« En France métropolitaine, il a fallu attendre près de 150 ans pour que les pratiques alimentaires se transforment. En Polynésie et à La Réunion, ces mutations se sont opérées trois fois plus vite », souligne Laurence Tibère, chercheuse au Certop-CNRS à Toulouse. Ces deux sociétés présentent des similarités en termes de développement économique. Alors qu'elles se sont organisées tout au long de leur histoire pour gérer la pénurie, elles ont été, très vite, plongées dans l'abondance et la diversité. La présence des Américains sur le territoire polynésien, dans les années 1950 et 60, puis l'installation du centre nucléaire du Pacifique a très vite drainé de nouvelles populations et de nouvelles richesses. L'économie s'est monétarisée, de grandes surfaces ont vu le jour, ouvrant la voie à la consommation de masse. À La Réunion, c'est le passage à la départementalisation, en 1946, qui a provoqué le développement de nouveaux modèles économiques (grande distribution, urbanisation massive), ouverts à la mondialisation. Ces deux territoires insulaires ont, ainsi, vécu une tertiarisation rapide de l'économie, amenant une partie des populations agricoles à quitter la campagne pour travailler en ville.
Légumes, riz, féculents…
« Ces changements ont provoqué des mutations alimentaires auxquelles notre équipe de recherche s'est intéressée, dans le cadre de travaux menés au début des années 2000 (projet Nutrialis-Rare). Des modèles que nous avons comparés à celui de la métropole », explique Laurence Tibère.
Réunionnais, Polynésiens et Français de métropole ont notamment été sondés sur la notion du « bien manger ». Si, pour les résidants de la métropole, cette notion est liée à l'équilibre alimentaire (manger varié, une entrée, un plat et un dessert), pour les populations ultramarines, le « bien manger » reste fortement lié à « manger en grande quantité ».
Quant aux aliments dont la consommation doit être limitée pour rester en bonne santé, « les Réunionnais et les métropolitains placent les matières grasses en première position, suivies du sucre. Les Polynésiens, quant à eux, classent d'abord les féculents, puis le sucre. Les matières grasses sont citées bien après car la population valorise le gras et les personnes de forte corpulence. À l'inverse, en métropole, la minceur et les bienfaits pour la santé des aliments sont privilégiés », détaille Laurence Tibère. Et si, en métropole, les aliments essentiels sont les légumes et les produits laitiers, les Réunionnais et les Polynésiens citent plus volontiers les aliments de leur cuisine traditionnelle (le riz, le cari, ou encore, le fruit de l'arbre à pin).
Prévenir le diabète dans les territoires en transition
Les populations insulaires sont très attachées au modèle alimentaire traditionnel, riche en graisses et en sucres raffinés. « Dans le cadre de notre travail, nous nous sommes entretenus avec des médecins qui ont mis en place des ateliers culinaires pour permettre aux patients de continuer à cuisiner leurs plats traditionnels, mais en les adaptant (diminution des graisses, des féculents, ajout de légumes). L'objectif étant de les rendre meilleurs d'un point de vue nutritionnel, notamment pour les patients diabétiques ou à risque de le devenir », confie Laurence Tibère. Traditionnellement, les Réunionnais et les Polynésiens (les Ma'ohi) consomment deux repas par jour (déjeuner et dîner). Mais l'occidentalisation de ces sociétés induit des modifications des rythmes. « Désormais, les modèles se rapprochent de ceux la métropole avec, notamment, la prise de trois repas par jour. Cette transition rapide, en une quarantaine d'années, s'est accompagnée d'une augmentation du diabète. Les plats traditionnels restent riches et l'ajout d'un 3e repas augmente la prise calorique. Je participe à un groupe de réflexion – avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) – mandaté pour dresser un état des lieux des déterminants de la nutrition dans les Outre-mer français afin de les améliorer. Les premiers résultats seront disponibles dès la fin de l'année », conclut Laurence Tibère.
Entretien avec Laurence Tibère, 13
e école de la Société française de nutrition
Poulain J.P. Journal des anthropologues 2006(106-107):245-68
Tibère L. L'alimentation dans le vivre ensemble multiculturel. L’exemple de La Réunion. L’Harmattan, 2009, 479 pages
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