C’EST EN 2005, à la suite du KO subi par l’ailier du XV de France Christophe Dominici, lors du tournoi des Six Nations, que le Dr Jean-François Chermann a réellement découvert le sujet. « Jusque-là, comme l’ensemble de mes confrères neurologues, et a fortiori comme les généralistes, raconte-t-il, je n’avais reçu aucune réelle formation sur le sujet. Alors que le traumatisme crânien est de mieux en mieux documenté, la commotion cérébrale ne fait l’objet d’aucun cours, ni d’aucun livre ou manuel. » Pas de recueil épidémiologique non plus. Le chef de clinique neurologue va donc se lancer dans une impressionnante enquête, épuisant les études en ligne et courant les congrès internationaux. Faute de données hexagonales, il découvre des publications américaines sur la « concussion » (commotion en anglais), la plupart datant de moins de cinq ans, « comme si, note-t-il, le problème avait été occulté pendant des décennies ».
Accidents de la route et du sport.
Ce sont les accidents de la circulation qui sont les principales causes. Vient ensuite le sport, devant la guerre. Trois cent mille commotions cérébrales avec perte de connaissance sont dénombrées chaque année aux États-Unis, pour la plupart dans le domaine sportif. Alors que les commotionnés ne perdent connaissance que dans 10 % des cas, le Dr Chermann juge le chiffre très sous-estimé. À sa grande surprise, il découvre que tous les sports sont concernés : le football (souvent à la suite d’un choc tête contre tête), l’équitation, le cyclisme, le base-ball, mais aussi les sports de glisse. Et, bien évidemment, la boxe, tous les sports de combat, le rugby et le football américain.
Les signes révélateurs sont les troubles de la coordination ou de l’équilibre, un ralentissement idéomoteur, une distractibilité, des troubles de la concentration, une confusion et enfin une amnésie antérograde (oubli des événements qui ont suivi le choc), associée ou non à une amnésie rétrograde. D’une durée de quelques minutes à quelques heures, catégorisée comme un traumatisme crânien léger, la commotion expose, après la disparition complète des signes fonctionnels liés au traumatisme, à des effets retard et à des complications parfois redoutables. Le neurologue les passe tous en revue.
En cas de deuxième traumatisme, même extrêmement léger, le risque de mortalité lié au syndrome de second impact est spécialement inquiétant chez les jeunes, évalué à 50 %. Des anomalies de comportement, céphalées chroniques, troubles cognitifs, pertes de mémoire, dépression chronique, peuvent survenir dix, vingt ou trente ans après l’événement. Des études se sont en outre penchées sur la prévalence de la maladie d’Alzheimer, qui serait supérieure chez les personnes ayant été commotionnées. La fameuse dementia pugilistica, quant à elle,n’affecterait pas sur le tard que les seuls boxeurs, au-delà du cas bien connu de Muhammad Ali.
La recherche présente cependant des perspectives encourageantes, axées sur le rôle de l’apolipoprotéine E dans la génèse des troubles. Des dosages de la protéine tau, autrement que par ponction lombaire, pourraient également ouvrir la voie à des applications préventives.
L’urgence d’agir.
Mais pour l’heure, le Dr Chermann avoue dans le livre qu’il vient de publier* qu’il se sent aujourd’hui « terriblement seul ». Seul en France à diriger une consultation commotion cérébrale et sport, qu’il a créée en 2007 à l’hôpital Léopold-Bellan, à Paris. Seul à s’efforcer de convaincre les sportifs eux-mêmes de l’importance du risque, à persuader les fédérations et à susciter une prise de conscience du public par médias interposés. « Le dossier dérange, en France comme aux États-Unis, où, constate-t-il, la plus grande résistance vient du système sportif lui-même, animé par les intérêts financiers croisés. » Le neurologue dénonce les pressions subies par les médecins des équipes, souvent bien en peine pour évaluer la gravité commotionnelle et décider du retour sur le terrain d’un joueur commossionné.
Le Dr Chermann s’est donc lancé depuis cinq ans dans une croisade, publiant des articles dans la presse grand public, intervenant dans les congrès spécialisés. « Nous ne devons pas perdre de temps, insiste-t-il, il faut mettre en place au plus vite des recommandations à l’usage des médecins du sport et des neurologues. Des contacts engagés avec la commission médicale du CNOSF (Comité national olympique et sportif français) pourraient déboucher sur une conférence de consensus, indispensable pour éditer les guidelines et les tests qui font aujourd’hui défaut à la plupart des praticiens. »
Il en appelle aussi à la création d’un observatoire national au sein duquel collaboreraient toutes les disciplines (radiologues, neuropsychologues, neurochirurgiens,..) Un collège pourrait encore réunir joueurs, dirigeants, médecins, chercheurs et représentants des pouvoirs publics.
« Dans le rugby, observe-t-il, le vent est en train de tourner : à la demande des dirigeants, je viens de participer à plusieurs conférences et à la rédaction d’un guide distribué aux médecins dans les clubs. » Mais la croisade ne fait que commencer : le livre du neurologue de Léopold-Bellan est le seul publié à ce jour sur le sujet.
« K-O, le Dossier qui dérange », Stock,« Les documents », 226 p., 38,50 euros.
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