Fortement relayés par les médias et surtout par les réseaux sociaux, les régimes d’exclusion débordent des rayons alimentaires pour investir les modes de vie, avec les « sans-se-laver », « sans-s’habiller »… Le même scénario attire à chaque fois des foules d’adeptes : haro sur un produit, une substance, un comportement, qui empêcherait de bien vivre. Enjeu : se soigner individuellement, en dehors des chemins médicaux scientifiquement balisés. « Le Quotidien » propose un état des lieux de ces « sans-sans », en deux temps : intox/détox.
Intox aux fructose, sorbitol, lactose et céréales ?
Dans les nombreuses publications, livres et articles qui lui sont aujourd’hui consacrés, l’argumentaire du régime FODMAPS revendique le traitement des douleurs, ballonnements, diarrhées ou constipation, flatulences, gargouillements et autres borborygmes, symptômes divers et inconfortables du syndrome de l’intestin irritable, ou colopathie fonctionnelle.
C’est le petit dernier des régimes dits d’exclusion ou de restriction (on parle des régimes sans FODMAPS ou pauvres en FODMAPS), très en vogue dans les pays anglo-saxons et qui prend son essor en France depuis deux ans.
Ses inventeurs sont deux gastro-entérologues américains (les Drs Jones et Hunter, Hôpital Addembrookes), qui publièrent en 1982 une étude dans le Lancet dont les résultats extraordinaires firent – et continuent de faire – bien des vagues : « Ils ont découvert, raconte le gastro-entérologue Pierre Nys, qu’en supprimant certains nutriments, près de 70 % des patients voyaient leurs symptômes côlon irritable diminuer. Et si ces patients persistaient dans ce régime, ils étaient même 90 % à ne plus se plaindre d’aucun symptôme au bout de deux ans. »
En 2005, la nutritionniste australienne Sue Shepherd (Université Monash, Australie) inventait l’acronyme barbare FODMAPS, pour Fermentable by colonic bacteria Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols. Le régime sans fructose, sorbitol, produits laitiers et céréales, nutriments mal digérés dans le côlon et occasionnant une fermentation aux effets douloureux, bruyants et malodorants, était né.
Une étude australienne signée du Pr Peter Gibson (université Monash) reprenait en 2013 toutes les publications sur le sujet, validant les effets bénéfiques de ce nouveau régime*. L’an dernier, le premier essai clinique randomisé mené aux États-Unis par l’université du Michigan (Pr Shanti Eswaran) montrait que le régime sans FODMAPS pouvait « non seulement améliorer les symptômes, mais aussi la qualité de vie des patients ayant un syndrome du côlon irritable » (« le Quotidien » du 24 juin 2016).
Bref, le Graal du mal au ventre ? C’est la conviction du Dr Nys, qui titre carrément son livre « Plus jamais mal au ventre avec le régime FODMAPS » (Leduc Éditions). A l’en croire, les avantages psychologiques sont nombreux pour ses patients : leur humeur redevient stable, ils dorment mieux, sont plus performants au travail, leur compagnie est plus agréable. Et l’attaché de l’AP-HP n’hésite pas à leur prescrire en première intention ce « secret pour retrouver un bon confort digestif ».
Détox
Mais combien de patients sont réellement concernés par ce régime, s’interroge le Pr Jean-Marc Sabaté, gastro-entérologue (Hôpital Avicenne), chercheur à l’INSERM, qui ne lui consacre que quelques pages dans son livre « Intestin irritable, les raisons de la colère » (Larousse). C’est quand même la première question à documenter avant d’envisager une prescription. Or aucune étude n’a jamais été réalisée pour étudier les facteurs prédictifs d’une population vraiment concernée selon leur microbiote. »
Le Pr Sabaté va donc lancer une enquête en ligne sur ce sujet à la rentrée prochaine. Ses résultats sont d’autant plus attendus que les modes alimentaires en France sont différents de ceux des pays anglo-saxons (avec notamment une plus forte consommation de pain), les seuls à avoir publié à ce jour sur les FODMAPS.
Une autre objection est liée à la mauvaise compliance. Le régime nécessite une éducation complexe pour savoir reconnaître les FODMAPS et évaluer leur importance dans de nombreux aliments. Une étude néo-zélandaise a du reste montré que la parfaite adhésion au régime ne concernait que 12,2 % des patients. En l’état, comme beaucoup, le Pr Sabaté ne le prescrit donc pas en première intention. « Quand je le conseille, observe-t-il, un quart de mes patients se déclarent très satisfaits, un score bien inférieur à celui vanté par les études australiennes. »
Mais la mode est lancée. Généralistes et spécialistes sont de plus en plus questionnés à son sujet. Et, « comme toujours avec les modes, déplore le Pr Sabaté, de nombreux malades en quête de solution miracle s’essayent au sans FODMAPS sans consulter. Quitte à appauvrir leur microbiote, ce qui n’est pas anodin pour la suite. »
* (Am J Gastroenterol 2013; 108:707–717; Short-Chain Carbohydrates and Functional Gastrointestinal Disorders. Susan J Shepherd, Miranda C E Lomer, Peter R Gibson.)
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