Nous rapportons l'observation d'une patiente âgée de 70 ans, aux antécédents d’acromégalie sur adénome hypophysaire somatotrope avec syndrome dysmorphique, sans atteinte viscérale, ni manifestation ostéo-articulaire, opérée en 2000.
Les symptômes ont débuté en 2010 par une monoarthrite du poignet gauche traitée par une association anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et corticothérapie. Est apparu ensuite progressivement un tableau de polyarthralgies inflammatoires avec réveils nocturnes et raideur matinale de plus de 2 heures aux genoux, hanches, poignet et à l’épaule gauche.
Le bilan biologique initial révélait une discrète élévation de l’IGF1 (201 ng/ml pour une normale inférieure à 155 ng/ml), une GH normale, une faible positivité du facteur rhumatoïde (FR = 30 UI) et des anticorps anti-CCP (21 UI) ; il n’y avait pas de syndrome inflammatoire biologique. Les sérologies virales, les bilans martial, rénal et hépatique étaient normaux.
Atteinte prédominante aux hanches et aux épaules
Les radiographies mettaient en évidence une arthropathie destructrice des deux épaules (figure 1) et des deux hanches (figure 2), une rhizarthrose et une arthrose digitale bilatérales.
[[asset:image:7155 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["Radiographie \u00e9paule droite en rotation neutre: pincement gl\u00e9no-hum\u00e9ral quasi complet, ost\u00e9oscl\u00e9rose sous-chondrale avec g\u00e9odes de la t\u00eate hum\u00e9rale, pincement sous-acromial avec ascension de la t\u00eate hum\u00e9rale, ost\u00e9ophytose exub\u00e9rante de la gl\u00e8ne hum\u00e9rale"]}]][[asset:image:7156 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["Figure 2 : Radiographie de bassin de face (clich\u00e9 d\u2019urographie intraveineuse): pincement coxo-f\u00e9moral bilat\u00e9ral sup\u00e9ro-externe complet, ost\u00e9ophytes cotylo\u00efdiens, ost\u00e9oscl\u00e9rose sous chondrale. "]}]]
Les radiographies des genoux étaient considérées comme normales et celles du rachis retrouvaient des discopathies dégénératives en L4-L5, L5-S1, une arthrose zygapophysaire postérieure lombaire étagée ainsi qu’un antélisthésis de L4 d’origine arthrosique.
Un traitement par méthotrexate (15 mg/semaine) a été initié en association à la corticothérapie. Les crises douloureuses (3-4/an) ont persisté sous traitement (méthotrexate, corticothérapie, infiltrations d’héxacétonide de triamcinolone). Une tentative de traitement par étanercept pendant 4 mois n'a eu aucune efficacité. Une pose de prothèse de hanche bilatérale a été réalisée.
Par la suite, de nouvelles explorations ont montré une négativité de la GH et de l’IGF1 et une positivité plus marquée du FR (145 UI) et des anticorps anti-CCP (93UI). Une ponction de l'épaule gauche a été réalisée, retrouvant un liquide visqueux, mécanique (< 100 éléments/mm3), à prédominance macrophagique, avec quelques cristaux d’hydroxy-apatite. Une biospie synoviale de hanche a également été réalisée lors de la pose de prothèse de hanche gauche. Elle a mis en évidence une synoviale hypertrophiée, aspecifique.
Finalement, le diagnostic de rhumatisme acromégalique a été retenu devant l’atteinte clinique à prédominance rhizomélique (hanches, épaules), l’absence de syndrome inflammatoire biologique, le caractère mécanique du liquide articulaire, l’atteinte radiographique à type d’arthropathie destructrice d’allure mécanique ou métabolique des épaules et des hanches et l’échec du méthotrexate et de l’étanercept.
Commentaire
L’acromégalie est une endocrinopathie chronique rare habituellement en rapport avec une hypersécrétion d’hormone de croissance (GH) par un adénome hypophysaire. Elle a été décrite pour la première fois par Pierre Marie en 1886. Elle touche généralement l’adulte jeune, entre 20 et 40 ans. Les femmes sont plus fréquemment atteintes.
Une atteinte rhumatologique dans 50 à 90 % des cas
De début insidieux, l’acromégalie est souvent diagnostiquée tardivement devant le syndrome dysmorphique. Mais d’autres manifestations peuvent être rencontrées au cours de cette affection dont l’atteinte rhumatologique (1,2). Elle est fréquente chez 50 à 90 % des patients, avec un délai d’apparition de 10 ans suivant le diagnostic (3). L’excès de GH et d’IGF1 (Insulin-like growth factor 1) est responsable d’une augmentation de l’épaisseur des cartilages et des tissus mous.
