LES FRACTURES du pilon tibial désignent une fracture articulaire de l’extrémité distale du tibia avec une rupture complète de la continuité épiphysodiaphysaire. Elles sont ainsi différentes des fractures distales de jambe extra-articulaires et des fractures bimalléolaires articulaires. Mais elles conservent une continuité partielle avec la diaphyse. Ces fractures particulières sont le résultat d’une compression axiale associée à des forces vulnérantes d’angulation variable selon la direction des traumatismes et la position du pied au moment de l’impact. Sous l’effet de ce traumatisme, un coin diaphysaire cortical solide, pénètre le massif épiphysaire qui éclate sur le talus jouant alors le rôle d’enclume. La lésion comporte ainsi une fracture souvent comminutive de la partie distale de la jambe et des impactions ostéocartilagineuses, cette association rendant compte du mauvais pronostic de cette lésion.
Une fracture à risque de complications.
En ce qui concerne l’environnement des parties molles, il n’y a plus d’insertion musculaire sur le tibia à ce niveau où la peau est mince et dont la vascularisation est fragile ce qui explique la fréquence des complications. La gravité lésionnelle, les complications immédiates ou secondaires rendent compte des conséquences socio-économiques sévères. En effet, seulement approximativement un tiers des blessés qui travaillaient avant l’accident reprennent leur travail au bout de 2 ans.
Des stratégies thérapeutiques débattues.
Les stratégies et techniques chirurgicales restent controversées. Deux méthodes sont principalement utilisées. La première est l’ostéosynthèse interne par plaque à l’issue d’une réduction à foyer ouvert. La technique mini-invasive limite l’importance de l’exposition fracturaire mais cette évolution ne doit pas compromettre un des objectifs essentiels du traitement quant à la réduction exacte de la surface articulaire. Celle-ci est en effet indispensable même si, du fait des lésions cartilagineuses contemporaines de l’accident et liées à l’énergie d’impact, une réduction exacte ne met pas à l’abri d’une arthrose secondaire qui survient fréquemment. L’ostéosynthèse interne peut être faite par voie médiale ou par voie latérale, cette dernière a l’avantage d’exposer à moins de complications cutanées mais ne permet pas toujours d’obtenir la réduction anatomique souhaitée. De plus l’ostéosynthèse interne n’est pas toujours garante d’un bon résultat à moyen terme alors qu’elle expose à un risque de complications iatrogènes élevé en particulier lié aux difficultés de cicatrisation cutanée dans cette région de vascularisation pauvre et où les tissus mous ont été traumatisés par l’énergie traumatique.
L’alternative du moindre risque.
L’autre grande méthode thérapeutique utilise une fixation externe, elle apparaît plus sécurisante. Initialement ces fixations externes pontaient l’articulation de la cheville comptant sur un ligamentotaxis (une réduction progressive sous l’effet de la tension des tissus articulaires périphériques) pour obtenir la réduction articulaire. Cette réduction était rarement parfaite notamment lorsqu’il existait des lésions d’impaction centrales très peu propices à ce ligamentotaxis. Cette méthode de fixation externe, certes plus sûre, s’avérait ultérieurement décevante au plan articulaire et arthrosique. Dans les années 1990, la fixation externe a évolué d’une part en acceptant une ostéosynthèse interne associée, celle-ci étant limitée à la surface articulaire et d’autre part, par l’utilisation de fixateurs circulaires et notamment de montages hybrides comportant des fiches traditionnelles diaphysaires au niveau de la jambe et des broches transfixiantes minces tendues sur un anneau autour de l’épiphyse (figure 1). Ce montage a permis de libérer la cheville pouvant ainsi être rééduquée précocement. Ce progrès, associé au développement de techniques associant une minisynthèse interne épiphysaire à la fixation externe, a radicalement changé le pronostic de cette méthode permettant d’apporter des résultats similaires à l’ostéosynthèse interne conventionnelle.
Une absence de consensus.
Les écoles divergent encore sur l’utilisation de l’une ou l’autre de ces techniques. En réalité, il semble que les options thérapeutiques puissent être orientées par le contexte et la physiopathologie de la fracture totale du pilon tibial. On peut ainsi distinguer trois groupes. Le groupe A (figure 2a) est issu de traumatismes à très haute énergie notamment accidents de la voie publique. Les lésions d’impaction sont majeures au niveau articulaire. Les lésions cutanées, ouvertures ou contusions dermiques graves sont très fréquentes et il s’agit souvent de patients polytraumatisés. Dans ce groupe, les lésions cutanées exposent les ostéosynthèses internes à un risque élevé de complications alors que l’importance de l’impaction articulaire et les lésions cartilagineuses induites exposent, même si la réduction est exacte, à un taux très élevé de complications arthrosiques secondaires. Dans ce groupe il paraît préférable d’opter pour une fixation externe qui pourra être le moyen thérapeutique définitif ou dans certains cas être secondairement, vers le dixième jour, complétée ou relayée par une ostéosynthèse interne.
Le groupe B (figure 2b) est constitué de victimes d’accidents sportifs, notamment de ski, avec des mécanismes rotatoires responsables de fractures moins comminutives, comportant peu ou pas d’impaction articulaire et des lésions cutanées plus rares et moins sévères, avec ouverture franche sans contusion. Les défenseurs de l’ostéosynthèse interne trouvent avec ce type de patients leur meilleur résultat. Cependant, quelques études comparatives ne montrent pas de différences entre une ostéosynthèse interne conventionnelle et une fixation externe si celle-ci s’accompagne d’une réduction articulaire exacte.
Le groupe C (figure 2c) est composé de patients âgés victimes de traumatisme à faible énergie survenant sur un squelette ostéopénique avec des lésions articulaires modestes. Pour ces patients, il faut pallier aux difficultés de tenue du matériel au sein de ces os ostéopéniques. Les techniques de fixations externes hybrides ont démontré leur grand intérêt dans ce contexte. Il est possible que les plaques à vis verrouillées (système permettant de bloquer la vis à l’intérieur de la plaque) soient dans ce groupe une indication privilégiée.
Conclusion.
Les fractures totales du pilon tibial sont des lésions rares mais dont la gravité a conduit les chirurgiens orthopédistes et traumatologues à pousser plus avant leurs interrogations sur les choix thérapeutiques. L’identification de groupes physiopathologiques différents peut être utilisée dans beaucoup d’autres secteurs traumatologiques avec des considérations, des problèmes et des solutions similaires.
D’après la conférence d’enseignement du Pr Franck Dujardin, CHU Rouen.
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