La prise en charge thérapeutique des fractures de l’humérus proximal, la plus fréquente fracture de l’épaule, a considérablement évolué sur les vingt dernières années, en termes de pronostic articulaire et de délai de récupération. Chez le senior elles représentent la 3e cause de fracture. La plupart sont alors peu ou pas déplacées, donc accessibles à un traitement orthopédique (attelle). Ce n’est qu’en cas de fracture déplacée ou comminutive, que le traitement chirurgical est envisagé (fig.1) : en particulier la prothèse car, contrairement au sujet jeune, l’ostéoporose et les risques de nécrose de la tête humérale rendent l’ostéosynthèse peu envisageable.
De l’hémiarthroplastie à la PTI
Le versant scapulaire glénoïdien étant épargné, la prothèse de référence est longtemps demeurée l’hémiarthroplastie avec reconstruction des tubérosités (trochiter et trochin) autour de la prothèse. L’ostéoporose majeure, la comminution fracturaire, l’insuffisance de la coiffe des rotateurs, la non compliance post-opératoire par troubles cognitifs, conduisent souvent à un déplacement secondaire, une pseudarthrose ou un cal vicieux des tubérosités. Le résultat fonctionnel s’en trouve alors très limité voire catastrophique (fig. 2).
C’est ainsi que la prothèse totale inversée (PTI) a trouvé sa place dans cette population âgée. Son fonctionnement biomécanique intrinsèque, basé sur la seule valeur fonctionnelle du deltoïde, permet de s’affranchir du problème de la coiffe des rotateurs. Le résultat devient alors beaucoup fiable, reproductible et la restauration de l’autonomie plus rapide.
Fonctionnement
Dans l’arthrose d’épaule secondaire à une rupture massive irréparable de la coiffe des rotateurs, on observe une ascension de la tête humérale sous l’acromion, générant une détente du muscle deltoïde. La perte de puissance engendrée, associée à une coiffe non fonctionnelle et une excentration supérieure secondaire de la tête humérale, conduit progressivement à une impotence fonctionnelle douloureuse totale de l’épaule (fig. 3).
La prothèse anatomique, étant non contrainte, rend alors l’épaule moins douloureuse mais ne permet pas une récupération fonctionnelle de qualité. C’est en 1985 que le Pr Paul Grammont (Dijon) crée le concept de PTI. Elle est fondée sur 3 grands principes biomécaniques (fig. 4) :
Un centre de rotation fixe. Il stabilise l’articulation gléno-humérale en luttant contre l’ascension verticale naturelle de la tête humérale et permet à l’humérus de tourner autour de la sphère.
Médialisation de ce centre de rotation à la jonction os (glène) / prothèse (glénosphère). Cela augmente la résistance de l’implant aux forces d’arrachement du deltoïde et mobilise des fibres musculaires supplémentaires des faisceaux antérieurs et postérieurs de celui-ci pour augmenter sa force.
Abaissement de l’humérus, ce qui augmente la tension du deltoïde, donc sa puissance.
Le membre supérieur retrouve ainsi une anté-élévation et une abduction active indolore. Toutefois deux problèmes principaux demeurent :
un risque important de descellement, du fait des forces verticales de cisaillement induites par la tension du deltoïde et du conflit entre le versant huméral prothétique et le pilier de la scapula (lyse osseuse appelée encoche scapulaire), induit par la médialisation de l’humérus (fig. 5) ;
Le déficit de rotations (interne et externe) : le deltoïde restaure l’antéélévation et l’abduction au-dessus de l’horizontale mais n’est pas rotateur. La rotation externe n’est alors pas assurée, générant une impossibilité d’apporter correctement la main au visage.
Après des premiers résultats encourageants, les indications de prothèse totale inversée se sont progressivement élargies : révision des prothèses anatomiques, séquelles de fracture, chirurgie tumorale… mais aussi en traumatologie fraîche, dans les fractures complexes de l’épaule du sujet âgé, population la plus à risque d’échec des hémiarthroplasties. La prothèse permet ainsi de s’affranchir du problème de non-consolidation en position anatomique des tubérosités qui aboutissait à un échec fonctionnel par insuffisance de la coiffe des rotateurs.
