Le secteur des naissances est à risque de survenue d’évènements indésirables associés aux soins (Eias). Il est d’ailleurs régulièrement inspecté par les experts de la Haute Autorité de Santé (HAS) lors de la visite de certification des établissements de santé (ES)… mais aussi par ceux des assureurs de ces établissements.
Au cours d’une hospitalisation, les usagers sont pris en charge par différentes équipes de soins. Depuis plus de vingt ans, on sait que l’amélioration du travail en équipe permet celle la sécurité de la prise en charge des usagers. Les organismes agréés pour l’accréditation des médecins et des équipes médicales soulignent qu’une part importante des Eias graves sont dus à des problèmes de dysfonctionnement de l’équipe et, notamment, à une mauvaise communication entre les professionnels. Par ailleurs, travailler dans une équipe où l’ambiance et la communication sont bonnes participe à la qualité de vie au travail, et donc à la celle de la prise en charge des usagers.
Déterminant de la qualité et de la sécurité des soins
La HAS a repéré dans la littérature quatre familles de déterminants de la qualité et de la sécurité des soins en établissement de santé en France (1) : les ressources matérielles (architecture, équipements et systèmes d’information), humaines (compétence des professionnels, effectifs et charge de travail, continuité des soins, stabilité des équipes et volume d’activité), l’organisation des équipes de soins (facteurs de gouvernance et de culture, travail en équipe, mise en œuvre des bonnes pratiques cliniques, pertinence des soins, approche centrée sur le patient et engagement des usagers, évaluation et démarches d’amélioration de la qualité de la prise en charge des usagers, gestion des risques et qualité de vie au travail), et la coopération des équipes de soins (au sein de l’ES, du territoire, et optimisation du parcours de soins).
On constate que la communication au sein des équipes intervient au niveau de chacune des quatre familles listées par la HAS.
Son importance est aussi soulignée dans les trois chapitres de son manuel de certification (2). Ainsi, dans le chapitre I portant sur le patient, la HAS rappelle que les « futurs parents discutent d’un projet de naissance avec l’équipe soignante ». Cette discussion doit être tracée dans le dossier. Dans le chapitre II portant sur l’équipe de soins, il est attendu que « la pertinence des décisions de prise en charge est argumentée au sein de l’équipe », « le dossier du patient est complet et accessible aux professionnels impliqués », « au bloc et dans les secteurs interventionnels, la check-list ‘sécurité du patient’ est utilisée de manière efficace. » De nombreux autres critères portent sur la coordination entre professionnels. Le chapitre III, concernant l’établissement, comporte différents critères impliquant une bonne communication au sein des équipes : « l’ES soutient une culture de sécurité des soins », « la gouvernance impulse et soutient des démarches spécifiques d’amélioration du travail en équipe », « les risques numériques sont maîtrisés », « l’accréditation des médecins et des équipes médicales est promue dans l’établissement », etc.
Un dossier structuré et utile à tous
Que l’équipe soit importante ou non, en nombre de professionnels — d’autant qu’un turn-over de médecins existe —, la bonne coordination du patient passe d’abord par un dossier médical structuré de qualité. Il peut être sous forme papier ou, de plus en plus, numérique. L’informatisation permet un travail en réseau avec les professionnels d’amont et d’aval de la maternité. Elle peut aussi inclure des aides à la décision, des contrôles à la saisie des données, l’export de documents, l’export à la base de données de l’Association des utilisateurs de dossiers informatisés en pédiatrie, obstétrique et gynécologie (Audipog*), proposant une comparaison avec les maternités participantes, etc.
Malheureusement, et malgré les travaux nationaux de l’Audipog, les systèmes d’information ne répondent pas aux attentes des utilisateurs (dossier patient institutionnel ne correspondant pas à un dossier de spécialité de qualité, dysfonctionnements divers, etc.), voire participent à dégrader la qualité de vie au travail.
Aménager le temps
Pour communiquer, il faut prévoir des temps d’échange entre les professionnels : relèves entre équipes, staffs médicaux de revue des actes programmés, analyse quotidienne en équipe des accouchements et urgences des dernières 24 heures, staffs scientifiques pour discuter des dernières recommandations, staff qualité, pour le suivi des évaluations de pratiques médicales et du plan d’action d’amélioration du service, etc.
Une communication interne efficace peut passer par e-mails, un petit journal local pour diffuser les nouveaux protocoles ou leur mise à jour, etc. Il ne faut pas oublier l’accueil des nouveaux arrivants, notamment des internes. Il est donc important d’avoir du temps dédié à la communication au sein des équipes.
Devenir manager
Il est tout aussi nécessaire que les chefs de service aient une formation à la gestion des équipes. Ils doivent veiller à permettre l’expression de tous, dans un respect mutuel en se gardant d’une attitude tyrannique, véritable barrière à une communication de qualité au sein des équipes. Ainsi, de nombreux accidents d’avions sont survenus du fait d’un excès de hiérarchie dans le cockpit, du pilote sur le copilote (3). À l’opposé, les porte-avions et sous-marins nucléaires occidentaux sont considérés comme des organisations très fiables. Beaucoup d’officiers enlèvent leurs galons car dans un tel bâtiment, l’essentiel n’est pas la hiérarchie, mais la coopération au sein de l’équipage et la collégialité.
