Sophia, une fausse révolution

Publié le 26/04/2018
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Il y a quelques semaines de cela un patient vient me voir la bouche en cœur pour m’annoncer qu’il avait reçu un coup de fil de la Sécurité Sociale pour faire le point sur son diabète.

J’ai très vite compris qu’il avait demandé à être inclus dans le programme SOPHIA. Autrefois, il était nécessaire pour être orienté vers cette plateforme d’avoir l’assentiment de son médecin traitant. Or, jugeant la formule pas nécessairement acceptée par les généralistes, nos têtes pensantes ont décidé qu’il fallait ferrer le poisson diabétique avec des invitations via la poste.

En revenant à mon patient, ce dernier m’explique que l’opérateur au bout du fil lui avait expliqué qu’il était inconvenant de ne pas avoir effectué son contrôle trimestriel de son diabète de type 2. Avec un petit sourire le patient me glisse que son interlocuteur lui aurait dit que le généraliste n’était pas au top car il aurait dû demander ces analyses. Je me suis empressé de lui répondre que j’étais étonné par le fait de ne pas avoir reçu les analyses trimestrielles demandées (le patient avait perdu mon ordonnance), car j’avais bien effectué cette prescription.

La ligne rouge est franchie

Cet exemple nous montre que la Sécurité Sociale a franchi la ligne rouge, et se substitue au médecin traitant. Sur ce point nous ne pouvons que rejoindre les propos de l’UFML tenu dans les colonnes du Quotidien : on ne substitue pas le médecin par un organisme social.

Le plus dramatique dans cette histoire, c’est que cette « prise en charge » entraîne quelques problèmes pour plusieurs raisons :

- Nombreux sont les patients qui ne comprennent pas la finalité du dosage de l’HBA1C, et les mesures proposées par SOPHIA.

- Certains pensent que SOPHIA travaille en synergie avec le médecin traitant

- Pour être efficace en diabétologie il faut connaître le patient (la qualité de son observance, son état général, son degré de compréhension sur sa pathologie). Ce n’est pas un coup de fil donné par une diététicienne lilloise (l’équipe mandatée pour démarcher est visiblement basée dans cette ville) qui va arranger les choses, mais plutôt le généraliste de terrain. Le diabète est une pathologie complexe qui nécessite une expertise très pointue et de longue haleine parfois.

- On altère la relation médecin/malade (déjà sérieusement mis à mal) par le biais d’un tel dispositif ; surtout en cas de formulation mettant en cause le suivi du médecin traitant

A chacun sa place

Les plus intéressés par SOPHIA sont ceux qui ne nécessitent pas un suivi de ce type car ils savent pertinemment comment se gérer. Par contre, à une époque où nos organismes sociaux doivent faire des économies, nous devons nous élever pour stopper cette gabegie financière.

Nous, les professionnels de santé, sommes aussi des contribuables. Aussi, même si nous devons rendre des comptes à la Sécurité Sociale, nous avons le droit de demander les raisons qui poussent nos organismes à effectuer ce programme très onéreux.

Il faut que chacun ne change pas de place : la Sécurité Sociale s’occupe des comptes, et le médecin des patients. Élaborer un programme centré sur le patient sans avoir l’expertise du médecin traitant est voué à un échec certain.

Aussi, pour être plus efficace pour limiter les complications de ce fléau la Sécurité Sociale devrait plutôt :

- Soit revaloriser la prise en charge du diabétique de type 2

- Soit donner des outils (prise en charge de formations, envoi de matériel…)

Cependant, pour en arriver là il faudrait discuter avec le professionnel de terrain, et sur ce point nous pouvons dire que la Sécurité Sociale devrait prendre des cours…

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Dr Pierre Francès, Médecin généraliste, Banyuls-sur-mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin: 9660