L’arthrose est un processus dégénératif chronique, non inflammatoire, par atteinte initiale du cartilage. Au poignet, elle est souvent secondaire à des séquelles traumatiques ou une affection métabolique (1-3). Elle peut se manifester comme une simple affection douloureuse chronique, jusqu’à la paralysie de la main. À ce stade, le traitement conservateur par antalgiques, anti-inflammatoire non stéroïdiens (AINS), orthèse et infiltration(s), doit toujours être tenté dans un premier temps. La chirurgie fait appel à de nombreuses techniques dites palliatives, dont le choix est déterminé par l’étiologie, la localisation de l’arthrose et le patient (4).
Caractéristiques
La prévalence de l’arthrose du poignet n’est pas connue, elle est en effet souvent asymptomatique, en particulier après fracture du radius distal, mais aussi après instabilité scapholunaire (5, 6). Une seule analyse systématique de 4 000 radiographies de poignets a retrouvé une arthrose dans un peu plus de 5 % des cas, qui concernait à 95 % les articulations autour du scaphoïde (1).
Les causes traumatiques sont dominées par les lésions ligamentaires dissociatives de la première rangée (désaxations scapholunaire et triquétrolunaire) et ostéo-articulaires (pseudarthrose du scaphoïde ou cal vicieux articulaire du radius distal). L’arthrose peut aussi faire suite à une affection inflammatoire ou métabolique : chondrocalcinose articulaire (CCA) surtout, ou goutte, nécrose osseuse primitive (maladie de Kienböck ou de Preiser), malformation (maladie de Madelung) (2, 3, 7). Rarement, il n’y a pas d’étiologie patente, comme dans certaines arthroses scapho-trapézo-trapézoïdiennes (STT).
En fonction de l’étiologie, la topographie et l’évolution de l’arthrose sont relativement stéréotypées et conditionnent en partie le traitement chirurgical. L’arthrose sur pseudarthrose du scaphoïde (fig. 1) et désaxation scapholunaire (fig. 2) débute au niveau de l’interligne radioscaphoïdien (stades 1 et 2) puis concerne l’interligne médiocarpien (fig. 3 et 4), en particulier capitolunaire (stade 3) (5, 8). L’arthrose sur désaxation triquétrolunaire concerne d’emblée l’interligne médiocarpien. Fait essentiel, l’interligne radio-ulnaire est habituellement indemne et peut être utilisé pour conserver un peu de mobilité au poignet. Au contraire, l’arthrose après fracture articulaire du radius distal concerne l’interligne radiocarpien. Elle est généralement bien tolérée, même à long terme (6). L’atteinte peut être limitée à l’articulation radiolunaire, après une fracture localisée, une maladie de Kienböck ou dans la CCA (2).
Données cliniques et examens complémentaires
La clinique est assez stéréotypée, associant des douleurs mécaniques, une diminution des mobilités et une perte de force. Ce tableau est généralement d’installation progressive mais parfois déclenché par un traumatisme ou une activité soutenue inhabituelle. La survenue d’un épisode inflammatoire aigu doit faire évoquer une possible CCA. À l’examen, outre la limitation des mobilités, on peut retrouver une tuméfaction le plus souvent dorsoradiale liée à la fois aux ostéophytes et à une synovite localisée. La palpation doit préciser tous les sites douloureux et explorer aussi l’articulation radio-ulnaire distale, un problème associé à ce niveau pouvant être une source d’échec relatif (4, 9).
Les radiographies standards, de face et de profil, sont le plus souvent suffisantes pour porter le diagnostic d’arthrose ainsi que celui de son étiologie (fig. 1 à 4). La présence de calcifications du ligament triangulaire sera aussi recherchée ainsi qu’une arthrose des métacarpophalangiennes, en faveur d’une CCA. La réalisation d’un scanner ou mieux d’un arthroscanner doit être systématique avant une arthrodèse partielle, pour confirmer la bonne qualité de l’interligne restant ainsi qu’avant une résection de la première rangée pour préciser l’état du cartilage de la tête du capitatum.
Techniques palliatives
• Les résections arthroplastiques suppriment un conflit douloureux par la résection de tout ou partie d’un os, voire de plusieurs. La plus utilisée est la Résection de la première rangée des os du carpe (RPRC) (fig. 5) mais elle n’est réalisable que si les cartilages de la fossette lunarienne du radius et de la tête du capitatum sont respectés (10, 11). Ses bons résultats se maintiennent, avec un taux de survie de 65 % à plus de 20 ans (11), les échecs précoces sont de l’ordre de 5 à 12 % (10,12). Environ 50 % des patients ne ressentent aucune douleur. Les résultats sont moins satisfaisants chez les travailleurs manuels lourds (12) et, moins durables chez les sujets jeunes (11). La résection arthroplastique peut être associée à une interposition tendineuse ou à un matériau synthétique, le pyrocarbone – biocompatible sans ostéo-intégration avec un faible coefficient de frottement et un module de Young proche de l’os (14,15). Il a donné lieu à différents implants d’interposition qui semblent bien tolérés mais sont exposés au risque de luxation (16).
• Les arthrodèses partielles sont préconisées lors d’une arthrose localisée, avec persistance d’au moins un interligne de bonne qualité (17). Globalement, la mobilité moyenne restante est de 50 à 67 % (3) avec une échelle d’évaluation de la douleur (EVA) moyenne de 2 à 3/10, l’indolence complète étant obtenue dans 50 à 60 % des cas (9, 18). Elles sont associées à un pourcentage important de complications précoces, dominées par les pseudarthrodèses (17). Dans le traitement de l’arthrose sur pseudarthrose du scaphoïde ou désaxation scapholunaire, l’Arthrodèse médiocarpienne (AMC) est associée à une scaphoïdectomie (fig. 6). En l’absence de complication initiale, elle donne des résultats qui restent satisfaisants au-delà de 10 ans et préserve 60 à 80 % de la force (19).
