La tendance actuelle est à la réduction de la durée des traitements antibiotiques, mais peut-on réduire la durée de l’antibiothérapie de tout type d’infections sur prothèses ostéo-articulaires (IPOA) ? La réponse semble être non, au vu des derniers résultats de l’étude Datipo* publiée en mai dernier par un collège d’infectiologues et d’orthopédistes français (1).
L’équipe du Pr Louis Bernard, chef de service de médecine interne et de maladies infectieuses à l’hôpital Bretonneau de Tours, avait préalablement démontré qu’un traitement de six semaines était suffisant pour traiter les infections disco-vertébrales sans matériel (2). Les IPOA sont des infections assez rares, dont l’incidence est de 4 000 à 5 000 cas par an, qui représentent 4 % des infections ostéo-articulaires. Elles sont grevées d’une importante morbi-mortalité.
Une thérapeutique complexe
« La prise en charge des IPOA combine traitement chirurgical et antibiothérapie », rapportent les co-investigateurs de l’étude Datipo. Les options chirurgicales consistent en un changement de prothèse en un ou deux temps, ou en un lavage articulaire-débridement (aussi nommé DAIR pour « Debridement, Antibiotics and Implant Retention »).
Le choix de l’antibiothérapie des IPOA est un vrai casse-tête : quelle molécule, quelle modalité d’administration et quelle durée de traitement faut-il choisir ? « La durée appropriée de l’antibiothérapie des IPOA reste mal codifiée », écrivent le Pr Bernard et ses collègues. Le choix actuel est guidé selon les recommandations d’experts, plus que sur des preuves (3,4). Il existe peu de données solides dans la littérature s’intéressant à la durée optimale de traitement. Les durées d’antibiothérapie sont souvent longues, parfois jusqu’à six mois en cas d’infections staphylococciques. Cependant, plusieurs études suggèrent que des durées d’antibiothérapies plus courtes pourraient être efficaces dans les IPOA.
Datipo, une étude de grande ampleur
Datipo est un essai contrôlé, randomisé en deux groupes parallèles, ouvert, de non-infériorité, multicentrique, comparant 6 à 12 semaines de traitement antibiotique dans les IPOA, associé à un traitement chirurgical standard.
La participation de 28 centres hospitaliers français et sept ans d’étude ont été nécessaires pour inclure 410 patients suivis pendant deux ans. De nombreux acteurs du CHU de Tours et du Centre de référence des infections ostéo-articulaires du Grand Ouest (Criogo) ont participé à cet essai.
Le critère principal de jugement était la persistance ou la récurrence de l’infection au même germe dans les deux ans suivant la fin de l’antibiothérapie. Parmi les objectifs secondaires étaient évalués : la survenue d’une nouvelle infection confirmée (nouvelle bactérie ou ancienne + nouvelle bactérie surajoutée) ou d’une infection probable (sans confirmation bactériologique), la tolérance de l’antibiothérapie et l’évolution fonctionnelle. Les échecs de traitement ont tous été revus par un comité d’adjudication indépendant en aveugle des bras de traitement.
Des résultats défavorables
L’étude a été menée entre le 29 novembre 2011 et le 22 janvier 2015. Dans le bras 6 semaines, 203 patients ont été inclus dans l’analyse en intention de traiter (ITT) et 165 dans l’analyse per protocole (PP). Dans le bras 12 semaines, 201 ont été inclus dans l’analyse en ITT et 160 dans l’analyse PP. Les deux groupes étaient homogènes, concernant notamment l’articulation touchée et le type de chirurgie effectuée. Le type de bactérie retrouvé était le Staphylococcus aureus dans 39 % des cas.
« L’étude montre qu’une durée plus courte d’antibiothérapie de 6 semaines ne répond pas au critère de non-infériorité par rapport à un traitement long de 12 semaines dans les IPOA », soulignent les auteurs. Une infection persistante était ainsi notée chez 35 sur 193 patients (18,1 %) dans le groupe 6 semaines et chez 18 sur 191 patients (9,4 %) dans le groupe 12 semaines dans l’analyse en ITT. La différence de risque entre les deux groupes étant de 8,7 % (IC 95 % [1,8-15,6]), cela ne permettait pas de répondre au critère de non-infériorité.
« Il existe un surrisque d’échec septique chez les patients traités avec six semaines d’antibiotique », ajoutent les investigateurs. Dans l’analyse en ITT, il a été comptabilisé 32 échecs (16,8 %) au même micro-organisme dans le groupe 6 semaines et 15 (8 %) dans le groupe 12 semaines, soit un risque d’échec multiplié par deux. L’analyse PP montre aussi un surrisque d’échec dans le groupe 6 semaines, dans lequel il a été relevé 29 échecs (17,6 %) versus 11 échecs (6,9 %) dans le groupe 12 semaines.
Aucune différence n’a été observée entre les deux bras concernant un échec dû à une nouvelle infection, confirmée ou probable. Les deux groupes ne présentaient pas non plus de différence significative en rapport avec l’évolution fonctionnelle ou la survenue d’effet secondaires sévères.
Un autre point important souligné par l’étude Datipo : un nombre plus important d’évolution défavorable était relevée parmi les patients ayant eu un lavage articulaire avec débridement dans le groupe 6 semaines. De plus, « la différence de risque semble moins marquée pour les patients ayant bénéficié d’un changement de prothèse, mais cette observation doit être explorée dans d’autres études randomisées », concluent les auteurs. À la suite de ces résultats, une actualisation des recommandations françaises sur les infections ostéo-articulaires sur matériel devrait voir le jour sous l’égide de la Société de pathologie infectieuse de langue française et de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique.
*Durée d’Antibiothérapie pour le Traitement des Infections sur Prothèses Ostéo-articulaires
(1) L. Bernard et al., N Engl J Med, 2021 ; 27;384(21):1991-2001
(2) L. Bernard et al., The Lancet, 2015; 7;385(9971):875-82.
(3) HAS, 2014
(4) Infections ostéo-articulaires sur matériel, SPILF, 2008
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