Les troubles des conduites alimentaires dans le diabète de type 1

Y penser et les rechercher avec tact

Publié le 22/05/2012
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UNE ALIMENTATION équilibrée et une activité physique minimale sont au cœur de la prise en charge du diabète en association avec le traitement médical. Généralement l’enquête alimentaire met en évidence quelques erreurs que l’on va modifier, le plus souvent dans le sens d’une restriction des apports.

Dans le diabète de type 1, qui touche des sujets jeunes, à un âge ou apparaissent également certains troubles des conduites alimentaires, cette prise en charge nutritionnelle peut avoir un écho particulier, notamment chez des jeunes filles qui trouvent là une justification médicale aux restrictions alimentaires qu’elles auraient voulu s’imposer. Comme l’anorexie mentale est caractérisée par un profil psychologique particulier conjuguant maîtrise, perfectionnisme et persévérance, les conseils alimentaires donnés par le diabétologue vont servir de déclencheur. Ce ne sont en aucun cas les conseils nutritionnels qui peuvent créer une anorexie. L’anorexie mentale touche 0,5 % des 15-25 ans et elle est rare dans le cadre d’un diabète de type 1. Son diagnostic est généralement facile devant la perte de poids et l’aménorrhée secondaire.

D’autres troubles des conduites alimentaires (TCA) sont moins typiques. Il en est ainsi des crises de boulimie avec vomissements au cours desquelles le poids reste stable, les vomissements permettant de compenser les consommations alimentaires excessives. Il peut s’agir également d’épisodes de boulimie nocturnes sans vomissements aboutissant à une prise de poids progressive qui doit alerter le médecin, sachant toutefois que cette dernière est fréquente chez les patients sous insuline. C’est donc une difficulté diagnostique. Enfin le dernier signe d’alerte réside dans les oublis récurrents d’insuline qui permettent aux patientes de maîtriser leur poids par la polyurie associée à la glycosurie. Ces omissions d’insuline sont certes elles aussi banales puisqu’elles concernent jusqu’à 30 % des diabétiques, mais elles doivent éveiller l’attention, notamment chez les jeunes filles.

Les TCA majorent le risque de complications du diabète de type 1. C’est un fait bien établi pour la rétinopathie, les neuropathies et les épisodes d’acidocétose. Cette information sur les complications est portée à la connaissance des patients, mais l’on sait qu’elle n’a généralement aucun impact chez les adolescents qui sont dans une illusion d’invulnérabilité et dans le déni. L’abord doit donc être de nature psychologique visant à aider ces patientes à abandonner l’illusion de maîtrise de leur poids. Certains TCA nécessitent une prise en charge conjointe endocrinologique et psychiatrique. Aucun médicament n’a fait la preuve de son efficacité dans les TCA des patients diabétiques, alors que l’on attend beaucoup des thérapies cognitivo-comportementales.

Quant au mécanisme qui sous-tend ces TCA, il tient, chez les diabétiques comme chez les non diabétiques, à la personnalité de la patiente. Dans un monde où pratiquement toutes les adolescentes sont préoccupées par leur poids, seul un très faible pourcentage développe une anorexie mentale. Si l’amorce de l’anorexie mentale nécessite un profil psychologique particulier, différentes hypothèses physiopathologiques ont été avancées pour expliquer l’autoentretien du trouble, dont l’hypothèse morphinique. Cette hypothèse est étayée par l’existence de taux importants de morphine au niveau cérébral chez les anorexiques attestée par l’analyse du LCR et, plus récemment, par les résultats des PET scans cérébraux qui mesurent de manière indirecte le contenu en morphine. Les taux de morphine élevés chez les anorexiques reviennent à la normale lorsqu’elles reprennent leur poids génétiquement programmé.

Le questionnaire SCOFF+2.

En dehors de l’anorexie mentale, le diagnostic de TCA est donc difficile, fondé sur des signes non spécifiques. Dans cette démarche diagnostique, le diabétologue peut s’aider d’une échelle de dépistage, le SCOFF+2, qui comporte sept questions dont deux spécifiques au diabète :

- Pensez-vous être trop gros alors que les autres vous trouvent trop mince ?

- Avez-vous perdu plus de 6 kg en trois mois ?

- Vous inquiétez-vous d’avoir perdu le contrôle de votre alimentation ?

- Vous faites-vous vomir parce que vous vous sentez mal d’avoir trop mangé ?

- Diriez-vous que la nourriture détermine votre vie ?

- Oubliez-vous ou sous-estimez-vous assez souvent les doses d’insuline ?

- Avez-vous une peur panique des hypoglycémies et/ou vous resucrez-vous de façon excessive ?

Deux réponses positives suggèrent l’existence d’un TCA. Mais ce sont souvent aussi les silences, les hésitations dans les réponses qui peuvent orienter vers un TCA et inciter à aller plus avant dans sa recherche.

Le médecin a un devoir de vigilance à la recherche de TCA dans le diabète.

› Dr HÉLÈNE COLLIGNON

D’après un entretien avec le Pr Bruno Estour, CHU, Saint-Étienne.


Source : Bilan spécialistes