Les malformations congénitales du rachis, découvertes de façon fortuite ou lors de l’examen d’une déformation rachidienne (scoliose ou cyphose, hyperlordose), sont extrêmement polymorphiques et toujours singulières. S’entraîner à les appréhender est un exercice utile pour le praticien, en raison d’un pronostic propre à chaque cas et de la nécessité de prendre, dans certaines situations, des décisions thérapeutiques à temps.
Une embryopathie axiale précoce.
Malgré un particularisme déroutant de chacune d’entre elles du point de vue de leur histoire naturelle, de leur potentiel déformant rachidien, ou de leur retentissement fonctionnel, les malformations congénitales du rachis partagent entre elles la caractéristique commune de tirer leur source d’un trouble embryonnaire caractérisé.
Le désordre de la formation vertébrale en cause intervient très précocement dans l’embryogénèse (qui s’étend sur les deux premiers mois de gestation) : entre 5 et 8 semaines de gestation. Ainsi, des malformations viscérales contemporaines – rénales ou urologiques, cardiaques, neurales, etc. – coexistent volontiers avec ces atteintes rachidiennes, associées ou non dans un syndrome caractérisé.
Pour rappel, l’ectoderme, le plus superficiel des trois feuillets embryonnaires, subit, vers la fin de la troisième semaine, la neurulation, processus qui fait apparaître le tube neural, ce sous l’action inductrice du mésoderme axial (chorde dorsale ou notochorde et plaque préchordale au niveau du prosencéphale). Celui-ci subit également un processus de métamérisation donnant lieu à l’individualisation des somites, à partir desquels se développeront les éléments musculaires (myotomes) et squelettiques (sclérotomes). Les réserves cellulaires de ces sclérotomes vont subir des phénomènes migratoires autour du tube neural, puis une resegmentation, permettant aux nerfs issus du tube neural de s’infiltrer entre les maquettes précartilagineuses des futures vertèbres. La partie caudale se développe dans un deuxième temps au cours de la neurulation secondaire.
Au final, le type de malformation vertébrale et sa sévérité vont largement dépendre, dans ce développement, de l’étape au cours de laquelle le cycle normal de maturation va se trouver altéré.
Épidémiologie floue.
Scoliose, cyphose, combinaison des deux, ou encore hyperlordose : il reste difficile de cerner l’incidence exacte, au demeurant faible, de toutes ces malformations congénitales du rachis. La plupart des relevés épidémiologiques se font en effet sous le titre d’une déformation morphologique donnée.
Il n’a pas été mis en évidence de prédisposition ethnique ni géographique, mais il semble exister un ratio privilégiant le sexe féminin. En revanche, il s’agit, en général, de cas sporadiques et de caractère non héréditaire. En présence d’un cadre syndromique, une composante héréditaire peut toutefois être relevée.
Bien qu’aucune démarche de classification schématique ne puisse rendre compte fidèlement de chaque situation individuelle, il est pratique d’adopter, pour ces malformations, un système de classification fondé sur l’altération de développement qui s’est produite : défauts ou échecs de formation, défauts ou échecs de segmentation, ou les deux. Dans le premier cas, il s’agit de vertèbres cunéiformes (arrêt partiel du développement d’un seul côté de la vertèbre) ou d’hémivertèbres (arrêt complet du développement d’un seul côté de la vertèbre). En fonction de la présence ou non d’un espace discal autour de celles-ci, elles sont décrites comme totalement segmentées, partiellement segmentées ou non segmentées. Enfin, les défauts de segmentation peuvent prendre l’aspect d’une barre unilatérale non segmentée ou celui d’un bloc de vertèbres.
Circonstances de découverte.
Ces malformations congénitales du rachis peuvent être découvertes dans le cadre de l’examen d’une déformation rachidienne ou lors d’un examen échographique prénatal, ce qui imposera alors d’approfondir l’imagerie à la recherche d’autres malformations viscérales. L’information parentale doit rester prudente, dans la mesure où l’établissement d’un pronostic précis, à ce stade, est loin d’être évident.
Lorsque la découverte se fait dans le cadre d’une déformation, l’examinateur doit être mis en alerte par des signes inhabituels : touffe de poils à proximité de la ligne médiane de la face postérieure du tronc, hémangiome de cette région, fossette de la région sacrée, malformation du pied, des symptômes urologiques, courbure rachidienne particulièrement rigide.
Bilan radiologique fouillé et recours obligatoire à l’IRM.