• L’arthrodèse totale (AT, fig. 7) n’est souvent réalisée qu’après échec d’une ou plusieurs interventions préservant la mobilité (20) or dans ces conditions elle donne de moins bons résultats (4). Si elle est réalisée en première intention, l’AT procure une EVA moyenne de 2/10 et une force de 80 à 90 %, et permet le plus souvent le reprise du travail (4). La perte de la mobilité est rarement ressentie comme un problème, avec un taux de satisfaction de 80 à 100 % (20).
• La dénervation est un traitement symptomatique, qui agit par suppression des informations nociceptives d’origine articulaire. Des échecs immédiats et une dégradation du bénéfice sont possibles les premières années mais, au-delà, les résultats semblent stables (28). Le taux de reprises varie de 0 à 16 %. Au prix d’une faible morbidité et d’un arrêt de travail court, elle permet de préserver la mobilité voire de l’améliorer, au moins à moyen terme (21). La dénervation soulage la douleur dans 70 à 75 % des cas, avec une EVA de 2 à 3, 80 % des patients sont satisfaits. Le résultat n’est pas lié à l’âge, mais le soulagement est insuffisant chez les manuels lourds (21).
• Concernant les prothèses totales de poignet (PTP), même si les dernières séries rapportent des résultats plus favorables, l’évolution de la fixation de l’implant distal reste problématique (22). Parmi elles, la ReMotion semble donner des résultats prometteurs dans les poignets dégénératifs avec 92 % de survie à 4 ans de recul moyen et un taux de satisfaction de 95 % (23), mais le taux de descellements est de 18 %.
• Les greffes ostéochondrales autologues d’origine costale peuvent être utilisées à la fois comme spacer ou en resurfaçage. Concernant les poignets dégénératifs, Obert et al. les ont utilisés pour traiter des SLAC et SNAC wrists, des cals vicieux limités à la surface lunarienne du radius et des maladies de Kienböck de stade IV (24). Les auteurs rapportent des résultats favorables à la fois sur la douleur et la fonction, avec des greffons viables.
Indications chirurgicales
En cas d’échec du traitement médical, le choix thérapeutique se fait d’abord en fonction de l’étiologie et l’étendue de l’arthrose, pondéré par les mobilités restantes, l’âge et la demande fonctionnelle du patient (3,4). Il faut aussi prendre en compte ses possibilités de reconversion professionnelle. Chaque intervention a des complications potentielles et des limites que le patient doit connaître et auxquelles il s’adaptera plus ou moins en fonction du contexte psychosocial. En cas d’échec précoce, la nécessité d’une seconde opération retardera sa réintégration socioprofessionnelle et augmentera le risque d’échec d’une arthrodèse totale.
Il faut préserver au maximum un débattement articulaire tout en gardant à l’esprit que les études montrent que le retentissement fonctionnel est comparable quelle que soit le degré de restriction (10, 20) ; l’objectif prioritaire reste le soulagement efficace de la douleur (4).
• Dans les formes évoluées de maladie de Kienböck, le traitement palliatif s’impose le plus souvent. Une arthrodèse partielle est possible pour décharger le lunatum mais on remarque plus d’échecs qu’avec l’AT (17). Celle-ci donne un résultat fiable auprès des patients jeunes et manuels (4). Auprès des patients sédentaires avec des mobilités préservées, ou âgés, la dénervation peut éviter une immobilisation et les complications potentielles des arthrodèses (10,21). L’utilisation d’un spacer de cartilage costal reste à valider à long terme (24).
• Dans les arthroses avec instabilité scapholunaire et pseudarthose du scaphoïde, une méta-analyse comparant les séries de RPRC et d’AMC n’a pas montré de différence en ce qui concerne le soulagement de la douleur, la force et le résultat subjectif (13). La RPRC est techniquement plus simple, avec une faible morbidité qui contrebalance le risque d’échec précoce inhérent à cette intervention et elle pourrait préserver une dizaine de degrés supplémentaires (12,13). Dans les stades 2 chez un manuel lourd, l’AMC paraît plus logique car la dégradation de l’interligne serait plus tardive. Pour un patient peu manuel ou sédentaire, la RPRC ou la dénervation sont possibles, en fonction de l’âge, des mobilités et des désirs du patient. Pour les stades 3, il n’y a plus de place pour la RPRC et, en fonction de l’âge et de l’activité, on discute entre AMC et dénervation.
• Pour les arthroses radiocarpiennes secondaires à une fracture articulaire du radius, l’intervention de référence est l’arthrodèse radioscapholunaire associée à une résection du pôle distal du scaphoïde (9). Dans les formes localisées à l’interligne radiolunaire, peuvent être envisagées soit une arthrodèse radiolunaire, soit une greffe ostéochondrale (24). Pour l’arthrose STT isolée, le traitement de référence reste l’arthrodèse STT. Peut aussi se discuter une résection du pôle distal scaphoïde avec interposition, mais elle présente un risque d’instabilité secondaire (16). Enfin, pour une arthrose pisotriquétrale symptomatique, l’ablation sous-périostée du pisiforme est le traitement de choix (3,10).
Dans les atteintes diffuses avec un poignet raide et douloureux, le choix se fera entre l’arthrodèse totale chez un patient manuel jeune (fig. 7) et la dénervation chez un sédentaire. Chez un sujet âgé, l’intervention de première intention est la dénervation ; il n’y a qu’en cas d’échec qu’une arthroplastie d’interposition ou une PTP peut être discutée.
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