Alors que des mécanismes comme les anomalies du microbiote ou notre deuxième cerveau sont souvent mis en avant, on évoque moins l’influence des facteurs psychologiques qui peuvent directement impacter notre premier cerveau, le seul digne de réflexion jusqu’à ce jour…
La pandémie comme terrain d’étude
Face aux circonstances expérimentales de stress multidimensionnel lié à la pandémie de Covid-19 (peur d’être infecté où de contaminer ses proches, conditions de vie d’un confinement strict, craintes financières immédiates ou à long terme), il était logique d’étudier ses effets sur nos patients. Ce fut l’objectif d’une étude française, réalisée au plus fort de la première vague parmi 232 participants avec un SII (de l’association française de patients avec SII) et 72 sujets sans SII. Les caractéristiques sociodémographiques et de confinement étaient similaires dans les deux groupes (1). Le questionnaire en ligne comportait des questions sur les données sociodémographiques, les conditions de confinement, les activités réalisées, les caractéristiques du SII, la mesure du niveau de stress, des conséquences sur le sommeil, la fatigue, l'anxiété et la dépression, ainsi que sur la qualité de vie (perçue comme spécifique et non spécifique au SII).
L’étude a montré que le stress de la pandémie et du confinement était perçu dans ses différentes composantes de la même manière par les deux groupes. Le stress le plus important était celui lié à la peur d’être infecté ou de contaminer ses proches, devant les contraintes du premier confinement et les craintes financières (moins importantes à cette époque dû aux aides de l’état et au chômage partiel). Cependant, les conséquences de la pandémie et du confinement étaient supérieures chez les patients avec un SII, en termes d’anxiété sévère (52 % versus 16 %), de dépression (38 % versus 12 %), de fatigue, d’aggravation des troubles du sommeil et d’effet sur la qualité de vie. Ceci peut être lié à un défaut dans les stratégies d’adaptation au stress (coping), présent chez les patients, comme démontré dans plusieurs études. D’autres essais menés dans différents pays vont dans le même sens. Par ailleurs, une étude prospective anglaise, interrogeant en ligne 807 patients avec un SII suivis pendant 12 mois, a souligné le lien entre plusieurs comorbidités psychologiques (anxiété en rapport ou non avec les symptômes digestifs, dépression, somatisation, stress perçu) et l’effet sur la sévérité du SII (29 % de formes sévères en l’absence de comorbidités versus 72 % en leur présence). Elles étaient aussi prédictives à un an de la sévérité du SII et de la consommation de soins (2).
Une hypersensibilité viscérale due aux infections
Un lien entre infection digestive et douleurs abdominales provoquées par l’alimentation a été mis en évidence dans une étude, récemment publiée, menée par le groupe de recherche de Louvain (3). En combinant des modèles animaux et des données chez les patients, les auteurs ont montré qu’une infection bactérienne ou des toxines bactériennes (comme l’entérotoxine B du staphylocoque) peuvent déclencher une perte de tolérance orale aux antigènes d'origine alimentaire. Cela conduit à une hypersensibilité viscérale (diminution des seuils de sensation) et à des douleurs abdominales lors d'une réexposition ultérieure à l’antigène. Cette hypersensibilité viscérale est due à la liaison et la sensibilisation par des IgE spécifiques (produites pendant la perte de tolérance) de mastocytes résidant dans la paroi du tube digestif. Lors d'une nouvelle exposition à l'antigène alimentaire, ces derniers libèrent des médiateurs capables de sensibiliser les neurones afférents via une voie médiée par les récepteurs de l’histamine de type 1 (H1R). Par ailleurs, ces mêmes chercheurs avaient déjà montré, chez des patients hypersensibles, l’efficacité sur la douleur de l’ebastine (anti-H1) à une dose deux fois supérieure à celle utilisée dans les rhinites allergiques (4).
Du nouveau dans la transplantation fécale ?
Après des résultats discordants, une étude norvégienne publiée en 2020 a été menée avec un donneur unique pouvant être qualifié de « super donneur » (5). Il s’agit d’un homme de race blanche de 36 ans, athlétique (cinq heures de sport/semaine), non-fumeur, sans traitement, né par voie basse, allaité, n’ayant reçu des antibiotiques que trois fois dans sa vie, avec un IMC de 23,5 kg/m², un régime normal mais prenant des compléments alimentaires (riches en protéines, vitamines, fibres et minéraux). Cette étude a randomisé 165 patients avec des formes de SII de sévérité moyenne ou élevée, et différents types de transit. Ils recevaient en une seule fois par gastroscopie soit un placebo (leurs propres selles), soit 30 ou 60 grammes de selles congelées venant du donneur (normobiotique mais avec une surreprésentation de certaines espèces bactériennes commensales ne contribuant pas à la dysbiose). À trois mois, une diminution de 50 points du score de sévérité (objectif principal) était observée chez 77 % et 89 % des patients ayant reçu 30 et 60 grammes de selles du donneur, versus 23 % avec le placebo. De plus, une amélioration des scores de fatigue, de qualité de vie et une modification du profil du microbiote des receveurs ont été rapportées à un mois. D’après une publication plus récente (6), le bénéfice se maintient à un an, avec seulement 13 % de rechute chez les répondeurs initiaux, et même s’améliore avec 46 % de rémission complète (IBS-SSS < 75). Ces résultats impressionnants semblent liés à une modification, à un an, d’un groupe de neuf bactéries. Ils s’accompagnent d’une réorientation des processus de fermentation, avec une augmentation de la production d’acide butyrique et une diminution de l’acide acétique. Reste à trouver un tel donneur pour tous nos patients !
Service de Gastroentérologie, Hôpital Avicenne, AP-HP, Bobigny.
(1) Sabate J-M et al. Ethics Med Public Health. 2021 Sep;18:100660.
(2) Goodoory VC et al. Am J Gastroenterol. 2021 Apr 6.
(3) Aguilera-Lizarraga J et al. Nature. 2021 Feb;590(7844):151–6.
(4) Wouters MM et al. Gastroenterology. 2016 Apr;150(4):875-87.e9.
(5) El-Salhy M et al. Gut. 2020 May;69(5):859–67.
(6) El-Salhy M et al. Neurogastroenterol Motil Off J Eur Gastrointest Motil Soc. 2021 Feb;33(2):e13983.
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