La prothèse totale d’épaule inversée (PTEI) constitue l’une des grandes révolutions chirurgicales des vingt dernières années. Invention française du Pr Paul Grammont de Dijon, l’inversion du centre de rotation de l’articulation permet de récupérer une élévation active du bras malgré l’absence de muscles rotateurs. Initialement conçue pour les ruptures massives et irréparables de la coiffe des rotateurs (avec ou sans arthrose), ses indications se sont étendues aux fractures et à leurs séquelles chez les patients âgés, arthrites inflammatoires, et même aux tumeurs.
Depuis dix ans, le nombre de prothèse totale d’épaule inversée (PTEI) implantées a augmenté, générant en parallèle un nombre croissant de complications et de reprises chirurgicales. Les contraintes mécaniques (importantes sur les implants huméraux et glénoïdiens) subies par ce type d’implant expliquent certaines complications. Sur le plan biomécanique, la PTEI est une prothèse contrainte (contrairement à la PTEA) qui doit résister à des contraintes importantes autant dans le plan horizontal (forces de cisaillement) que vertical (force de rotation). Par ailleurs, cette prothèse étant souvent posée dans un contexte de reprise chirurgicale (après échec d’interventions préalables), le risque infectieux est augmenté. Les principales causes de reprise chirurgicales sont exposées ci-dessous dans l’ordre d’importance.
Instabilité prothétique
Première cause de reprise chirurgicale de PTEI, l’instabilité prothétique est aussi la plus difficile à traiter, avec un fort taux de récidive. Elle est due à une insuffisance de tension du muscle deltoïde, à cause d’implants trop petits et/ou de leur mauvais positionnement : au plan vertical, l’implant huméral peut être positionné trop bas tandis que l’implant glénoïdien peut être positionné trop haut ; au plan horizontal, la glénosphère peut être trop médiale.
Le deltoïde n’étant pas suffisamment tendu, il ne joue pas son rôle de coapteur de l’épaule, alors même que les muscles de la coiffe sont absents ou incompétents : toutes les conditions sont réunis pour que la PTEI se luxe.
En cas de luxation de la prothèse durant les 3 premiers mois postopératoires, et en l’absence de perte de substance osseuse ou de malposition prothétique, le traitement conservateur peut être tenté : réduction sous anesthésie générale, suivie par une immobilisation stricte.
À l’inverse, en cas de luxation au-delà de 3 mois, ou de défaut de positionnement prothétique, une reprise chirurgicale est nécessaire, afin de restaurer le bras de levier et le rôle coapteur du muscle deltoïde. Il faut alors changer les implants et leur positionnement, après une reconstruction de l’humérus et de la glène à l’aide de greffes osseuses (autogreffe de crête iliaque ou allogreffe).
Infection
Deuxième cause de reprise chirurgicale, l’infection est plus fréquente en cas d’antécédents chirurgicaux, le risque augmentant avec le nombre d’interventions. Elle peut accompagner les autres complications sous formes torpides (infection sans pus). Les germes sont multiples, mais il s’agit souvent de Propionibacterium acnes dans les infections des prothèses d’épaule.
L’infection aigue (dans les 3 premiers mois) est traitée par l’excision des tissus infectés et le lavage. En chronique (après 3 mois), l’infection est traitée par le changement prothétique en un ou en deux temps. Le traitement doit être toujours mené en coopération avec les infectiologues car un traitement antibiotique, prolongé et adapté aux germes, doit toujours être associé au traitement chirurgical. L’ablation de la prothèse (épaule ballante) n’est envisagé que chez les patients très âgés, fragiles et multi-opérés.
Complications humérales
Les complications humérales témoignent des contraintes importantes supportées par l’implant huméral. Les descellements huméraux et les dévissages intraprothétiques s’observent surtout en cas de perte de substance osseuse de l’humérus proximal. Ils sont favorisés, chez les patients âgés par l’ostéoporose, et chez les plus jeunes, par une activité plus intense. On utilise de préférence une prothèse monobloc scellée ou verrouillée pour la ré-implantation prothétique. En cas de perte de substance osseuse de plus de 5 cm, une reconstruction par allogreffe humérale est nécessaire.
Les lyses osseuses de l’humérus proximal et les résorptions des tubérosités s’observent en cas de prothèses non scellées avec des tiges trop volumineuses. Le blocage distal de la tige dans le canal médullaire entraîne alors un court-circuit des contraintes (stress-shielding).
Descellement glénoïdien
Les descellements glénoïdiens sont presque toujours la conséquence d’erreurs techniques : prothèse glénoïdienne implantée trop haute et/ou trop inclinée vers le haut. La mauvaise position ou orientation de l’implant glénoïdien entraîne des forces de cisaillement verticales, délétères pour sa fixation. Les descellements glénoïdiens s’accompagnent souvent d’une perte de substance osseuse de la glène du fait de la mobilité de l’implant. En l’absence d’infection associée, la ré-implantation d’un implant glénoïdien, est toujours possible. Là aussi, une greffe osseuse est souvent nécessaire.
Associées et sous-estimées
Le médecin généraliste peut dépister une complication chez un patient porteur d’une PTEI. La présence de douleurs et/ou l’absence de récupération de l’élévation du bras dans les trois mois postopératoires est anormal. Afin d’établir un diagnostic, il doit alors demander une radiographie de l’épaule afin d’éliminer une luxation ou un descellement prothétique, et un bilan biologique (NFS, VS et CRP) afin d’éliminer une infection associée. En cas de suspicion de complication, il faut adresser le patient à un chirurgien orthopédiste spécialiste de l’épaule.
Les complications sont en fait souvent associées entre elles et sous-estimées (en particulier les pertes de substance osseuse humérales ou glénoïdiennes), même par les chirurgiens. Avant de réopérer une PTEI, le chirurgien doit donc compléter le bilan, par une radiographie millimétrée et comparative des 2 humeri afin de quantifier le raccourcissement huméral et l’importance de la perte de substance osseuse, et par un scanner de l’épaule afin d’évaluer la perte de substance osseuse glénoïdienne et de quantifier l’infiltration graisseuse des muscles de la coiffe des rotateurs restants.
Si le chirurgien a établi un diagnostic précis des complications, il peut alors décider d’une stratégie chirurgicale claire et en informer le patient. Même si elle peut nécessiter plusieurs interventions, la récupération d’une épaule fonctionnelle est souvent possible. Il s’agit d’une chirurgie difficile et risquée, avec un taux de complications et de ré-opérations de 10 à 50 % en fonction de l’expérience du chirurgien. Les patients doivent donc être adressés à des centres de référence.
Pour en savoir plus
Zumstein MA, Pinedo M, Old J, et al. Problems, complications, reoperations, and revisions in reverse total shoulder arthroplasty : A systematic review. Journal of Shoulder and Elbow Surgery 2010;20:12–22
Favard L. Revision of total shoulder arthroplasty. Orthop Traumatol Surg Res 2013;99:S12-21
Boileau P, Melis B, Duperron D, et al. Revision surgery of reverse shoulder arthroplasty. Journal of Shoulder and Elbow Surgery 2013
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