Très offensive. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier la réponse à l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) des Prs Didier Raoult et Philippe Brouqui, respectivement directeur et chef de pôle de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille. Cette lettre de 20 pages, publiée en intégralité sur le blog de « France Soir », fait suite au rapport préliminaire sévère rédigé par l'institution qui mène deux enquêtes sur des activités de recherche menées à l'IHU en dehors du cadre légal. Si la missive comporte des arguments scientifiques, elle comprend aussi de franches accusations contre l'AP-HM et son directeur général.
Rappelons les faits : le 22 octobre dernier, une enquête de « Mediapart » révèle l'existence en 2019 et 2020 d'« expérimentation sauvage contre la tuberculose, provoquant chez plusieurs patients, dont un mineur, de graves complications ». Deux des quatre molécules - utilisées en association - incluses dans le protocole de l’IHU (la sulfadiazine et la minocycline) ne figurent pas sur la liste des antibiotiques autorisés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la tuberculose.
À la suite de ces révélations, l'ANSM a saisi le parquet de Marseille, qui a entamé une évaluation. L'objectif de l'enquête est de vérifier si le Pr Raoult a contrevenu à l’article 40 du code de procédure pénale. Il lui est notamment reproché de ne pas avoir sollicité l'avis d'un comité de protection des personnes. Ce que le Pr Raoult a de nouveau négligé de faire lors de ses travaux sur l'hydroxychloroquine dans le Covid-19.
Dans le même temps, l'agence sanitaire a annoncé le 27 octobre qu'elle allait « diligenter une inspection » au sein de l’IHU marseillais, qui a « continué à délivrer » des traitements contre la tuberculose malgré son refus d'autoriser l'essai à deux reprises, en 2019 et 2020. « Nous considérons que certaines études auraient dû être menées conformément à la législation encadrant les recherches impliquant la personne », avait indiqué l'autorité. Le protocole en question avait été déposé en août 2019, puis retiré un mois plus tard, compte tenu des réserves émises par l'agence.
L'AP-HM prise à partie
L'élément le plus saillant de la riposte des Prs Brouqui et Raoult est le tir de barrage adressé à l'intention de l'AP-HM à laquelle l'IHU est rattaché, et dont les deux médecins raillent « l'endettement hors normes » et « l'état de délabrement ». Ils estiment notamment que le contenu du rapport de l'ANSM est largement imputable à « l'agressivité jusqu'alors inconnue d'un directeur général de l'AP-HM (François Crémieux, NDLR) contre l'institut et le pôle qui sont les plus productifs et les plus bénéficiaires de toute l'Assistance publique ».
La liste des griefs se poursuit. « L'AP-HM est un des rares CHU qui n'ait jamais eu de contrat de pôle, ni de délégation de gestion de pôles. Nous n'avons même pas accès aux CREA (comptes de résultat d’exploitation analytique, NDLR) du pôle ni à sa production de MERRI (missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation, NDLR) depuis des années », enchaînent les auteurs, qui précisent avoir déposé plusieurs plaintes contre l'AP-HM et François Crémieux pour avoir transmis à « Mediapart » des informations sur les malades traités à l'IHU et pour diffamation. « Nous espérons que la CNIL ou la justice se penchera sur le véritable drame de cette affaire qui est la consultation, sans l'accord des patients, de leurs dossiers médicaux, y compris le mien et celui de mon épouse », précise le Pr Raoult.
La question des falsifications non traitée
Par ailleurs, l'ANSM avait constaté, lors de son enquête, plusieurs cas de falsification, à commencer par des avis favorables du comité d'éthique de l'IHU que ne reconnaissaient pas avoir signé ses membres. Ces accusations ne sont pas abordées dans la réponse des deux médecins.
L'AP-HM a aussi mené de son côté une enquête interne rapide face à la « gravité potentielle des faits relatés ». Cette dernière confirme que certains patients traités contre la tuberculose avec la combinaison d'antibiotiques mise en cause ont été « atteints de complications rénales dont au moins un d'entre eux a nécessité une intervention chirurgicale », en l'occurrence des greffes de rein.
Sur ce point-là, les membres de l'IHU mettent en avant leur expertise. Pour eux, « les sulfamides sont les premiers médicaments utilisés contre la tuberculose » et « la sulfadiazine a comme indications les bactéries sensibles ». De plus, ils jugent que les effets secondaires rénaux « étaient inférieurs aux linézolides », tout en étant « réductibles par une bonne hydratation ».
Le caractère interventionnel en question
Les auteurs défendent aussi l'idée qu'une autre de leurs études - la recherche de pathogènes dans les prélèvements fécaux d'étudiants de retour d'un stage en Outre-mer - n'est pas de nature à nécessiter le recours à un CPP, car il s'agirait « d'une étude basée sur le soin courant pour laquelle il n'y a pas lieu qu'il y ait un promoteur ».
Le problème est que l'article L1121-1 du code de la santé publique définit la recherche impliquant la personne humaine comme « une recherche interventionnelle qui comporte une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle ». Or, un prélèvement rectal ou vaginal non motivé par l'état de santé des participants à l'étude de l'IHU répond bien à cette définition. Les auteurs du courrier précisent qu'il a été expliqué aux participants qu'ils avaient un bénéfice direct à accepter le prélèvement, à savoir la découverte éventuelle de bactéries multirésistantes.
Le Pr Raoult ajoute avoir sollicité l'avis du comité d'éthique de l'IHU en 2019. Ce dernier a donné un avis favorable, « sous réserve d'une demande d'avis à un CPP ». Le chercheur a écrit alors cette phrase étonnante : le recours à un CPP « n'avait plus de sens puisque l'étude était terminée ».
Les deux médecins rappellent aussi que des études identiques avaient été qualifiées d'observationnelles par le CCP Île-de-France 4, donc hors loi Jardé, ce qui justifie qu'ils soient passés outre une demande en bonne et due forme.
Concernant l'essai sur l'utilisation de la sulfadiazine, de la minocycline, de la clofazimine et de la pyrazinamide dans la tuberculose, l'ANSM n'avait pas estimé, au cours de sa première enquête, qu'il s'agissait d'un essai clinique. Le Pr Raoult impute sa non-réponse à plusieurs demandes de l'ANSM à l'AP-HM qui aurait supprimé son adresse mail.
Un colloque controversé à l'IHU
Alors que cette lettre à l'ANSM a été rendue publique, le Pr Raoult a ouvert ce mercredi 30 mars un colloque controversé intitulé « Covid-19 : premier bilan des connaissances et des controverses scientifiques ». Cet événement a suscité l'opposition des membres fondateurs de l'IHU, qui ont demandé, en vain, sa « délocalisation ».
Organisé par le collectif Réinfo Covid, le colloque prévoit l'intervention d'une vingtaine de personnalités, dont certaines se sont fait remarquer pour leur position à contre-courant de la communauté scientifique sur l'épidémie.
« La manière de faire de la recherche en maladies infectieuses, c'est de la faire avec les malades au milieu », a asséné le Pr Raoult, regrettant que l'Inserm mène ses recherches loin des hôpitaux et de leurs patients.
Parmi les intervenants, figurent le Dr Laurent Toubiana, participant du documentaire complotiste « Hold-up », ou encore le sociologue du CNRS Laurent Mucchielli, organisateur du colloque, qui a cosigné une étude relativisant l'impact de l'épidémie sur la mortalité en France.
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