En 1922, la découverte de l’insuline a constitué une avancée thérapeutique considérable, elle a été diffusée comme une traînée de poudre en quelques mois partout dans le monde, malgré les moindres moyens des médias d’alors. Il existait, enfin, un traitement pour sauver la vie des jeunes diabétiques de type 1 (DT1) qui ne survivaient que quelques mois, parfois 1 ou 2 années, après la découverte de leur maladie, dans un terrible état de cachexie !
Par la suite, de nombreux diabétiques de type 2 (DT2) ont aussi bénéficié de ce traitement et aujourd’hui, en France, plus de 750 000 diabétiques en reçoivent et probablement plus de 80 millions dans le monde. Il s’agit d’un traitement incontournable, vital dans le DT1 et indispensable pour 1/4 à 1/3 des DT2.
D’innombrables progrès ont été réalisés dans le domaine, de la mise au point d’insuline plus pure, d’action très courte ou très longue, avec des résultats remarquables permettant aujourd’hui de traiter de façon optimale la plupart des diabétiques dans les pays qui disposent de ces thérapeutiques et d’un système de santé satisfaisant.
Cependant l’insuline, qui est une protéine, ne supporte pas d’être administrée par voie orale car, telle quelle, elle est dégradée par les enzymes protéolytiques durant la digestion. Elle demeure ainsi, exclusivement, un traitement injectable, ce qui constitue bien sûr une contrainte malgré tout. Le rêve de tout diabétique traité par insuline, et de tout soignant, est depuis toujours est de disposer d’une insuline administrée par voie orale. Il existerait ainsi des insulines lentes orales, assurant les besoins la nuit et entre les repas, et pour les sujets ayant un DT1 ou certains DT2, des insulines rapides (orales ou injectables) pour couvrir les besoins prandiaux.
Caprate de sodium
Voilà quelques années que plusieurs groupes pharmaceutiques travaillent sur la mise au point d’insulines administrées par voie orale. Des études de phase 3 sont même en cours avec une insuline produite par un groupe indien.
L’insuline orale développée par Novo-Nordisk la N338 pourrait être une des plus avancée dans ce domaine (1,2). Après avoir été absorbée par l’intestin, cette insuline passe par la voie porte, ciblant en premier le foie ; puis, dans le sang, elle se lierait fortement mais de façon réversible à l’albumine, et enfin lierait le récepteur de l’insuline, tout comme les insulines injectées. Cette action initiale sur le foie constitue en soi une potentielle supériorité sur les insulines injectées dont les effets hépatiques restent toujours limités, puisque leur diffusion se fait par voie systémique et non par voie porte.
Cependant, le groupe a donné assez peu de détails quant à la technologie utilisée pour la mise au point de cette insuline innovante. On sait seulement qu’elle est associée au caprate de sodium, connu comme un activateur de la perméation des macromolécules à travers les jonctions serrées tricellulaires des cellules intestinales. De telles approches ont été testées dès 1999 chez le rat (3). D’autres méthodes sont développées par d’autres compagnies.
Des résultats prometteurs
Durant le dernier congrès européen sur le diabète (EASD, septembre 2017), le groupe Novo-Nordisk a présenté deux premières études, sur la N338, qui utilise le caprate de sodium. Celle-ci a une demi-vie de 70 heures, une fois l’équilibre atteint. Une étude de phase 2b chez des DT2 vs insuline glargine a été menée chez 50 patients : 25 DT2 traités par glargine (1 injection par jour) et 25 par N338 (1 prise orale quotidienne) ± metformine et iDPP4 (1). Leur profil clinique était représentatif : une HbA1c de départ un peu supérieure à 8 %, poids corporel 90 kg et ancienneté de diabète d’environ 11 années.
Il s’avère que, après 8 semaines de traitement, la baisse des glycémies à jeun ainsi que de l’HbA1c, de la fructosamine et le nombre d’hypoglycémies (toutes modérées) sont identiques dans les deux groupes. Seule diffère la variabilité glycémique (GAJ) qui est un peu meilleure sous glargine. Cette étude s’avère donc très prometteuse.
Un délai de 30 minutes avant de petit-déjeuner
La seconde étude, menée chez des sujets non-diabétiques, avait pour but de mesurer les effets de la prise du petit-déjeuner, plus précisément du temps écoulé entre la prise de l’insuline orale et la prise alimentaire, sur les insulinémies mesurées : pic et temps d’exposition total à l’insuline orale (2).
La conclusion est que, dès que la prise du comprimé de N338 est faite 30 minutes ou plus avant la prise d’aliments, il n’existe plus d’interférence avec la prise alimentaire qui suit. La prise simultanée de l’insuline orale et du petit-déjeuner ayant, elle, pour effet une absorption plus rapide mais des concentrations plus faibles donc une exposition totale à l’insuline très nettement réduite.
Là encore, peu d’hypoglycémies, malgré le fait qu’il s’agisse de sujets non-diabétiques et à jeun. En somme, la recommandation serait de respecter un minimum de 30 minutes entre la prise du comprimé d’insuline et le petit-déjeuner. Ensuite un écart supérieur 60 min voire 360 min (donc de jeûne) ne change plus rien vs prise 30 minutes avant les aliments.
Des questions qui restent ouvertes
Rien n’a été dit… des variations que peuvent entraîner les prises alimentaires précédentes, leur composition, des troubles ou maladies des intestins, des effets secondaires de ce mode d’administration – le caprate de sodium est parfois autrefois suspecté d’en avoir induit – des effets indésirables, à court ou long terme, du passage de l’insuline au travers de l’intestin (gastroparésie, diarrhée), immunitaires, ni précisé les doses d’insuline reçues, en moles, par rapport à ce qui est reçu par voie injectable sous-cutanée.
De plus, si les effets hépatiques de la voie orale doivent être meilleurs, aucune étude n’a encore été menée à cette intention (mesure de la production hépatique de glucose).
Affaire à suivre donc, peut-on espérer une insuline orale100 ans après la découverte de l’insuline (4) ?
Professeur émérite. Université Grenoble Alpes (Grenoble)
(1) Plum-Mörschel L et al. EASD 2017 Lisbonne. Abstract 74.
(2) Szilstra E et al. EASD 2017 Lisbonne Abstract 189.
(3) Uchiyama T et al. Enhanced permeability of insulin across the rat intestinal membraneby various absorption enhancers: their intestinal mucosal toxicity andabsorption-enhancing mechanism of n-lauryl-beta-D-maltopyranoside. J Pharm Pharmacol 1999;51:1241-50
Fonte P et al. Oral insulin delivery: how far are we? J Diabetes Sci Technol 2013 1;7:520-31
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