En juillet 2017, une jeune fille âgée de 15 ans sans antécédents personnels notables et uniquement un diabète chez une tante à l'âge 30 ans, consulte aux urgences pour des symptômes évoluant depuis trois semaines associant nausées, anorexie, quelques vomissements, douleurs abdominales épigastriques et thoraciques paroxystiques et dyspnée depuis 48 heures. Les examens biologiques et une échographie, préalablement réalisés en ambulatoires, sont sans particularité. Sa conscience est normale, la PA est à 90/53 mmHg avec hypotension orthostatique une fréquence cardiaque de 132 bpm, température 37,7°C, état cutané jugé normal, comme l'examen thoraco-abdominal, hormis une discrète douleur à la palpation de l'hypochondre droit. La biologie retient : natrémie 133 mmol/L, kaliémie 4,9 mmol/L, créatininémie 98 µmol/L, glycémie 5,9 mmol/L, TSH normale, D-Dimères positifs, légère hypoxie hypocapnie, cytolyse hépatique modérée.
Une TDM thoraco-abdominale est normale, et la jeune patiente retourne à son domicile après la prescription de sérologies pour maladie de Lyme, EBLM et CMV (reviendront négatifs).
Dégradation de l'état général
En septembre la même année, le tableau digestif persistant (après une gastro et coloscopie est normale) s'accompagne d'une asthénie majorée, qui justifie un retour aux urgences. Le constat principal est une confirmation de la natrémie (131 mmol/L), kaliémie 4,9 mmol/L. Pas de conclusion, mais après une semaine apparaissent une hyperthermie à 38,2°C et des vomissements répétés. Le SAMU est appelé pour deux malaises dits vagaux, PA 60/28 mmHg, tachycardie, saturation 97 %, extrémités froides.
Elle est admise en réanimation et après remplissage on retrouve une PA à 81/44 mmHg, la patiente a les yeux cernés, une soif intense, une diurèse conservée, un transit normalisé, une angine érythématopultacée. Il existe un doute sur une mélanodermie mais l'origine maghrébine ne fait pas retenir ce signe.
Les résultats d'examens montrent alors : natrémie 119 mmol/L, kaliémie 3,9 mol/L, créatininémie 564 µmol/L, urée 17,7 mmol/L. Quant à l'ionogramme urinaire : Na 21 mmol/L, K 2 mmol/L, CRP 228 mg/L, GB 5,2 G/L.
Deux hypothèses diagnostiques sont évoquées : un choc septique vasoplégique ou la décompensation aiguë d'insuffisance surrénalienne, secondairement à une angine bactérienne.
Un traitement en urgence est mis en route : recharge en sel (IV), hémisuccinate d'hydrocortisone (HSHC), noradrénaline, antibiothérapie, hydratation, Lovenox à titre préventif.
Trois jours après, la biologie montre un cortisol à 8 heures (avant prise d'HSHC) de 55 nmol/L, en regard d'une ACTH 300 pmol/L, aldostérone < 25 pmol/L, rénine 507 ng/L, dosages des anticorps antisurrénales positifs (>160). Au TDM et à l'échographie abdominale, les surrénales apparaissent normales.
Une pathologie souvent ignorée
Le diagnostic retenu est celui d'une maladie d'Addison. Après un traitement avec de fortes doses d'hydrocortisone, le relais sera pris par hydrocortisone per os 25 mg/j (15 à 25 mg/j habituellement), et fludrocortisone (un minéralocorticoïde) 0,1 mg/j avec, en cas de stress, 90 mg/j en trois prises. En cas d'inefficacité, de troubles de conscience ou digestifs, on devra passer en injectable, 200 mg IM.
Ce cas clinique est exemplaire à bien des égards : la maladie d'Addison est une pathologie souvent ignorée et de diagnostic retardé, qui a abouti ici à une décompensation sur insuffisance surrénale chronique sous-jacente méconnue depuis plusieurs mois.
L'absence de diagnostic, malgré des consultations itératives auprès de plusieurs praticiens – ici médecin généraliste, urgentistes, anesthésiste, pédiatre, gastroentérologue – est un fait souvent rapporté. La mélanodermie aurait dû faire penser au diagnostic, mais l'origine ethnique et parfois la saison (été, bronzage, ou retour de régions très ensoleillées en hiver) a souvent conduit à des erreurs diagnostiques, parfois fatales, régulièrement rapportées.
Attention, l'endocrinologue-pédiatre qui a fait le diagnostic insiste : nombre de jeunes ayant une maladie d'Addison sont pris pour des anorexiques.
Une affection auto-immune
La maladie d'Addison est certes une affection rare (en moyenne 12/100 000/an), d'origine auto-immune dans 75 à 80 % des cas. Mais un grand établissement de santé y sera de fait confronté chaque année à quelques reprises.
Certains signes associés comme un vitiligo, une pathologie thyroïdienne, voire une maladie auto-immune déjà diagnostiquée (diabète de type 1, thyroïdopathie auto-immune) chez le sujet ou dans sa famille proche doivent être recherchées. D'ailleurs, chez les sujets diagnostiqués comme ayant une maladie d'Addison, 60 % présenteront une autre pathologie auto-immune ultérieurement.
Une approche éducative indispensable
La substitution par hydrocortisone et minéralocorticoïdes doit faire l'objet d'une approche éducative afin de rendre le sujet apte à adapter ses doses à bon escient, en cas de maladies intercurrentes et toutes sortes de situations de stress, puisqu'alors les besoins en cortisol (hydrocortisone) sont accrus et que l'organisme n'est pas en mesure de s'y adapter spontanément. Une carte indiquant la maladie et la conduite à tenir, l'apprentissage de l'auto-injection d'hydrocortisone et celle de l'entourage ainsi qu'un kit d'urgence sont indispensables.
Professeur émérite, Université Grenoble-Alpes
Nous tenons à remercier les médecins pédiatres endocrinologues du CHU de Grenoble (plus particulièrement la Dr Clémentine Dupuis) de nous avoir confié et permis de rapporter cette observation clinique.
Guignat Laurence. Éducation thérapeutique du patient dans l’insuffisance surrénale. Annales d’Endocrinologie 2018;79:167-73.
Hahner Stefanie. Insuffisance surrénale aiguë et mortalité : une préoccupation toujours d’actualité en 2018. Annales d’Endocrinologie 2018;79:164-6.
Chanson Philippe, Guignat Laurence, Goichot Bernard et al. Groupe 2 : insuffisance surrénale : méthodes de dépistage et confirmation du diagnostic. Annales d'Endocrinologie 2017;78:495-511.
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