Des interactions à plusieurs niveaux

Hépatite C et troubles psychiatriques

Publié le 05/09/2013
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L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) est une maladie transmissible à fort risque de chronicisation et d’évolution grave en absence de traitement (cirrhose, cancer du foie). L’HCC touche près de 1 % de la population générale. Sa prévalence est plus importante chez les patients usagers de substances psychoactives ou souffrant de troubles psychiatriques.

Cette affection est curable dans 60 % des situations cliniques grâce à un traitement associant une injection hebdomadaire d’interféron pégylé alpha (IFN Peg) et une prise quotidienne de ribavirine pendant 6 mois à un an selon le génotype viral. L’adjonction d’une antiprotéase (IP) permet, pour le génotype 1, de renforcer l’efficacité thérapeutique. Ces traitements nécessitent une surveillance rigoureuse en termes d’effets secondaires (hématologiques, psychiatriques, dermatologiques.) et d’interactions médicamenteuses.

Une cause d’exclusion thérapeutique

Les troubles psychiatriques associés à l’HCC et à son traitement sont fréquents. Ils sont une des causes principales de non-initiation, de mauvaise observance ou d’interruption du traitement anti-VHC. De nombreux patients sont encore « exclus » d’un traitement antiviral optimal pour raisons psychiatriques ou addictologiques alors que leur observance et l’efficacité de ce traitement sont comparables à celles de la population générale dans le cadre d’un soin adapté. L’observatoire français CHEOBS, qui évaluait les facteurs qui conditionnent l’observance chez les patients VHC + montrait que :

- 35 % des patients traités souffraient de troubles psychiatriques ou présentaient des antécédents psychiatriques majeurs (dépression, hospitalisation en milieu psychiatrique, tentative de suicide) à l’initiation du traitement ;

- 62 % des patients inclus avaient été affectés par des effets secondaires psychiques en cours de traitement.

Infection à VHC

Même si le VHC peut, en lui-même, être à l’origine d’effets neuropsychiatriques par des actions directes ou indirectes sur le système nerveux central, son traitement et notamment l’IFN Peg reste le principal responsable de survenue de troubles psychiatriques : le plus souvent troubles de l’humeur ayant des liens complexes avec les troubles bipolaires. Ils peuvent décompenser des troubles psychiatriques préexistants mais aussi survenir chez des patients sans antécédent.

L’irritabilité est un symptôme fréquent qui doit être évalué avec attention. Parfois isolée, elle peut révéler ou masquer un syndrome dépressif, maniaque ou mixte.

La prévalence de la dépression sous traitement est comprise entre 20 et 40 %. La posologie de ribavirine pourrait influencer sa prévalence et son intensité. Il est nécessaire d’en distinguer la tristesse et l’anxiété survenant transitoirement dans les 48 heures suivant l’injection d’IFN Peg. Ces troubles dépressifs sont atypiques associant souvent : tristesse de l’humeur, du sommeil, de la concentration et de l’attention, irritabilité, agressivité, labilité émotionnelle ainsi que fatigue anxieuse avec incapacité à pouvoir se reposer.

Des épisodes dépressifs peuvent aussi s’observer après l’arrêt du traitement et ce, même en cas de bonne tolérance préalable. Leur clinique associe le plus souvent tristesse de l’humeur, asthénie et ralentissement psychomoteur majeur souvent difficiles à traiter.

En fonction de la réactivité émotionnelle, il convient de distinguer les « dépressions hyperréactives » et les « dépressions hyporéactives » particulièrement pertinentes en termes de diagnostic ou d’indication d’un traitement antidépresseur.

Les idées suicidaires pourraient survenir chez 30 % des patients traités sans être forcément accompagnées de passage à l’acte. Ce risque existe durant tout le traitement antiviral et jusqu’à six mois après son arrêt.

Des épisodes maniaques ou mixtes peuvent survenir pendant le traitement INF Peg, après son arrêt ainsi que sous traitement antidépresseur. Lors des états mixtes, le risque suicidaire est majoré et peut être aggravé par la prescription d’antidépresseurs. Ces épisodes peuvent s’appréhender comme de simples effets secondaires mais sont à considérer comme potentiellement révélateurs d’un trouble bipolaire.