Amalberti expose sept principes pour le commandement en sécurité industrielle (4), et cela est applicable à la santé :
1 – « Créer la vision sécurité » ;
2 – « Donner à la sécurité la place qui lui revient dans l’organisation et la gestion, et la piloter au quotidien » ;
3 – « Faire partager la vision sécurité : influencer, convaincre et favoriser la remontée de l’information » : cela englobe, entre autres, de communiquer clairement ;
4 – « Être crédible » : exemplarité et cohérence ;
5 – « Favoriser l’esprit d’équipe et la coopération transversale » : développer les échanges pour résoudre les problèmes de sécurité, assurer des moyens de coordination permettant une vision globale des risques, favoriser le partage des outils et des méthodes, veiller à ce que chacun soit intégré et solidaire, etc. ;
6 – « Être présent sur le terrain pour observer, écouter, communiquer efficacement » : organiser des rencontres régulières avec les différents métiers, repérer les difficultés de mise en œuvre des consignes et rechercher collectivement des solutions, faire un retour aux acteurs concernés des constats sur le terrain, rencontrer les victimes d’accidents ;
7 – « reconnaître les bonnes pratiques et appliquer une sanction juste. »
S’entraîner et se préparer
Pour réduire les Eias, comme dans l’aviation, les équipes doivent s’entraîner lors de séances de simulation en haute-fidélité pour la mère et l’enfant, qui permettent de travailler sur la qualité de la communication via différents scenarii.
La check-list bloc opératoire de la HAS doit être un outil d’échange entre les professionnels et non une formalité renseignée a posteriori. Parmi l’ensemble des méthodes d’évaluation des pratiques professionnelles, la revue de pertinence permet un échange autour du dossier patient. Là encore, cette méthode nécessite du temps.
D’autres démarches qualité et gestion des risques permettent d’échanger au sein de l’équipe, comme l’élaboration ou la mise à jour de la cartographie des risques du secteur de naissances, celle de protocoles, l’accréditation en équipe ou encore le Programme d’amélioration continue du travail en équipe (Pacte).
Un langage plus ou moins explicite
Le dernier niveau concernant la communication au sein des équipes est le contenu même de la communication. Elle peut être verbalisée (explicite ou implicite) ou peu (voire non) verbalisée. Cela peut conduire à des erreurs d’interprétation, et donc à des Eias. De nombreux accidents ont eu pour causes des problèmes de communication : le naufrage du Costa Concordia le 13 janvier 2012 sur les côtes italiennes, ou la catastrophe de l’ascension du sommet K2 en 2008, ont été liés à la diversité des langues présentes (en contexte de langage explicite) (5).
Les causes d’une faible verbalisation sont diverses : désir d’agir vite, croyance que la verbalisation n’est pas utile, peur de donner un avis personnel, réticence de se mettre en avant, et sentiment d’une connaissance mutuelle au sein de l’équipe permettant une coordination silencieuse (5). En aéronautique, l’incitation à la communication est considérée comme un élément fondamental des formations à destination des pilotes. La communication « trois voies » est une méthode de verbalisation qui peut être utilisée en médecine, elle comprend :
1 – Émission du message (clair, complet et précis ; il indique le destinataire et utilise une nomenclature connue) ;
2 – Répétition du message (le destinataire répète le message à l’identique à l’émetteur) ;
3 – Confirmation (l’émetteur confirme que le message a été bien compris du destinataire).
La phraséologie dans le soin est importante pour réduire les risques et devrait faire l’objet d’ateliers de formation obligatoire en obstétrique (6). Ainsi, il faut travailler sur le contenu du message (limiter les acronymes ou sous-entendus, etc.), l’attitude (utiliser le bon ton, etc.) et l’échange (fermer la boucle de communication, prendre en compte le patient, etc.).
Exergue : « De nombreux accidents d’avions sont survenus du fait d’un excès de hiérarchie dans le cockpit, du pilote sur le copilote »
Exergue 2 : « La check-list bloc opératoire de la HAS est un outil d’échange et non une formalité renseignée a posteriori »
CHU de Clermont-Ferrand (1) HAS 2022. Les déterminants de la qualité et de la sécurité des soins en établissement de santé (2) HAS 2020. Manuel et référentiel de la certification des établissements pour la qualité des soins (3) Morel C. Les décisions absurdes. Sociologie des erreurs radicales et persistantes. Éd. Gallimard, 2012, 383 p. (4) Amalberti R. Piloter la Sécurité. Théories et pratiques sur les compromis et les arbitrages nécessaires. Éd Springer, 2014, 141 p. (5) Morel C. Les décisions absurdes III. L’enfer des règles. Les pièges relationnels. Éd Gallimard, 2018. 264 p. (6) Cros J. Mieux communiquer entre soignants : un enjeu majeur de sécurité. Guide de phraséologie médicale. E-books, Éd Arnette, 2018, 102 p.
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