Bien que représentant une articulation à part entière parmi les cinq qui constituent la ceinture scapulaire, l’articulation acromio-claviculaire est un peu éclipsée, du point de vue de l’intérêt suscité, par sa voisine, la gléno-humérale, articulation primordiale de ce complexe. Il s’agit pourtant de la jonction essentielle entre les squelettes axial et appendiculaire. Anatomiquement, elle est classée comme une articulation diarthrodiale, entre l’extrémité distale de la clavicule et la facette médiale de l’acromion, apophyse en auvent de la scapula. A l’intérieur de cette jonction, se retrouvent des surfaces articulaires cartilagineuses hyalines ainsi qu’une formation méniscale. Un équipement ligamentaire complexe de voisinage immédiat et plus distant des surfaces articulaires assure la stabilité statique de cette jonction, complémentée par une stabilité dynamique assurée par les muscles s’insérant sur cette ceinture, le trapèze et le deltoïde.
L’agencement ligamentaire empêche à la fois les mouvements de translation, postérieurs ou supérieurs, de l’extrémité claviculaire distale par rapport à l’acromion, ainsi que la migration supérieure de la clavicule par rapport à la scapula. Cette solidarité à la fois solide et ajustable entre ces deux os autorise une optimisation des fonctions musculaires proximales du membre supérieur, essentielle à sa précision et sa puissance.
Sujet jeune et actif.
La recherche accumulée sur les lésions traumatiques ou résultant de résections chirurgicales intempestives a projeté un éclairage édifiant sur la compréhension mécanique de cette chaîne articulée particulièrement solide. Cet éclairage explique les dysfonctions à la fois douloureuse et de perte de force susceptibles de résulter de la perte de solidarité de ces éléments clefs de la ceinture scapulaire. Les luxations acromio-claviculaire ne représentent qu’environ 10 % des lésions traumatiques de la ceinture scapulaire mais elles ont un profil épidémiologique particulier.
Contrairement par exemple aux fractures de l’extrémité proximale de l’humérus, touchant plutôt le sujet âgé, les luxations acromio-claviculaire se voient électivement chez le sujet jeune et actif : traumatologie sportive et/ou de accidentologie routière. La prédominance masculine est franche, avec un pic d’incidence dans la troisième décennie de vie. En raison de la violence traumatique nécessaire pour léser cette jonction relativement solide, il n’est pas rare que la luxation acromio-claviculaire soit accompagnée de lésions de voisinage au sein de la ceinture scapulaire, à ne pas manquer lors du bilan diagnostic : fracture de la coracoïde, lésion des tendons de la coiffe de rotateurs, luxation ou instabilité gléno-humérale, autres lésions tendineuses régionales. De même, cette luxation peut être retrouvée dans un contexte de contusion pulmonaire ou de fracture du gril thoracique, avec ou sans pneumothorax. Le contexte traumatique mérite donc d’être vérifié chaque fois que possible.
La plupart du temps la luxation acromio-claviculaire résulte d’un impact direct sur le moignon de l’épaule, en général par chute (cycliste, rugbyman, etc.). Peut aussi en être à l’origine une chute sur un bras parachute, largement étendu, alors souvent accompagnée d’autres dégâts de la ceinture scapulaire. L’examen clinique initial recherchera ainsi méticuleusement, en dehors des cas où la déformation caractéristique en touche de piano saute aux yeux, des zones douloureuses électives au niveau de la jonction acromio-claviculaire mais également sterno-claviculaire et aux zones d’insertion des tendons de la coiffe.
Radiographies conventionnelles la plupart du temps.
Comme dans la plupart des situations traumatiques de cette région anatomique, la radiographie conventionnelle, éventuellement comparative avec le côté sain, obtiendra des clichés de face, profil et axillaire. Des incidences spécifiques (moins pénétrées de l’acromio-claviculaire voire éventuellement de la sterno-claviculaire) peuvent être rajoutées à la prescription radiographique de départ, en fonction des données de l’examen clinique.
Utilisé comme complément d’un examen clinique soigneux, ce bilan radiographique (au besoin complété d’un cliché dynamique, non indispensable, avec un poids de quelques kilos accroché au poignet) suffit la plupart du temps au bilan lésionnel. Dans certaines situations cependant, il est préférable de compléter cette imagerie diagnostique par une IRM, plus particulièrement si l’on suspecte une atteinte gléno-humérale ou de ses éléments péri-articulaires.
Plusieurs systèmes de classification lésionnelle ont été proposés, le premier par Cadenat en 1917. Les plus avantageux sont ceux qui permettent la meilleure standardisation des protocoles thérapeutiques. Le système Rockwood, comportant six grades de gravité croissante est aujourd’hui le plus utilisé mondialement :
•Stade I : violence traumatique modérée. Il s’agit en gros d’une bonne entorse, les ligaments demeurent intacts et les radiographies imperturbables.