Des patients peuvent aussi présenter isolément des troubles cognitifs ou des troubles délirants non spécifiques. Si l’arrêt du traitement permet le plus souvent une régression des symptômes, ceux-ci peuvent parfois persister. Néanmoins devant tout syndrome délirant, un trouble de l’humeur est à envisager en première intention.

Ces troubles sont « dose-dépendants », surviennent le plus souvent au premier trimestre mais peuvent apparaître tout au long du traitement et jusqu’à 6 mois après son arrêt. Ils seraient plus fréquents chez les patients souffrant de troubles psychiatriques, ayant déjà connu des troubles psychiatriques sous traitement antiviral et chez les femmes (en particuliers avec antécédents dépressifs). Ils peuvent faciliter des troubles des conduites sociales, des conduites addictives ou des passages à l’acte médico-légaux. L’impact des IP sur la prévalence et la nature de ces troubles psychiatriques n’a pas été évalué et nécessite une vigilance particulière.

Prise en soins

Après avoir proposé systématiquement le dépistage conjoint VIH/VHC/VHB et vérifié l’immunité vaccinale contre le VHB, il convient de réaliser le bilan initial de l’infection par le VHC (PCR virale, génotype) et d’orienter l’usager vers des centres référencés.

Il faut évaluer la stabilité psychique et les conduites addictives à l’aide d’autoquestionnaires comme le Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI), l’AUDIT (usage d’alcool) ou le CAST (usage de cannabis), ainsi que l’équilibre d’un traitement de substitution aux opiacés.

Un entretien conjoint avec l’entourage proche s’avère utile pour faciliter une information partagée sur les effets secondaires du traitement et sur les modalités de contact des personnes ressources.

En cours de traitement et jusqu’à 6 mois après son arrêt, il est nécessaire de surveiller au sein d’un réseau de soins transdisciplinaire systématisé :

- L’évolution des troubles du sommeil, de l’humeur, du caractère et des conduites addictives (qui sont de bons marqueurs de l’évolutivité d’un équilibre psychique)

- Le risque et l’urgence de la dangerosité suicidaire à l’aide de l’échelle spécifique du MINI.

La prescription des psychotropes devra se réaliser rigoureusement en fonction de la clinique émotionnelle (pas d’antidépresseur en première intention en cas d’hyperréactivité émotionnelle) et des interactions médicamenteuses en particulier avec les cytochromes P450 3A4/5 et 3A4 en cas de prescription d’IP ou d’antirétroviraux (si co-infection VIH). La consultation de sites internet comme www. hep-druginteractions. org ou www.Pharmacoclin.ch peut s’avérer utile.

Les recommandations de l’AFSSAPS qui ont bien établi les conduites à tenir avant, pendant et après le traitement antiviral restent un référentiel pertinent.

Pour en savoir plus:

1-Lang JP. Schmitter S. Benassi S. Michel L. Prise en charge de l’hépatite chronique C : une urgence psychiatrique ? L’information Psychiatrique.2009 ; 85 :1-11

2-AFSSAPS. Mise au point thérapeutique. Evaluation et prise en charge des troubles psychiatriques chez les patients adultes infectés par le virus de l’hépatite C et traités par (peg) interféron alfa et ribavirine. Mai 2008.

3-Lang JP. Melin P. Ouzan D. Rotily M. Fontanges T. Marcellin P. Choustermann M, Cacoub P. CHEOBS study group. Pegylated inteferon alpha 2b plus ribavirin therapy in patients with hepatitis C and psychiatric disorders . Results of a cohort study. Antiviral Therapy 2010. 15(4) : 599-606.

4-Lang JP. Michel L. Melin P. Schoeffler M. Gauchet A. Cartier V. Rousseaux C. Henry C. Prise en charge des troubles psychiatriques et des conduites addictives chez les patients atteints d’hépatite C en France. Gastroentérol Clin Bio. Janvier 2009 ; 33 : 1-7

Psychiatrie, VIH et hépatite . Quels enjeux de sante publique? Quels enjeux pour la psychiatrie? Jean Philippe Lang Masson 2009

243 pages 40 euros

Drs Jean-Philippe Lang (1), Aviva Veron (1) Michel Doffoel (2) (1) Pôle de Psychiatrie et d’Addictologie, Centre Hospitalier d’Erstein, France (2) Pôle de référence Hépatites , Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, France

Source : Le Quotidien du Médecin: 9260