La consolidation osseuse est un processus biologique qui fascine la recherche. Elle obéit à des phénomènes physiologiques complexes, susceptibles d’échouer pour de multiples raisons, conduisant finalement à un retard ou à une absence de consolidation. Les taux de pseudarthrose sont de l’ordre de 5 à 10 % et jusqu’à 30 % en cas de fracture ouverte. Les techniques modernes d’ostéosynthèse et la prise en charge rapide des patients en diminuent la fréquence, cependant le problème reste préoccupant. En France, les données du PMSI recensent près d’une douzaine de milliers de séjours hospitaliers par an sur la base d’un diagnostic principal de pseudarthrose, compte non tenu des localisations vertébrales ou crâniennes.
Aucune alternative au processus naturel.
Si la principale fonction d’un segment squelettique est sa valeur de chaînon mécanique, il n’existe aucun produit doué d’une action directe sur l’os en agissant comme un adhésif mécanique ou physico-chimique susceptible de rétablir la continuité en cas d’interruption. De ce fait, la consolidation est toujours biologique. Le noyau cellulaire en est donc la clef unique, sous la dépendance de nombreuses voies d’activation, biologiques, mécaniques et électrophysiologiques.
La thérapeutique de référence de la pseudarthrose reste la greffe osseuse autologue. Elle a néanmoins un taux d’échec variant de 20 à 50 %. Ces échecs, associés à la morbidité du prélèvement chirurgical de greffe autologue, ont conduit ces vingt dernières années au développement de trois nouvelles thérapies : les bone morphogenic proteins (BMPs), les champs électromagnétiques pulsés et les ultrasons à basse fréquence.
La famille nombreuse des BMPs.
Avec plus de trente-quatre représentants identifiés, les BMPs sont des cytokines de la famille des TGF-ß. Elles agissent, par l’intermédiaire de récepteurs membranaires, sur l’expression des gènes de prolifération et de différenciation cellulaire. En dehors de l’os, elles jouent aussi un rôle sur de nombreux tissus (cœur, rein, cerveau, cartilage). Les BMPs 2 et 7 sont utilisées en chirurgie orthopédique et traumatologique car dotées d’un pouvoir ostéoinducteur :
- l’eptotermine-α ou rhBMP-7 (Osigraft, Opgenra) fait l’objet d’une autorisation européenne (EMEA) depuis le 17 mai 2001 dans le traitement de fractures non consolidées du tibia datant d’au moins neuf mois, secondaires à un traumatisme, chez des patients dont le squelette est adulte, dans les cas où un traitement antérieur par autogreffe a échoué ou quand l’utilisation d’une autogreffe l’utilisation d’une autogreffe est impossible ;
- la dibotermine-α ou rhBMP-2 (Induct-Os) fait l’objet d’une EMEA depuis le 9 septembre 2002 dans les arthrodèses lombaires antérieures sur un seul niveau (entre L4 et S1) chez des adultes présentant une discopathie dégénérative et ayant suivi un traitement non chirurgical pour cette pathologie pendant au moins six mois ; le traitement de fractures du tibia chez l’adulte en tant que complément au traitement standard comprenant la réduction de la fracture ouverte et l’ostéosynthèse par enclouage centro-médullaire sans alésage.
Il n’est pas envisagé pour l’instant d’extension des indications de ces médicaments ayant servi de référence à l’Autorisation de mise sur le marché… L’AFSSAPS a même publié, ces dernières années, les correctifs suivants :
- En 2004, elle a mis en garde sur le danger d’utiliser Induct-Os lors de greffes osseuses de vertèbres cervicales, car des cas d’œdème localisé ont été notifiés, avec parfois des difficultés respiratoires majeures.
- En 2008, elle a contre-indiqué l’utilisation concomitante d’Induct-Os et de la technique d’enclouage avec alésage pour la réduction de fracture ouverte de jambe, car ce supplément thérapeutique augmentait les risques infectieux.
- En 2011, elle a refusé l’extension d’indication à l’administration locale d’Osigraft de façon concomitante à une autogreffe d’os iliaque, faute de preuves cliniques suffisantes.
Les contre-indications absolues des rhBMPs sont nombreuses : hypersensibilité à l’un des composants (protéines de hamster ou bovines), squelette en période de croissance osseuse, peau lésée, tumeur osseuse, fracture pathologique, traitement par chimiothérapie, maladie métabolique osseuse, patient sous immunodépresseurs, infection du foyer opératoire, syndrome de loges…
Par principe de précaution, aucun de ces deux médicaments n’est actuellement autorisé chez l’enfant et la femme enceinte en France. En attendant des études supplémentaires, le principe de précaution incite à ne pas prescrire ces molécules chez les patients qui ont reçu, par le passé, un médicament contenant des rhBMPs et lors de maladies auto-immunes telles la maladie de Crohn, la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux disséminé, la sclérodermie, le syndrome de Sjögren et la dermatomyosite/polymyosite.
