Grâce aux cellules souches qu’elle héberge, la moelle osseuse est susceptible d’ouvrir des perspectives thérapeutiques dans différentes pathologies locomotrices.
Il s’agit des cellules souches hématopoïétiques d’une part, et des cellules stromales (ou souches) mésenchymateuses (CSM) d’autre part (fig. 1) [1]. Ces dernières sont particulièrement intéressantes en orthopédie du fait de leurs capacités ostéo- ou chondroformatrices. Avec 25 ans de recul, deux applications des CSM sont utilisées en pratique courante.
Ostéonécroses aseptiques des têtes fémorales
Si plusieurs causes d’ostéonécrose aseptique (ONA) de la tête fémorale sont identifiées (drépanocytose, éthylisme chronique, corticothérapie, etc.), dans la majorité des cas elle reste idiopathique. Elle siège en zone épiphysaire sous-chondrale et se traduit par un enfoncement progressif de la tête fémorale conduisant à la destruction de l’articulation et à la coxarthrose secondaire. Plusieurs traitements ont été décrits : de la décompression de la zone nécrotique par forage isolé, aux chirurgies de réaxation (ostéotomies). Quand le traitement conservateur est impossible, la prothèse est la seule solution.
La relation entre moelle osseuse et ONA est complexe et intriquée. Dans une tête fémorale normale, il faut compter environ 35 000 CSM. En cas d’ONA, il n’y a bien entendu pas de CSMs dans la zone nécrotique, mais leur présence est aussi fortement diminuée dans la zone saine (< 3000)… et elles ont alors des capacités de différenciation altérées (2).
Aux stades débutants, la nécrose est une zone d’os mort, sans faillite mécanique. La technique consiste à y injecter des CSMs capables d’induire une formation osseuse et, à terme, une cicatrisation (3). L’intervention se déroule en trois étapes : le prélèvement de moelle osseuse (crêtes iliaques antérieures), sa concentration, puis son injection (fig. 2).
De nombreuses études ont montré une amélioration clinique et radiographique dans ce contexte. Chez 116 patients avec un recul de 7 ans (5-11), le taux de succès (patients sans prothèse) était de 82 % (2). Cette technique est efficace pour les stades débutants de nécrose, en l’absence d’enfoncement de la tête ou s’il est minime (< 2 mm).
Sur le plan radiologique, des études de micro-angiographie montrent que l’injection de moelle osseuse concentrée permet de stimuler la néoformation vasculaire comparativement au forage isolé.
La surveillance des patients opérés par cette technique est radiographique, à la recherche d’une faillite mécanique (enfoncement de la tête fémorale) prématurée par rapport à la reconstruction osseuse. Le taux de complication est faible, il s’agit d’une technique mini-invasive. Le risque fracturaire lié à la mise en place des trocarts de réinjection dans les têtes fémorales est limité si l’on utilise des trocarts fins.
Réparation de la coiffe des rotateurs
Le phénomène de cicatrisation tendon/os au niveau de la coiffe des rotateurs est biologiquement difficile à maîtriser. Cette jonction se fait dans des conditions mécaniques difficiles, avec d’importantes tractions sur les tendons.
Jusqu’à présent, les innovations ne s’étaient concentrées que sur les techniques de fixation du tendon rompu sur l’humérus. Des innovations biologiques impliquant l’utilisation de facteurs de croissance ont été tentées mais avec des résultats variables.
Notre hypothèse était qu’il manquait localement des cellules pour permettre une cicatrisation adéquate. Il y a en moyenne 5 CSMs/ml en cas de rupture contre 30 CSMs/ml sur les coiffes saines. Par conséquent, même en cas de réinsertion satisfaisante, on peut penser que le nombre de CSMs n’est pas suffisant pour permettre la cicatrisation du tendon sur l’os.
L’injection de moelle osseuse concentrée répond ici à trois objectifs : améliorer la qualité du tissu cicatriciel dans le tendon en augmentant le nombre de ténocytes ; améliorer l'ancrage du tendon sur l'os ; réduire et si possible obtenir la réversion de l'involution adipeuse (soit par transformation des adipocytes en cellules musculaires, soit par augmentation des cellules musculaires à partir des CSMs injectées dans le muscle).
L’intervention se déroule en 3 étapes : le prélèvement de moelle osseuse, sa concentration et enfin l’injection, sous arthroscopie ou à ciel ouvert, au niveau de l’épaule (4).
Perspectives
Avec un recul de plus de 25 ans et de plus de 2000 hanches traitées, l’injection de moelle osseuse concentrée dans les stades débutants d’ONA de la tête fémorale permet une amélioration clinique et radiographique des patients. Elle retarde la mise en place d’une prothèse totale de hanche. Il y a peu de complications, la principale étant le risque fracturaire. Nous pouvons donc considérer l’extension de cette technique à d’autres problèmes orthopédiques comme les pseudarthroses (4,5) ou les ruptures de coiffe (6).
Cependant, le nombre de CSMs retrouvées dans la moelle osseuse concentrée varie d’un patient à l’autre en fonction de l’âge, du sexe, des antécédents (chimiothérapie), etc. La question de l’utilisation de CSMs de donneurs doit alors se poser. Cependant, l’immunogénicité liée à l’allogreffe n’a pas encore été parfaitement étudiée.
L’autre possibilité pour améliorer le rendement est l’utilisation de CSMs autologues, triées et cultivées de façon à augmenter leur nombre (technique d’expansion cellulaire). Cette technique a l’avantage de permettre d’obtenir un nombre suffisant et contrôlé de cellules pouvant être injectées, seules ou en association avec une matrice. En revanche, elle reste expérimentale et donc coûteuse (10 fois le prix d’une concentration) et implique pour le patient une prise en charge en 2 temps (1 temps de prélèvement et 1 temps d’injection après plusieurs semaines d’expansion).
(1) Pittenger MF et al. Multilineage potential of adult human mesenchymal stem cells. Science 1999;284:143-7
(2) Hernigou P, Beaujean F. Treatment of osteonecrosis with autologous bone marrow grafting. Clin Orthop Relat Res 2002:14-23
(3) Hernigou P, Trousselier M, Roubineau F, et al. Stem Cell Therapy for the Treatment of Hip Osteonecrosis: A 30-Year Review of Progress. Clin Orthop Surg 2016;8:1-8
(4)Hernigou P, Flouzat Lachaniette CH, Delambre J, et al. Biologic augmentation of rotator cuff repair with mesenchymal stem cells during arthroscopy improves healing and prevents further tears: a case-controlled study. Int Orthop 2014;38:1811-8
(5) Hernigou P, Homma Y, Flouzat-Lachaniette CH, et al. Cancer risk is not increased in patients treated for orthopaedic diseases with autologous bone marrow cell concentrate. J Bone Joint Surg Am 2013;95:2215-21
(6) Hernigou P, Mathieu G, Poignard A, et al. Percutaneous autologous bone-marrow grafting for nonunions. Surgical technique. J Bone Joint Surg Am 2006;88 Suppl 1 Pt 2:322-7
(7) Hernigou P, Poignard A, Beaujean F, et al. Percutaneous autologous bone-marrow grafting for nonunions. Influence of the number and concentration of progenitor cells. J Bone Joint Surg Am 2005;87:1430-7
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