À l’ère des biobanques et du big data, la médecine est à la veille d’une transformation révolutionnaire de ses connaissances et de ses stratégies décisionnelles. La chirurgie orthopédique avait été à l’avant-garde de cette démarche, avec l’expérience scandinave de 1975 concernant les prothèses totales du genou (PTG).
Ce n’est qu’en 1998 que parût le premier registre en langue anglaise (Nouvelle-Zélande), alors que les États-Unis ainsi que de nombreux pays européens peinent encore à ce jour à se doter de tels outils. Il existe actuellement 11 registres nationaux répertoriés dédiés aux PTH et PTG – soit de manière exclusive soit au sein de registres multisites. Leurs résultats sont souvent consensuels, parfois en opposition du fait d’importantes variations liées aux cultures et aux lois des marchés (lire tableau).
En France, un registre est « un recueil continu et exhaustif de données nominatives intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de recherche et de santé publique, par une équipe ayant les compétences appropriées », selon le Comité national des registres (CNR).
Maladies versus implants
En matière de prothèses, un registre ne fait que tracer le devenir des dispositifs médicaux implantables (DMI). À l’inverse des registres de maladies (infectieuses, cancers, etc.), c’est la survie de la prothèse que l’on étudie et non celle du patient dont le décès prothèse encore en place, correspond à un succès probable ou relatif de celle-ci, puisqu’elle aura servi la totalité de la vie du patient sans avoir été changée.
La gestion d’un registre nécessite du temps, de l’argent et une exhaustivité des données. Cela repose sur le recours à un identifiant patient unique (numéro de Sécurité Sociale), afin de tracer parfaitement le patient et les actes chirurgicaux liés à un même implant ; un financement pérenne ; une méthode de collection moderne et rapide des données, exclusivement par internet ; une exhaustivité obligatoire, au moins pour les implants innovants. Leurs effets sur les pratiques professionnelles doivent aussi être évalués. Enfin, leur coût important pose le problème de leur indépendance financière et de la propriété de leur contenu.
De larges applications
Avant tout, les registres permettent de comparer les résultats des implants prothétiques entre eux. Leur efficacité comme structure d’alerte en situation de crise est un argument régulièrement avancé par les gestionnaires. L’inclusion d’implants prothétiques innovants dans un registre national quasi-exhaustif permet de confronter leurs résultats précoces à ceux des grands standards et de dépister ainsi en quelques années les performances décevantes.
L’étude différentielle des registres nationaux permet aussi d’approcher objectivement les éventuelles variations entre données épidémiologiques, démographiques et technologiques. Il faut noter que le nombre d’implants inclus chaque année varie d’un facteur 1 à 20, sous l’influence combinée de la démographie du pays et de la collaboration plus ou moins étendue des chirurgiens (observance). La couverture nationale est importante à prendre en considération, en particulier pour les registres les plus récents qui n’ont pas encore atteint leur rythme de croisière.
Enfin, certains registres scandinaves publient les résultats de chaque région et de chaque établissement, le public peut ainsi orienter ses choix. Cela suppose une grande maturité de la population et un niveau élevé de culture de l’évaluation de la part des praticiens. On comprend par contre les difficultés à sortir des sentiers balisés pour les équipes chirurgicales et le frein relatif à l’innovation au nom du principe de précaution.
Investissement et indépendance
L’avenir des registres est conditionné par l’investissement conjoint des pouvoirs publics et des professionnels concernés. La création de registres des implants est actuellement une recommandation majeure de la Commission Européenne pour la médecine (EUCOMED), afin d’améliorer la qualité des soins portés aux patients de la communauté européenne. Cela permettrait de réduire d’une part les délais de réaction en cas de nouvelles alertes de matériovigilance, et d’autre par leurs conséquences sanitaires, en favorisant la transmission de l’information et en accélérant la réactivité dans les autres pays quant à la poursuite des implantations d’un produit apparaissant défectueux.
Même s’il reste difficile de mesurer la baisse des dépenses de santé susceptible de découler de la mise en application de ces recommandations, ces éléments peuvent inciter les organismes payeurs à participer à leur financement. La prévention d’une dérive d’exploitation à visée purement économique nécessite le maintien d’une certaine indépendance.
En France, tout registre se doit de respecter la législation relative à l’utilisation et à la conservation de données personnelles, en particulier la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978. Il est nécessaire d’associer à leur développement les sociétés savantes et les médecins intéressés : cette mission a été confiée à la fédération des spécialités médicales (FSM). C’est sur la base du seul volontariat qu’a été conçu en 2006 le registre des PTH de la SOFCOT (agrément CNIL, N°04-1277).
Il reste toutefois un obstacle majeur à la création de registres de suivi des patients efficaces : les conditions très restrictives d’utilisation du numéro d’inscription au répertoire (NIR) national d’identification des personnes physiques, qui ne peut être autorisé que par décret en Conseil d’État. Le caractère jusqu’à présent purement volontaire des registres a malheureusement montré ses limites. Plusieurs options s’offrent aux pouvoirs publics pour inciter praticiens et hôpitaux à les alimenter. À l’extrême, conditionner le remboursement du DMI et de l’acte chirurgical qui y est associé au renseignement d’un registre, serait à l’évidence d’une redoutable efficacité.
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