Les arthralgies sont fréquemment retrouvées et même révélatrices dans 10 % des cas (1). Elles sont souvent mécaniques. Toutes les articulations peuvent être touchées mais particulièrement les membres supérieurs. Les arthralgies se résolvent la plupart du temps après le traitement de l’adénome hypophysaire.
L’arthropathie acromégalique intéresse préférentiellement, par ordre de fréquence décroissant, les genoux, les épaules et les hanches (4). Les douleurs peuvent avoir un horaire inflammatoire, surtout aux membres supérieurs. Une hypermobilité articulaire est généralement présente initialement, traduisant l’hypertrophie des cartilages articulaires (« stade réversible ») [5,6]. Puis la mobilité diminue au cours du temps en raison de la destruction cartilagineuse et de la prolifération ostéophytique (« stade irréversible »). Les épanchements articulaires sont rares (5 %).
Les manifestations radiologiques sont quasi-constantes (5). On peut retrouver une hypertrophie des parties molles, un élargissement de l’interligne articulaire à la phase initiale, des ostéophytes exubérants, des ossifications des insertions tendineuses, des exostoses des surfaces osseuses, un pincement secondaire de l’interligne articulaire et une arthropathie destructrice (comme chez notre patiente) [5,8].
Il est important de préciser que le pincement articulaire et les ostéophytes peuvent continuer de progresser en dépit d’une rémission biologique prolongée de l’acromégalie (9,10,11).
Il existe également des atteintes axiales. Les patients se plaignent fréquemment de lombalgies. Sur le plan radiographique, on peut mettre en évidence des coulées ostéophytiques antérieures et latérales des corps vertébraux ainsi qu’un scalloping du mur vertébral postérieur (aspect concave du mur vertébral postérieur lié à une hyper-résorption osseuse) regroupés sous le nom de spondylose d’Erdheim. Des associations à la maladie de Forestier ont aussi été décrites sans qu’il y ait de lien physiopathologique mis en évidence.
Le traitement des manifestations rhumatologiques de la maladie repose sur le traitement de l’adénome hypophysaire. Il est le plus souvent chirurgical par voie transsphénoïdale. Si la chirurgie est impossible ou contre-indiquée, un traitement par radiothérapie (de moins en moins réalisé) et/ou médical est proposé (analogues de la somatostatine, agonistes dopaminergiques, antagoniste de l’hormone de croissance) [12].
Les arthropathies justifient le recours aux antalgiques de pallier I, II, anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et infiltrations cortisoniques. Les arthropathies destructrices (hanche, genou, épaule) nécessitent le plus souvent la mise en place d’une prothèse.
Polyarthrites des petites articulations
De rares cas de polyarthrite rhumatoïde (PR) ont été rapportés chez les patients acromégales après le traitement de leur adénome. Dans la plupart des cas rapportés, et contrairement à notre patiente, les patients développaient des polyarthrites symétriques des petites articulations, avec pincement des MCP, voire des érosions du carpe. Il s’agissait de polyarthrites séronégatives mais également séropositives (FR positif et plus rarement anticorps anti-CCP positifs). L’acromégalie était parfaitement contrôlée (dosages hormonaux normaux, IRM hypophysaire normale). Le traitement par csDMARDS et anti-inflammatoires permettait la régression rapide des symptômes(13,14).
Hôpital Lariboisière,Paris
(1) Lioté F. et al. Baillieres Best Pract Res Clin Rheumatol 2000;14:251-76
(2) Killinger Z et al. Rheum Dis Clin North Am 2010;36:713-20
(3) Wassenaar MJE et al. Eur J Endocrinol 2009;160:357-65
(4) Colao A et al. J Endocrinol Invest 2005;28(8 Suppl):24-31
(5) Claessen KM et al. Growth Horm IGF Res 2013;23:159-64
(6) Claessen KM. et al. Eur J Endocrinol 27 mars 2017
(7) Resnick D. Bone and Joint Disorders Vol. 3, 4 th ed. W.B. Saunders Company.
(8) Romijn JA. Endocrine 2013;43:245-6
(9) Claessen KM. et al. Neuroendocrinology 2016;103:86-95
(10) Scarpa R et al. J Clin Endocrinol Metab 2004;89:598-603
(11) Wassenaar MJE et al. Ann Rheum Dis 2011;70:320-5
(12) Chanson P et al. Ann Endocrinol 2009;70:92-106
(13) Aydın Y et al. Rheumatol Int 2012;32:2913-5
(14) Miyoshi T et al. Endocr J 2006;53:621-5
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