Chirurgie non cardiaque.

Les bêta-bloquants sont-ils indiqués ?

Publié le 19/06/2014
Article réservé aux abonnés
1403142094528814_IMG_131459_HR.jpg

1403142094528814_IMG_131459_HR.jpg
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Le stress péri-opératoire lié au déséquilibre de la balance en oxygène favorise la survenue d’infarctus du myocarde (IDM) post opératoire chez des patients à risque. En per et en postopératoire, les apports en oxygène diminuent tandis que les besoins augmentent (désaturation, hypo- et hypertension artérielle, tachycardie, anémie…). Pourquoi utiliser les bêta-bloquants ? Le stress et la douleur péri-opératoire provoquent une activation sympathique responsable de tachycardie et d’hypertension artérielle délétères pour le myocarde.

L’engouement

En 1996, une étude (1) montre que les bêta-bloquants diminuent la morbi-mortalité cardiovasculaire jusqu’à 2 ans après la chirurgie. Elle est très critiquée : des patients sous bêta-bloquants sont randomisés pour ne plus en recevoir : syndrome de sevrage et surmortalité s’ensuivent…

En 1999, Poldermans et al. publient Decrease (2). Cette étude montre que le bisoprolol diminue considérablement la mortalité cardiovasculaire chez des patients à haut risque. La communauté médicale s’enthousiasme, adopte ce traitement préventif par bêta-bloquants … oubliant un des critères d’inclusion de l’étude : patients à très haut risque cardiovasculaire, qui avaient une indication de ß-bloquant en dehors d’un contexte opératoire.

L’engouement est tel qu’en 2000 l’American College of Cardiologie et l’European Society of Cardiology recommandent de prescrire à tous les patients un bêta-bloquant cardio-sélectif en péri-opératoire, 3 semaines avant une intervention à risque. Les sociétés d’assurances en font un indicateur de bonne pratique. « On donnait des bêta-bloquants à tous les patients alors que les études – citons celle rétrospective de Lindenaueur (3)- montraient qu’ils bénéficiaient surtout aux plus graves » explique le Pr Vincent Piriou.

Le retour de balancier

De 2005 à 2007, 3 études randomisées (DIPOM (4), MavS (5), POBBLE (6) passent quasi-inaperçues. Elles montrent que les bêta-bloquants n’apportent aucun gain sur les événements cardiovasculaires ou la survie des patients à risque intermédiaire.

Mais en 2008, la publication par Devereaux et al. de POISE (7) crée le retour de balancier : cette étude pivot multicentrique randomisée mondiale sur plus de 10 000 patients note une mortalité accrue par AVC du groupe bêta-bloqué. « Des conclusions hâtives ont certainement été tirées. Les AVC observés sous bêta-bloquants sont probablement le fait d’hypotensions artérielles. L’étude a été critiquée pour surdosage en bêta-bloquants et de nombreux pays y participant ne disposaient pas de protocole strict de prise en charge des hypotensions peropératoires. En France, on ne laisse pas la tension artérielle baisser en peropératoire. La correction peropératoire des hypotensions artérielles par des vasoconstricteurs aurait probablement évité une partie des AVC du groupe bêta-bloqué -on n’en observe pas dans les études sous bêta-bloquants en peropératoire avec contrôle de l’hypotension artérielle- mais on ne peut l’affirmer» analyse le Pr Vincent Piriou qui remarque que POISE a aussi «le mérite de montrer que les bêta-bloquants protègent des IDM peropératoires ».

Poldermans et al. continuent à publier (8) sur les ß-bloquants, mais l’accusation de fraude sur leurs études (défauts de consentements…), si elle ne remet pas en cause tous leurs travaux, participe au retour de balancier (9) sur les bêta-bloquants.

Faut-il ne plus en prescrire ? « Certainement pas. En temps qu’anesthésiste je pense qu’un traitement unique est une mauvaise idée. La prévention doit être multimodale et pharmacologique. Il faut donner le bon traitement au bon patient. Les statines peuvent avoir une place. La récente étude POISE- 2 (10) ne semble pas montrer de bénéfice des alpha2 agonistes dans la prévention des IDM péri-opératoires, ce qui renforce l’idée d’une approche multimodale. Les bétabloquants ne sont pas indiqué chez les patients à risque faible ou intermédiaire. Ils le sont en revanche pour les patients les plus à risque, coronariens ou cumulant des facteurs de risque et opérés dans le cadre d’une chirurgie à risque. Plus les patients sont à risque, plus ils en ont besoin. Les coronariens devraient recevoir des bêta-bloquants en raison de l’effet préventif de l’IDM en peropératoire, mais en contrôlant le risque d’hypotension. On ne peut ni occulter la période peropératoire, ni imaginer que les bêta-bloquants élimineront tout risque per- et postopératoire pour les patients à risque.

Des règles sont à respecter : normo-thermie, stabilité hémodynamique, respect des seuils transfusionnels (9 gr d’Hb chez le coronarien), contrôle des hypo- ou hypertensions, de la tachycardie, de l’oxygénation -notamment en post opératoire- et prise en charge de la douleur » conclut le Pr Vincent Piriou.

D’après un entretien avec le Pr Vincent Piriou, CHU de Lyon

(1) Mangano DT et al. N Engl J Med 1996 ; 335(23) :1713-20

(2) Poldermans D et al. N Engl J Med, 1999 ; 341 (24) :1789-94

(3) Lindenauer PK et al N Engl J Med 2005 ; 353 :349-61

(4)Juul AB et al. BMJ 2006 ; 332(7556) :1482

(5) Yang H et al Am Heart J 2006 ; 152 :983-90

(6) Brady et al J Vas Surg 2005 ; 41(4) :602-9

(7)Devereaux et al Lancet 2008 ; 371(9627) :1839-48

(8) Boersma E et al Lancet 2008 ; 372(9654) :1930-2

(9) Sohaib SM et al Eur J Heart Fail 2013 ; 15(12) :1419-28

(10) Deveraux et al N Engl J Med 2014 ; 370(16):1504-13

>Dr Sophie Parienté

Source : Bilan spécialistes