Médecin de santé publique de formation, et professeure de sociologie à l'université de Montréal au Canada, Estelle Carde estime que la race, bien que sans fondement génétique, demeure une catégorie scientifique opératoire dans les sciences sociales.
« La race en génétique ne fait pas sens. Mais en tant que catégorie sociale, inscrite dans des rapports de pouvoir (c'est en son nom que sont discriminés des individus), elle est scientifiquement pertinente », explique-t-elle au « Quotidien ». « Cette notion est souvent naturalisée, vue comme une catégorie biologique, alors qu'en réalité, est socialement construite et correspond à une certaine façon de voir les choses, à une époque et dans une société données », précise-t-elle.
En épidémiologie
Estelle Carde défend l'intérêt d'étudier la race en sciences politiques, en épidémiologie et en sociologie. En termes d'action politique aussi, cette notion est pertinente pour mesurer les discriminations dont sont l'objet des individus du seul fait qu'ils sont catégorisés, par exemple, comme noires ou arabes. « S'en tenir au nom de famille ou au lieu de naissance conduit à ignorer les discriminations subies par certains du fait de leur couleur de peau, bien que nés en France ou portant un nom de famille sonnant français », souligne la médecin-sociologue.
Dans une visée épidémiologique, la notion permet d'appréhender les conséquences des discriminations sur la santé. « Elles agissent sur la santé des individus de différentes façons : en rendant plus difficile leur accès à des ressources utiles à la santé (des revenus, un logement, des soins, etc.) mais aussi en affectant leur bien-être, quand ils perçoivent qu’ils sont victimes d’actes hostiles », explique le Dr Carde.
Introduire la catégorie raciale permettrait aussi de préciser certains résultats épidémiologiques. Par exemple, une étude a montré la surmortalité maternelle chez les femmes originaires d'Afrique Subsaharienne dans les maternités françaises (5,5 fois plus importante que chez les Françaises). « On peut émettre l'hypothèse qu'elles connaissent moins bien le système de soins et qu'ayant des difficultés à s'exprimer, elles sont moins bien traitées. Mais on peut aussi supposer qu'elles sont victimes de discriminations fondées sur leur couleur de la peau, indépendamment de leurs antécédents migratoires et de leur nationalité. Pour tester cette seconde hypothèse, il faudrait pouvoir comparer la mortalité des femmes noires à celle des femmes blanches », développe Estelle Carde.
Estelle Carde critique certains courants de la recherche américaine en épidémiologie qui tentent d’expliquer les différences de santé entre les Noirs et les Blancs par des différences génétiques.
Pour illustrer l’impasse de ce raisonnement, on peut prendre l’exemple de la drépanocytose, maladie génétique présentée volontiers comme la « maladie des Noirs ».
Dans cette maladie, la présence d’un gène (en situation d’homozygotie) suffit à l’expression de la maladie. Ce gène est de plus particulièrement fréquent chez certaines populations géographiquement circonscrites. Il a en effet été sélectionné chez les populations longtemps exposées au paludisme parce que le portage hétérozygote protège de cette parasitose. Certaines régions impaludées étant situées en Afrique subsaharienne, les individus d’ascendance africaine ont aujourd’hui une probabilité particulièrement élevée d’en être porteurs. Il y a donc bien une association entre une origine géographique (Afrique subsaharienne), et donc une couleur de peau (noire) et un risque de maladie (la drépanocytose). Cependant, il faut la relativiser parce que ce gène a aussi été sélectionné dans d’autres régions impaludées (ailleurs qu’en Afrique subsaharienne) et parce que les individus classés comme Noirs aujourd’hui aux États-Unis ont des ascendances multiples (et pas uniquement africaines). Ainsi, la race a une valeur prédictive réelle, mais limitée, pour la probabilité de développer la drépanocytose.
Cancers, diabète, hypertension
Or cette valeur est bien plus limitée encore pour toute une série de maladies complexes, pour lesquelles n’ont pas été identifiés de gènes responsables et encore moins les raisons pour lesquelles ces gènes auraient été sélectionnés dans les populations où ces pathologies s’avèrent plus répandues. C’est notamment le cas pour l’hypertension artérielle, les cancers ou encore le diabète, plus fréquents chez les Noirs que chez les Blancs : on imagine mal comment les Noirs pourraient concentrer autant de mutations génétiques délétères pour expliquer ces excès de risque.
Enfin, Estelle Carde regrette les réticences de certains sociologues français à utiliser la notion de race. « Cette catégorie sociale est utile pour comprendre la société et les rapports de pouvoir qui s'y jouent », conclut-elle.
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