•Stade II : l’impact plus important rompt certains ligaments d’immédiate proximité avec les surfaces articulaires, donnant lieu à une discrète instabilité antéropostérieure, mais respecte les ligaments coraco-claviculaires ; d’où le caractère modéré, si elle est présente, de l’élévation de l’extrémité claviculaire distale.
•Stade III : les ligaments coraco-claviculaires sont rompus donnant lieu à une instabilité de la clavicule aussi bien dans le plan horizontal que vertical (touche de piano). Malgré ces dégâts, le surtout aponévrotique trapézo-deltoïdien conserve pour l’essentiel sa continuité. La radiographie révèle l’élargissement caractérisé plus ou moins prononcé de l’espace acromio-claviculaire.
•Stade IV : le déplacement de l’extrémité claviculaire est franc, en direction postérieure, pénétrant le trapèze.
•Stade V : lésion rare, le décrochage désolidarisant la clavicule de l’acromion est massif et évident aussi bien cliniquement que radiographiquement.
•stade VI : tout à fait exceptionnelle, la migration de l’extrémité claviculaire distale se fait en direction inférieure, sous coracoïdienne, où elle se trouve piégée derrière le tendon conjoint.
Traitement personnalisé.
Les objectifs du traitement de ces lésions peuvent paraître évidents : rétablir une épaule indolente, de mobilité complète, ayant récupéré la totalité de sa puissance et non restreinte dans ses activités. La demande du patient peut toutefois entrer en jeu, certains athlètes participant à des sports de contacts (judo, rugby, etc.) risquant en effet de voir toute tentative de reconstruction vouée à l’échec en raison d’une nouvelle blessure. Il n’est donc pas exceptionnel de s’abstenir d’un traitement important si le patient est très exposé à un nouvel accident. On voit donc que parfois les caractéristiques patients prévalent sur les indications habituelles, fondées sur la classification précédemment évoquée.
Sur les stades I ou II de la classification de Rockwood, il existe un quasi consensus pour traiter ces lésions de façon non opératoire dite fonctionnelle, essentiellement par immobilisation régionale et refroidissement de la zone à visée antalgique. Sur les stade IV, V et VI, inversement, en raison de l’importance des dégâts de parties molles et la gêne résiduelle à prévoir, la plupart des auteurs préconisent plutôt un traitement chirurgical.
Quant au stade III, quelque fois difficile à différencier d’un stade V en urgence, son indication thérapeutique fait débat, ce plus en raison du risque de complication iatrogène que d’une non légitimité de réparation active des lésions présentes. Le rapport bénéfices/risques des attitudes, chirurgicale et non-opératoire, ne semble pas différer significativement.
Une fois déterminée l’orientation adoptée il faut s’assurer de pouvoir la réaliser en totalité. S’il existe des lésions cutanées, il importera de différer une éventuelle intervention jusqu’à cicatrisation. A noter, un traitement non-opératoire peut voir également les lésions cutanées s’aggraver.
Panoplie technique étendue.
L’intervention envisagée sera fondée, outre sur une analyse lésionnelle précise, sur l’expérience et les préférences du chirurgien. La multiplicité des techniques utilisables pour réduire et stabiliser une luxations acromio-claviculaire fait comprendre qu’il n’y a pas d’intervention idéale pour suppléer la rupture de ligaments coraco-claviculaires.
Parmi les multiples techniques possibles, la réparation du complexe ligamentaire coraco-claviculaire (historiquement la première technique), le transfert du ligament coraco-acromial à titre de substitut, la reconstruction, avec ou sans supplémentation, du ligament coraco-claviculaire, combinée à une résection économique de la clavicule distale. Des renforts de solidarisation entre la coracoïde et la clavicule sont proposés : laçage artificiel péri-coracoïdien, implantable sous arthroscopie, auto- ou allogreffe de tendon demi-tendineux... L’idée est de reproduire une configuration anatomique proche de celle des ligaments coraco-claviculaires trapézoïde et conoïdes sans fragiliser leur base d’attache, l’apophyse coracoïde.
Des précautions post-opératoires.
C’est en fonction de la technique utilisée mais également d’autres considérations que sera défini le protocole thérapeutique post-opératoire : en général, au moins trois semaines d’immobilisation, avec un soutien en écharpe. Vers quatre semaines peut commencer un début de mobilisation, toujours membre supporté. Les exercices de remusculation ne commencent en général que vers la sixième semaine. De tels délais peuvent devoir être étendus si la reconstruction s’est faite pour une lésion invétérée, ou s’il s’agit de sujets sportifs qui risquent de soumettre leur reconstruction à rude épreuve. Le délai de retour au sport ou à l’activité professionnelle antérieure peut aller jusqu’à trois ou quatre trimestres complets chez le travailleur de force ou l’athlète de puissance.
D’après la Conférence d’Enseignement du Dr Christian Trojani (Nice)
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