Acides gras saturés mauvais pour le cœur, oméga-3 qui rendent obèses, oméga-6 essentiel au nourrisson… Difficile de résister à la tentation de classer les lipides en bonnes ou mauvaises graisses. Mais les choses n’apparaissent plus de manière si tranchée et une distinction plus fine entre ces acides gras est aujourd’hui de mise comme cela a été démontré lors des Journées Francophones de Nutrition 2013 à Bordeaux.
Les acides gras saturés sont accusés – de longue date – de favoriser les maladies cardiovasculaires. Mais les derniers travaux de recherche révisent le concept d’acides gras saturés et « il n’est plus acceptable de les considérer en bloc comme bons ou mauvais pour la santé, a avancé le Pr Philippe Legrand, biochimiste et directeur d’Agro-campus Ouest (Rennes), lors des Journées Francophones de nutrition (Bordeaux, 11-13 décembre 2013). Il faut donc maintenant préciser de quels acides gras on parle. » En effet, ils diffèrent par leur structure, leur métabolisme et leurs effets sur la santé.
AG saturés, des molécules à différencier
Ainsi, on sait désormais que les acides gras saturés à chaîne courte et moyenne ne posent pas de problème de santé. « En revanche, les acides gras à chaîne longue, essentiellement en C12 : 0, C14 : 0 et C16 : 0, peuvent avoir des effets indésirables lorsqu'ils sont présents en quantité trop importante », explique le spécialiste. On les retrouve surtout dans l’huile de coco, de palmiste et de palme.
Seul l’acide stéarique (C18 : 0) fait exception (présent dans les graisses animales), faiblement assimilé et facilement converti en acide oléique. Quant à leur lien avec les maladies cardiovasculaires, « il n’est pas confirmé par la réanalyse des données anciennes ni par deux récentes méta-analyses ».
Il ne faut donc plus diaboliser les acides gras saturés. D’autant qu’ils ont des fonctions importantes dans l’organisme. Au-delà de leur rôle structurel dans les membranes, ils permettent d’épargner des acides gras essentiels. C’est le cas de l’acide myristique (C14 : 0). À dose modérée, il protège les oméga-3 de l’oxydation, épargne leur utilisation et stimule leur conversion en EPA et DHA. « Chez le nourrisson, les AG saturés sont préférentiellement convertis en cholestérol, molécule indispensable à la construction du cerveau, et évitent ainsi le gaspillage des acides gras polyinsaturés », argumente le Pr Legrand. Un constat qui lui fait dire que les matières grasses laitières, riches en acides gras saturés, n’auraient jamais dû être exclues des formules infantiles.
L’excès d’oméga-6 rend-il obèse ?
Autre question qui divise : l’excès d’oméga-6 rend-il obèse ? « Plusieurs études cliniques suggèrent que le statut en acides gras polyinsaturés des mères pendant la grossesse et l’allaitement joue un rôle dans la corpulence ultérieure de l’enfant », indique le Pr Jean-Philippe Girardet, chef de service de Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques à l’hôpital Trousseau (Paris). Le rapport oméga-6/ oméga-3 serait en particulier déterminant. « Les études humaines sont cependant rares et difficiles à interpréter », reconnait-il. Mais les données de consommation des populations font réfléchir. « Celles-ci montrent une augmentation considérable dans les pays industrialisés de la consommation d’acide linoléique (oméga-6) passant de 5 % de l’apport énergétique en 1960 à 7,5% en 2000 ». Or ceci est parallèle à l’augmentation de la prévalence de l’obésité infantile durant la même période et dans les mêmes pays.
Le lait maternel pourrait bien fournir une explication à cela. « Les analyses du lait maternel de femmes américaines ont montré que sa teneur en acide linoléique s’est modifiée au cours des années passant de 5% en 1940 à 17% des acides gras totaux en 2000 », constate-t-il.
Un phénomène également retrouvé au Canada, en Australie et en France. « Ceci correspond à trois fois les apports nutritionnels conseillés en acide linoléique, fixés en France à 2,7 % de l’apport énergétique total (AET) ». Sans oublier les formules infantiles qui se sont, elles aussi, enrichies en acide linoléique jusqu’à 11 % de l’AET pour certaines.
Pour le Pr Girardet, il faut agir. Les récentes recommandations de la société Française de Pédiatrie (2014) fournissent des pistes : « Diminuer les apports des femmes enceintes et allaitantes en acide linoléique et privilégier les huiles de colza, de noix et la consommation de poisson deux fois par semaine. Chez les nourrissons non allaités, privilégier les préparations enrichies en DHA (0,32 % des acides gras totaux) et avec une teneur en acide linoléique proche de la limite inférieure réglementaire (300mg/100 kcal) ».
Les oméga-3 sont-ils utiles dès la naissance ?
Enfin, l’interrogation porte sur les oméga-3 : faut-il supplémenter les nourrissons dès la naissance en cet acide gras poly-insaturé?? Pour le Dr André Briend, nutritionniste et
[[asset:image:456 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["Phanie"],"field_asset_image_description":[]}]]pédiatre (Marseille), cela ne fait aucun doute. « Pourtant le caractère essentiel des oméga-3 chez le nourrisson a mis du temps à s’imposer », remarque-t-il. Il a fallu attendre les années 1990 pour que l’incorporation de l’acide alpha-linolénique soit obligatoire dans les préparations. » Malheureusement, celle-ci ne s’est pas révélée très utile. « La conversion de cet acide gras en oméga-3 chaines longues est très faible (3 à 5%) », indique-t-il.
D’où la question de l’introduction de chaines longues comme le DHA dans les formules infantiles. « Cet enrichissement est aujourd’hui autorisé mais pas obligatoire. » Si bien que la majorité des préparations disponibles sur le marché français n’est pas enrichie en DHA. « Et celles qui le sont, sont souvent à des niveaux inférieurs à ceux recommandés par l’OMS ou l’Anses », regrette-il. Frilosité des industriels ? « En réalité, aucun effet fonctionnel clair n’a été montré par les essais randomisés en dehors d’un effet transitoire sur la vision », avoue le Dr Briend.
Cependant, les études chez l’enfant sont rares. Pour lui, en l’absence d’effet délétère et au vu du rapport bénéfice/risque, l’enrichissement des formules devrait être systématique.