte cartilagineuse (en arc et en anneau) et osseuses.

Sur l’IRM (figure 6), la lésion métaphyso-diaphysaire est en hypersignal hétérogène sur les séquences pondérées T2, un signal intermédiaire et hétérogène sur les séquences pondérées T1. Elle est de forme ovalaire, à contours polylobés, avec prise de contraste à l’injection de gadolinium. Par ailleurs, on observe au sein des tissus mous la présence d’images de contours polylobés (hyperT1 et hyperT2), avec rehaussement hétérogène après injection correspondant à des hémangiomes. Enfin, on constate également la présence d’enchondrome épiphysaire et métaphyso-diaphysaire de l’extrémité inferieure du fémur et au niveau épiphyso-métaphysaire de l’extrémité supérieure du tibia.

Une intervention chirurgicale est réalisée : biopsie exérèse avec comblement par ciment acrylique. La biopsie a permis d’établir le diagnostic de maladie d’Ollier, ou enchondromatose multiple, devant l’aspect d’une prolifération cartilagineuse bien différenciée, comportant quelques irrégularités typiques des tumeurs cartilagineuses de cette pathologie. Il n’existe pas d’argument macroscopique, ni histologique en faveur d’une transformation maligne (figures 7 et 8). L’association aux hémangiomes permet d’affirmer le syndrome de Maffucci.


Des enchondromes multiples, signes de la maladie d’Ollier
La maladie d’Ollier est caractérisée par la présence de multiples enchondromes (≥3), de distribution bilatérale et asymétrique. Ils siègent préférentiellement au niveau de la métaphyse des os longs (fémur, humérus) et très fréquemment sur les phalanges, métacarpes/tarses. Puis par extension, les diaphyses et/ou épiphyses sont atteintes.

Il s’agit d’une maladie osseuse rare, dont la prévalence est de 1/100,000, avec une grande hétérogénéité clinique et génétique (1,2). Sa physiopathologie correspond à des anomalies des voies de signalisation contrôlant la prolifération et la différenciation des chondrocytes, conduisant au développement de foyers cartilagineux intra-osseux. Il s’agit majoritairement de mutations hétérozygotes (R150C) dans le récepteur PTH/ PTHrP (gène PTHR1) ou de mutations hétérozygotes des gènes IDH1 (98%) et/ou IDH2 (2%)(2).
Les signes cliniques surviennent dès la première décennie de vie : masses osseuses palpables souvent sur un doigt ou un orteil (associées à un raccourcissement asymétrique d'une extrémité) et déformations osseuses (parfois sur des fractures pathologiques). Des déformations de l'avant-bras sont fréquemment rencontrées et similaires à celles observées dans les exostoses multiples héréditaires (HME). Le tronc n'est généralement pas affecté (à l'exception des enchondromes costaux et de la scoliose résultant d'un déséquilibre du bassin). Les vertèbres et les os de la face semblent de façon caricaturale épargnés par les enchondromes.
Des lésions visibles à l’imagerie
Sur les radiographies, on retrouve de multiples lésions homogènes de forme ovale ou allongée, parallèles au grand axe, ostéolytiques. Elles présentent des marges sclérotiques bien limitées et un aspect de verre dépoli. Des calcifications intra-lésionnelles apparaissent secondairement. Les enchondromes sont fréquemment assemblés en grappes, responsables de l’élargissement métaphysaire, visible notamment au niveau des doigts (4,5).
Le scanner est un examen utile pour une meilleure visualisation de la matrice cartilagineuse, notamment sur des structures osseuses complexes comme le pelvis. L’IRM montre des lésions lobulées avec signal intermédiaire en T1 et hyper-T2, hétérogène. La scintigraphie osseuse révèle une hyperfixation métaphysaire et/ou diaphysaire des zones atteintes. Enfin, le PET-TDM FDG a un intérêt pour l’évaluation du risque de dégénérescence sarcomateuse (2).
Un risque de dégénérescence sarcomateuse
C’est en effet le principal risque évolutif de cette pathologie, avec une incidence de 5 à 50% des cas de maladie de Ollier. Ce risque augmente de façon proportionnelle à la quantité de tissu dysplasique et selon la localisation des atteintes. Il est accru en cas de localisation au niveau du bassin, de la ceinture scapulaire, du fémur distal et du tibia proximal. De plus, certaines anomalies génétiques, notamment les aberrations cytogénétiques (délétion du bras court du chromosome 1 [del(1) (p11p31.2)], 3p, 5q, 6q, 9p) et les mutations somatiques des gènes PTHrP, PTHR1 et Bcl2 augmentent encore ce risque (2).
Une prise en charge chirurgicale
Il n’existe pas à ce jour de traitement médical pour la maladie d'Ollier. La chirurgie est indiquée en cas de complications : déformation osseuses, inégalité de longueur de membre, fractures pathologiques, transformation maligne. Elle passe par la réalisation d’un curetage intra-lésionnel avec ou sans greffe osseuse, ou par une ostéotomie de réaxation associée à un enclouage centromédullaire. Les objectifs sont de réaliser un alignement mécanique du membre atteint, de récupérer une longueur de membre équivalente et/ou de soulager la douleur d'une fracture pathologique. Notre patiente a ainsi bénéficié de son intervention orthopédique (6).
Service de Rhumatologie, Hôpital Lariboisière.
1. Silve C et al. Ollier disease. Orphanet J Rare Dis. 2006 Dec;1(1):37.
2. Kumar A et al. Ollier Disease: Pathogenesis, Diagnosis, and Management. Orthopedics. 2015 Jun 1;38(6):e497–506.
3. Ghatan A et al. Extreme Enchondromatosis: A Report of Two Cases and Review of the Literature. J Bone Jt Surg-Am Vol. 2010 Oct;92(13):2336–43.
4. Sassoon AA et al. Enchondromas of the Hand: Factors Affecting Recurrence, Healing, Motion, and Malignant Transformation. J Hand Surg. 2012 Jun;37(6):1229–34.
5. Sadiqi J et al. Radiographic features of Ollier’s disease – two case reports. BMC Med Imaging. 2017 Dec;17(1):58.
6. Watanabe K et al. Treatment of lower limb deformities and limb-length discrepancies with the external fixator in Ollier’s disease. J Orthop Sci. 2007 Sep;12(5):471–5.
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