En France, avec 9 000 nouveaux cas et 8 000 décès par an, le carcinome hépatocellulaire (CHC) est un des trois cancers de plus mauvais pronostic avec le mésothéliome et le cancer du pancréas (1,2).
Alcool et hépatite C, premiers responsables
Le patient à risque est un homme de plus de 50 ans, ayant une cirrhose dans 90 % des cas. L’alcool est le principal facteur de risque (60 % des cas), suivi du virus de l’hépatite C qui devrait diminuer grâce à l’efficacité des nouveaux antiviraux directs, et de la stéatohépatite non alcoolique (NASH) dont la responsabilité semble augmenter (1,3). Deux études de cohortes, CIRRAL et CIRVIR, ont mesuré prospectivement l’incidence du CHC en cas de cirrhose bien compensée, respectivement alcoolique et virale. Dans CIRRAL, l’incidence annuelle était de 2,9/100 000 habitants (hab) avec une incidence cumulée de 1,8 % à 1 an et 5,2 % à 2 ans (1). Dans CIRVIR, l’incidence cumulée à 4 ans était de 11,6 % (4). L’éradication virale C diminuait significativement l’incidence cumulée à 3 ans (12,7 % en l’absence de réponse virologique soutenue [RVS] vs 5,9 % en cas de RVS) (5).
De fortes disparités régionales
L’incidence du CHC semble avoir augmenté au cours des 40 dernières années, avec un pic entre 70 et 74 ans, sûrement en partie liée à l’amélioration des méthodes diagnostiques et de la prise en charge de la cirrhose. Entre 2007 et 2016, selon les registres des cancers, le programme national de médicalisation des systèmes d’information en santé (PMSI) et les allocations de longue durée, l’incidence annuelle brute de cancer primitif du foie (dont 80 % CHC) est évaluée en France à 22,8/100 000 hab chez l’homme, soit une incidence standardisée sur la structure d’âge de la population mondiale (TSM) de 12,38/100 000 hab. Il existe une grande disparité régionale et départementale (figure 1). Chez la femme, les données d’incidence ne sont pas disponibles sur l’ensemble du territoire mais uniquement dans les régions couvertes par les registres (2).
Chez l’homme et la femme, les taux bruts de mortalité sont respectivement de 18,8 et 6,5/100 000 hab, et les TSM de 9,25 et 2,24/100 000 hab (2). Un traitement curatif est significativement associé à un meilleur taux de survie (30,8 % vs 2,9 % à 5 ans). Cependant, au diagnostic, seuls 25 % des patients peuvent en bénéficier. Le taux de survie globale est évalué à 45 % à un an, 10 à 15 % à 5 ans, avec une médiane de 9,4 mois (1,3,6).
Les données de mortalité ne se superposent pas exactement aux données d’incidence départementales (figure 1). Une étude basée sur le PMSI national qui couvre les données uniquement hospitalières de l’ensemble du territoire, objective une disparité régionale importante suggérant une incidence plus marquée dans le Nord-Ouest alors que l’accès aux traitements curatifs et la survie semblent plus favorables dans le Sud et en région parisienne. Ces inégalités territoriales s’expliquent en partie du fait de l’hétérogénéité des facteurs étiologiques géographiques, l’alcool étant le facteur de risque principal au Nord associé à un diagnostic fortuit ou tardif au stade symptomatique (1,6). Ceci est d’autant plus déplorable qu’à stade égal, le pronostic du CHC compliquant une cirrhose alcoolique est équivalent à celui compliquant une cirrhose virale (7).
Un dépistage bénéfique mais sous-optimal du CHC et de la cirrhose
Malgré les recommandations de dépistage biannuel du CHC par échographie en cas de cirrhose, moins de 20 % des CHC sont découverts au cours d’un programme de dépistage (3). Plusieurs facteurs interviennent, dont l’absence de prescription et d’adhésion du patient au programme, en particulier alcoolique. Pourtant un diagnostic précoce par dépistage augmente jusqu’à 70 % les chances de traitement curatif (4,8). A contrario, une étude française a montré qu’un retard même modéré dans l’organisation du dépistage a un impact négatif significatif sur la médiane de survie (9). En effet, si la médiane de survie était de 53 mois chez les patients ayant un intervalle médian de dépistage de 5,8 mois, elle chutait à 25 mois lorsque l’intervalle était de 10,5 mois (figure 2). Le retard diagnostic est aussi fortement lié au défaut d’identification de la cirrhose, découverte de façon concomitante au CHC dans 25 % des cas (3).