Manipulation bio-physique de la consolidation.
Par ailleurs, depuis plus d’une décennie, un regain d’intérêt a été suscité pour les systèmes physiques d’aide à la consolidation. Aux États-Unis, de tels systèmes représentent un enjeu industriel et commercial, le marché, en constance croissance, portant sur plus de 400 millions de dollars. En France, la HAS estime que la population cible susceptible de bénéficier de tels systèmes n’est, chaque année, que d’une dizaine de milliers d’individus, au maximum.
Les systèmes producteurs, soit de champs électriques, soit de champs électromagnétiques, induisent autour du foyer osseux à traiter un potentiel électrique. Leur conception fait suite aux travaux de Fukada et Yasuda (1957), qui ont mis en évidence l’apparition d’un effet piézoélectrique (polarisation électrique sous l’effet d’une contrainte mécanique, et inversement) lorsque l’on soumet in vitro un os sec à des forces de compression : des potentiels électronégatifs sont générés dans les zones compression et électropositifs dans les zones de tension. Suite à cette publication, les Américains Basset et Becker ont montré que la formation et la résorption osseuse sont fonction de la charge électrique dominante, l’os se formant dans les zones électronégatives (cathodes) et se résorbant dans les zones électropositives (anodes). Le caractère invasif de la stimulation électrique directe a alors favorisé le développement des champs électromagnétiques pulsés (CEP), qui permettent d’obtenir un champ électrique sans ouverture du foyer osseux.
Un seul appareil fondé sur ce principe est actuellement disponible, le Physio-Stim (Orthofix). Les indications agréées en France (Commission HAS du 24 novembre 2009) sont : le traitement des pseudarthroses aseptiques, alignées, ou faiblement désaxées, avec ou non présence de matériel d’ostéosynthèse (absence de consolidation de fragments osseux au-delà d’une période de six mois), exclusion faite des vertèbres et de tous les os plats, lorsque la distance interfragmentaire est inférieure à la moitié de la plus faible épaisseur de l’os.
Une méta-analyse a été publiée en 2008 par Mollon et al. sur 2 546 citations potentiellement éligibles, dont onze exploitables. La conclusion des auteurs était sans appel : l’impact des champs électromagnétiques pulsés sur la consolidation des fractures des os longs (fractures récentes, retards de consolidation, pseudarthroses) reste probable mais incertaine, du fait d’études cliniques aux méthodologies critiquables. En France, dans le cadre de la réévaluation des dispositifs, la commission s’est prononcée en 2008 pour une absence d’amélioration du service médical rendu de Physio-Stim par rapport au traitement chirurgical de la pseudarthrose, mais compte tenu du fait qu’une étude de suivi est en cours et qu’un essai contrôlé randomisé en double aveugle a été mis en place fin 2009, Physio-Stim a été inscrit jusqu’en 2012 sur la liste des produits et prestations remboursables.
Systèmes à ultrasons.
Aux côtés des systèmes électriques, existent des systèmes de consolidation utilisant des ultrasons pulsés de basse intensité ou LIPUS (low intensity pulsed ultrasound). Les ondes de choc, produites par l’appareil, se propagent dans les tissus environnants et arrivent au niveau cellulaire. L’action cellulaire des ondes de pression acoustique n’est pas clairement établie. Plusieurs études ont démontré une augmentation de la perméabilité membranaire, de l’expression des intégrines, de la prolifération et de la différenciation cellulaire et des facteurs de croissance.
En France, le système Exogen 4 000 (Smith and Nephew) est indiqué depuis 2002 dans le traitement des pseudarthroses, à l’exception des localisations vertébrales et crâniennes, après échec d’un premier traitement chirurgical. En 2010, le laboratoire a redemandé une extension d’indication, dans le traitement des pseudarthroses, à l’exception des localisations vertébrales et crâniennes, avec ou sans traitement chirurgical préalable de la pseudarthrose ; et dans le traitement adjuvant des prises en charge conventionnelles des allongements progressifs de membre inférieur par fixateur externe... Cela a été refusé par la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (HAS). Suite à cet avis, la prescription d’Exogen 4000, bien qu’autorisée en France, ne devrait plus être remboursée.
D’après une conférence d’enseignement du Pr Frédéric Dubrana, CHU Cavale Blanche, Brest.
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