Comme dans toute déformation rachidienne, l’examen radiographique conventionnel est indispensable. Chez l’enfant déjà grand, un cliché de rachis total debout, postéroantérieur et de profil est la première prescription. En sus, des clichés focalisés et en inclinaison de réduction (bending) ou en traction, complètent cette exploration initiale. Le suivi de ces radiographies à différents stades de la croissance de l’enfant est particulièrement important pour apprécier la dynamique évolutive déformante de ces malformations.
En outre, l’imagerie tridimensionnelle est avantageuse pour visualiser dans sa globalité la zone malformative et ses retentissements de voisinage. Dans cette perspective, le scanner pourrait amplement suffire, ce d’autant qu’il permet d’objectiver, dans un défaut de segmentions par exemple, l’effet déformant produit par une barre. Mais cette analyse structurale ne saurait être complète sans l’appoint de l’IRM, qui permet de définir l’état médullaire (fréquentes anomalies associées de la moelle épinière) et de mieux analyser les cartilages de croissance ou discaux au niveau des malformations. Ces informations sont cruciales à l’établissement d’une prévision d’aggravation ou non d’une éventuelle déformation.
Jauger le profil d’aggravation.
La problématique délicate est en effet de parvenir à en déterminer le profil d’aggravation. Ce risque est très variable d’une malformation à une autre et dépend de nombreuses particularités : topographie de la malformation, degré de divergence par asymétrie des capacités de croissance, nombre de vertèbres asymétriques et segmentées (ayant conservé des zones de croissance) incluses dans la déformation… Se rajoutent à ces éléments d’accentuation de la déformation, des considérations sur sa capacité de déstabilisation du segment rachidien concernée, et/ou de compromission du contenu neurologique rachidien.
Malgré des projections d’histoire naturelle évolutive affinées par des abaques référentiels, il demeure des situations où il est pratiquement impossible d’établir un pronostic. Dans ces cas, une surveillance du patient au fil du temps permettra de se rendre compte.
Arsenal thérapeutique orienté vers la chirurgie.
Contrairement aux déformations rachidiennes structurales dites idiopathiques, susceptibles de bénéficier de l’utilisation d’orthèses de correction et/ou de ralentissement évolutif, les malformations congénitales du rachis ne bénéficient guère de ce type de traitement conservateur non opératoire. En effet, soit on se trouve dans une anomalie à potentiel d’aggravation naturelle inéluctable, pour laquelle des décisions vont s’imposer, soit on se trouve en présence d’une malformation congénitale du rachis à potentiel d’aggravation indéterminé, ne relevant que d’une mise en observation périodique.
Lorsqu’une décision opératoire est envisagée, elle doit pouvoir définir, dans chaque situation, si les objectifs poursuivis sont techniquement réalisables. Ces objectifs sont classiques dans une pathologie du rachis en croissance à potentiel déformant et neuro-compromettant :
- prévenir l’accentuation de la déformation et obtenir une fusion solide, à même de bloquer toute progression ultérieure ;
- empêcher que la seule accentuation ne compromette l’intégrité neurologique ;
- éviter qu’elle ne se répercute sur les segments rachidiens de voisinage et/ou n’induise des phénomènes d’instabilité ;
- tenter d’aboutir, de façon durable, à la meilleure rectitude rachidienne possible.
Les interventions envisageables dépendent de chaque situation individuelle analysée en globalité. Certaines sont à visée préventive d’aggravation et utilisent des procédés d’arthrodèse in situ ou d’hémi-épiphysiodèse, destinées à interrompre la croissance du côté de la convexité d’une déformation, en comptant sur la croissance du côté concave pour corriger l’asymétrie. Leur résultat reste quelque peu imprévisible et mal contrôlable, bien qu’elles soient effectivement moins risquées du point de vue des complications.
Les interventions à visée plus radicalement correctrices incluent les ostéotomies vertébrales, les résections d’hémivertèbres, les résections de segment rachidien. Toutes ces interventions ne sont conduites qu’en milieu très spécialisé en chirurgie rachidienne et équipé de moyens de surveillance neurologique per-opératoires fiables. Les risques de ces techniques doivent être parfaitement compris et expliqués au patient ou à son entourage. Reste, de toute façon, à définir la chronologie la plus opportune dans l’histoire naturelle évolutive pour mettre en œuvre ces programmes chirurgicaux.
D’après la conférence d’enseignement du Pr Gérard Bollini (Marseille)
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024