Le rôle de l’expérience
On connaissait déjà l’impact de la multidisciplinarité des réunions de concertations multidisciplinaires sur les décisions thérapeutiques (10). L’autre facteur mis en exergue par l’étude du PMSI est l’impact de l’expérience quantitative de la structure de première prise en charge sur la survie globale. Ainsi, les structures prenant en charge plus de 75 patients par an avaient un meilleur taux de survie que celles prenant en charge moins de 25 patients par an (6).
L’enjeu de demain
Ce sera sans nul doute l’amélioration du dépistage du CHC, qui implique au préalable celui de la cirrhose. Le parcours de soins doit être optimisé. La formation des professionnels de santé, l’application des recommandations existantes et l’éducation des patients cibles, semblent prioritaires. L’intérêt d’élargir le dépistage à d’autres cibles comme la NASH sans cirrhose reste à évaluer.
CHU de Caen
(1) Ganne-Carrié N, Chaffaut C, Bourcier V et al. For CIRRAL Group. Estimate of hepatocellular carcinoma incidence in patients with alcoholic cirrhosis. J Hepatol. 2018 Dec;69(6):1274-83. doi: 10.1016/j.jhep.2018.07.022.
(2) http://invs.santepubliquefrance.fr
(3) Rosa.I, Denis J, Renard P, et al. A French multicentric longitudinal descriptive study of hepatocellular carcinoma management (The CHANG cohort): preliminary results. J Hepatol 2010;52:S231-S232 (Abstract)
(4) Trinchet JC, Bourcier V, Chaffaut C, et al. ANRS CO12 CirVir Group. Complications and competing risks of death in compensated viral cirrhosis (ANRS CO12 CirVir prospective cohort). Hepatology. 2015 Sep;62(3):737-50. doi:10.1002/hep.27743.
(5) Nahon P, Layese R, Bourcier V, et al ANRS CO12 CirVir Group. Incidence of Hepatocellular Carcinoma After Direct Antiviral Therapy for HCV inPatients With Cirrhosis Included in Surveillance Programs. Gastroenterology. 2018Nov;155(5):1436-50.e6.doi: 10.1053/j.gastro.2018.07.015.
(6) Goutté N, Sogni P, Bendersky N, et al. Geographical variations in incidence, management and survival of hepatocellular carcinoma in a Western country. J Hepatol. 2017 Mar;66(3):537-44. doi:10.1016/j.jhep.2016.10.015.
(7) Bucci L, Garuti F, Camelli V, et al. Italian Liver Cancer (ITA.LI.CA) Group; Italian Liver Cancer ITA LI CA Group. Comparison between alcohol- and hepatitis C virus-related hepatocellular carcinoma: clinical presentation, treatment and outcome. Aliment Pharmacol Ther. 2016 Feb;43(3):385-99. doi: 10.1111/apt.13485.
8. Trinchet JC, Chaffaut C, Bourcier V, et al. Groupe d'Etude et de Traitement du Carcinome Hépatocellulaire (GRETCH). Ultrasonographic surveillance of hepatocellular carcinoma in cirrhosis: a randomized trial comparing 3- and 6-month periodicities. Hepatology. 2011 Dec;54(6):1987-97. doi:10.1002/hep.24545.
(9) Costentin CE, Layese R, Bourcier V, et al. ANRS CO12 CirVir Group. Compliance With Hepatocellular Carcinoma Surveillance Guidelines Associated With Increased Lead-Time Adjusted Survival of Patients With Compensated Viral Cirrhosis: A Multi-Center Cohort Study. Gastroenterology. 2018 Aug;155(2):431-442.e10. doi:10.1053/j.gastro.2018.04.027.
(10) Barbare JC, Franco D, André T, et al. Should cases of hepatocellular carcinoma be discussed by non-specialized multidisciplinary team meetings?. Bull Cancer. 2014 Jun;101(6):558-63. doi: 10.1684/bdc.2014.1918.
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