Une chirurgie et des suites mieux maitrisées
L’expérience de l’implantation de ces prothèses dans le cadre des fractures s’est considérablement enrichie. L’intervention est maintenant bien codifiée et reproductible (fig. 6). En fonction de la qualité osseuse, une greffe, prise aux dépends de la tête humérale, peut être nécessaire.
Les suites opératoires sont marquées par une immobilisation dans un gilet orthopédique (le plus souvent coude au corps) pour un mois. Les patients entourés regagnent leur domicile immédiatement. La mobilisation douce du membre supérieur est la plupart du temps directement autorisée pour les actes de la vie quotidienne, afin de restaurer rapidement l’autonomie. Les séances de kinésithérapie sont débutées immédiatement. Le résultat final est généralement obtenu après 3 à 6 mois.
Résultats préliminaires
Les premiers résultats ont été publiés en 2006 par Cazeneuve avec un nombre de cas limités et un faible recul mais ils étaient encourageants :
l’anté-élévation active atteint 100 à 120° en moyenne ;
peu de catastrophes fonctionnelles, comme observées parfois avec les hémiarthroplasties ;
des résultats cliniques globalement meilleurs par rapport aux hémiarthroplasties, chez le sujet de plus de 70 ans, et surtout rapidement acquis, ce qui est capital en traumatologie du sujet âgé ;
une satisfaction quasi constante des patients.
Les auteurs pointent certains problèmes :
la résection des tubérosités génère un déficit systématique de rotation, se répercutant sur la qualité de vie des patients puisque leur membre supérieur ne fonctionne que dans un seul plan de l’espace (l’anté-élévation). De nombreux patients ne pouvaient plus effectuer des gestes simples de la vie quotidienne (se laver, se coiffer, manger, effectuer les soins d’hygiène…) au point qu’ils préférent le résultat d’une hémiarthroplastie (qui conserve de la rotation), pourtant objectivement moins bon ;
une fréquence importante d’encoches scapulaires (lyse osseuse au niveau du pilier de l’omoplate en raison du contact entre le versant huméral de la prothèse inversée et le pilier de l’omoplate), problème connu de la prothèse inversée, mais semblant majoré en traumatologie. Elles peuvent faire craindre une chute rapide de la courbe de survie des prothèses par descellement de la pièce glénoidienne. Leur taux est variable dans la littérature (50 à 33 % selon les auteurs) ;
une absence de résultats clairement statistiquement significatifs en faveur de la prothèse inversée par rapport aux hémiarthroplasties, en raison d’échantillons statistiques trop faibles ;
un taux de complications élevé : neurologiques, souvent transitoires (12 à 4 %), infections profondes (7 à 2 %), instabilités prothétiques (2 %).
Les auteurs concluent alors que la prothèse inversée en traumatologie fraîche a probablement une place dans l’arsenal thérapeutique des fractures complexes de l’extrémité supérieure de l’humérus, mais uniquement chez le sujet âgé (> à 75 ans) en raison du déficit de rotations, du taux de complications potentielles et des doutes sur la survie à long terme de la prothèse.
Réanimation des rotations
Afin de permettre au patient de récupérer l’utilisation du membre supérieur dans tous les plans de l’espace, les tubérosités ont alors été réinsérées autour de la prothèse inversée. Le supra-épineux est systématiquement réséqué. Une étude rétrospective comparative a alors montré que la consolidation des tubérosités en position anatomique permettait la restauration des rotations et l’amélioration de la qualité de vie des patients (fig. 7). Le taux de consolidation en position anatomique est variable, de 50 à 97 %, mais semble meilleur que pour les hémiarthroplasties chez le sujet âgé.
L’encoche scapulaire est un problème fréquent et connu de longue date (60 % d’encoches à 5 ans de recul). Plusieurs modifications techniques ont permis de les réduire, comme l’abaissement de l’implantation de la glénosphère, la latéralisation de l’humérus par greffe osseuse de la glène (Bio-RSA) [fig. 8], ou dans la prothèse. Ces modifications techniques n’ont pas encore été clairement validées en traumatologie.
D’après le symposium des Prs D.Gallinet, Ph.Valenti, P.Boileau
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024