« On pense que la neurodégénérescence dans la maladie d’Alzheimer est causée par le comportement anormal du peptide bêta-amyloïde, qui s’agrège pour former des plaques fibrillaires d’amyloïde dans le cerveau des patients. Cette tendance à s’agréger est actuellement considérée comme une activité anormale, qui ne sert aucune fonction et induit des enchevêtrements pathologiques détruisant les neurones, explique au « Quotidien » le Dr Robert Moir, neurochercheur au Massachusetts General Hospital (Charleston). Ce point de vue a guidé les stratégies thérapeutiques et le développement pharmacologique depuis plus de 30 ans, mais nos résultats suggèrent que cette vision est incomplète. Nos données montrent que l’A-bêta appartient à la famille des peptides antimicrobiens qui agissent comme des antibiotiques naturels au sein de notre système immunitaire inné. »
Confirmation in vivo
Les peptides antimicrobiens sont en première ligne de défense contre les pathogènes, agissant comme des antibiotiques à large spectre qui ciblent autant les bactéries que les mycobactéries, virus enveloppés, champignons, protozoaires, et parfois même les cellules cancéreuses. De précédents travaux in vitro du Dr Moir et du Dr Tanzi (MGH) avaient montré que l’A-bêta synthétique possédait une puissante activité antimicrobienne.
La nouvelle étude, publiée dans « Science Translational Medicine », est la première à confirmer cette activité in vivo. Les chercheurs montrent que des souris transgéniques qui expriment l’A-bêta humaine survivent plus longtemps en cas de méningite à Salmonella typhimurium, comparées aux souris non modifiées ou aux souris dépourvues de la protéine précurseur de l’amyloïde (APP). L’expression transgénique de l’A-bêta protège également le ver C elegans contre des infections à Candida ou à Salmonella, et protège aussi des neurones en cultures contre le Candida. De fait, l’A-bêta exprimée dans les cellules vivantes montre une activité antimicrobienne mille fois supérieure à celle de l’A-bêta synthétique observée dans les précédentes études.
Cette activité protectrice de l’A-bêta est liée à son oligomérisation, ont constaté les chercheurs. Les oligomères d’A-bêta se fixeraient à la membrane cellulaire des microbes et empêcheraient leur adhésion aux cellules hôtes, et les fibrilles d’A-bêta agrégées piégeraient les microbes non attachés. « Dans notre nouveau modèle, la maladie d’Alzheimer pourrait se développer lorsque le cerveau se perçoit attaqué par un pathogène invasif. Toutefois, souligne bien le Dr Moir, il reste à savoir si l’amyloïdose est déclenchée par une véritable infection ou seulement un stimulus inflammatoire stérile. »
Nouvelles pistes thérapeutiques
Un avis partagé par le Dr Tanzi, directeur de l’Unité de génétique et vieillissement du MGH-MIND, qui cosigne l’étude : « Bien que toutes nos données reposent sur des modèles expérimentaux, la prochaine étape importante sera de rechercher des microbes dans le cerveau des patients Alzheimer qui aient pu déclencher le dépôt d’amyloïde, une réponse protectrice mais conduisant par la suite à la mort neuronale et à la démence. Si nous pouvions identifier des coupables - bactéries, virus ou levures - nous pourrions les cibler thérapeutiquement pour une prévention primaire de la maladie. »
« Dans tous les cas, notre découverte devrait avoir un impact sur la direction des stratégies thérapeutiques. Les voies inflammatoires du système immunitaire inné offrent des cibles potentielles pour moduler les effets néfastes à long terme associés aux actions antimicrobiennes de l’A-bêta. » De plus, « nos résultats, s’ils sont confirmés, justifieraient d’être prudent avec les thérapies visant à éliminer l’A-bêta du cerveau pour prévenir ou traiter la maladie d’Alzheimer. Une atténuation plutôt qu’une élimination totale serait une meilleure stratégie », explique au « Quotidien » le Dr Moir.
Les données suggérant par ailleurs « la possibilité que différents pathogènes puissent jouer un rôle dans la maladie d’Alzheimer, un effort concerté s’impose pour analyser systématiquement les microbes (bactéries, virus, champignons) qui pourraient peupler le cerveau vieillissant. Si les futures études montrent qu’une infection infraclinique (comme une méningite) déclenche le dépôt de bêta-amyloïde et la pathologie consécutive, il pourrait être intéressant d’envisager une vaccination contre ces microbes ».
Activités antivirales
Les chercheurs explorent maintenant les activités antivirales de l’A-bêta, en particulier contre l’herpès (VH1). « L’herpès est le pathogène le plus fortement lié à la pathologie de la maladie d’Alzheimer. Nous explorons un modèle dans lequel les agrégats d’amyloïde/virus herpétique induiraient la tauopathie, la seconde caractéristique pathologique de la maladie d’Alzheimer. Une confirmation de ce modèle établirait un lien séquentiel entre l’immunochallenge, le dépôt de bêta-amyloïde, et la tauopathie », confie le Dr Moir.
Et de conclure : « Il n’existe aucun traitement efficace de la maladie d’Alzheimer. Il est urgent de reconsidérer les approches actuelles et d’en explorer de nouvelles. Nous pensons que nos résultats constituent un pas majeur dans cette voie ». Ce nouveau concept pourrait-il concerner d’autres amyloïdopathies, parmi lesquelles figure le diabète ? La question est posée pour les futures études.
Science Translational Medicine, 25 mai 2015, Kumar et coll.
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