Les centres d'accueil pour publics précaires récupèrent après une année éprouvante

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Publié le 11/06/2021
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Le barnum dressé à l'entrée est un signe extérieur des désagréments traversés par l'espace solidarité insertion installé dans les anciens locaux de l'hospice saint Michel à un jet de pierre du périphérique parisien. En ce jour pluvieux de mai, il sert d'abris au sans domiciles fixes de passage, mais à l'origine, il devait permettre d'accueillir ceux qui n'avaient plus le droit d'entrer dans les locaux, épidémie de Covid-19 oblige. Située à proximité du bois de Vincennes, la « Maison dans le Jardin » gérée par le SAMU social de Paris propose un lieu de repos pour prendre un café, une douche, une laverie, mais aussi et surtout une consultation médicale, des soins infirmiers et les services d'un podologue.

Une des particuliers des lieux, est la présence à l'étage de 30 lits haltes soin santé (LHSS) de nuit destinés aux personnes précaires nécessitant des soins paramédicaux. Les patients prévaires sont admis, par exemple, à la suite d'une opération de chirurgie orthopédique nécessitant une rééducation, ou pour traiter une infection aiguë dont la prise en charge ambulatoire est incompatible avec la vie dans la rue. On croise aussi beaucoup de pathologies chroniques décompensées.

Afin de respecter les gestes barrières, seuls 15 lits ont été maintenus. « On a perdu en capacité d'accueil car il faut non seulement espacer les lits mais aussi garder les nouveaux arrivant 5 jours en chambre seul avant de rejoindre les dortoirs collectifs », explique Armelle Pasquet-Cadre, directrice médicale et soin du SAMU social de Paris.

Confinement et décompensation

Au rez-de-chaussée, les consultations infirmières et médicales voient arriver en moyenne 10 personnes sur les 150 accueillis chaque jour par le centre, parfois repérés lors d'une douche médicalisée. Les motifs de consultation sont variés : beaucoup de dermatoses chroniques, des insuffisances cardiaques, des diabètes, des troubles psychiatrique ou respiratoire ou des dépendances à l'alcool. Ce jour-là, un homme se plaint de troubles ORL : ses oreilles se sont bouchées lors d'un travail sur un chantier.

Au mois de mars 2020, « ces gens se sont retrouvés confinés du jour au lendemain », explique Sylvie Clément, infirmière à l'ESI. Si l'accueil de jour a dû être stoppé, la halte de nuit a poursuivi son activité, afin de maintenir à jour les piluliers des habitués qui les récupéraient à travers la grille de l'entrée. « C'est un bon réflexe qu'on a eu tout de suite, mais on a quand même perdu beaucoup de monde, poursuit Sylvie Clément. Certains ont dû se trouver des endroits où ils pouvaient vivre, et on a mis plusieurs mois à en récupérer.

Détresse psychologique

« Tous les centre médico psychologiques étaient fermés », se souvient pour sa part le Dr Sylvie Salaun, un des médecins qui anime la consultation médicale, « on a assisté à des compensations d'ordre psychologiques très importantes. On a beaucoup d'hépatites et de pathologies digestives, de BPCO et de tuberculose qui ont décompensé. »

Jusqu'en octobre dernier, le fonctionnement du centre était toujours ralenti par la mise en place d'un dépistage obligatoire à l'entrée, de même qu'un protocole de mise en isolement en cas de cas suspect. Le dépistage obligatoire a été levé, dans la mesure ou « Au final, il y a eu très très peu de cas de covid chez les grands exclus, peut être une ou deux suspicions, détaille Sylvie Clément. C'est nous qui sommes tombés le plus malades, mais les personnes précaires font déjà très peu de grippes en temps normal. Ils vivent isolés et sont très résistants. »

Dans les centres d'hébergements parisiens, en revanche, d'avantage de cas furent à déplorer. Parmi les usagers fréquentant les sites de l'association parisienne Aurore, 584 cas ont été confirmés depuis le 30 mars 2020, auxquels il faut ajouter les 339 cas recensés parmi les salariés de l'association, répartis dans une vingtaine de clusters. « Ce qui nous a frappés, c'est qu'on a eu moins de cas graves que l'on en pensait, même si nous avons surtout des gens plutôt jeunes qui ne souffrent pas d'obésité, on était quand même en dessous de ce qu'on observe ailleurs », précise le Dr Cécile Clarissou, de l'association Aurore.

Selon une étude de séroprévalence menée dans les centres d'hébergements par MSF, 60 à 80 % des résidents ont été infectés au cours de la première vague.

Hôpitaux surchargés

L'effet du confinement n'a pas été uniforme pour les SDF parisiens : « certains créent des liens avec le voisinage et ont pu obtenir des vêtements ou de quoi manger, explique Sylvie Clément. Mais pour beaucoup d'entre eux, le confinement a mis fin à toute possibilité de mendicité ».

À l'ESI, les travailleurs sociaux ont dû composer avec les hoquets de la surcharge hospitalière. « Dès la mi-mars, tous les rendez-vous étaient annulés, se souvient Sylvie Clément. En juin, on a dû reprendre tout le suivi, sans avoir le personnel pour y parvenir. En revanche les urgences étaient plus disponibles car en dehors des cas de covid, il n’avait plus d'accidentologie ».

« L'hôpital s'est mis en plan blanc, rappelle le Dr Salaun. Cette priorité au covid a supprimé un grand nombre de rendez-vous. Et quand on annule des rendez-vous avec ces populations-là, on peut ne plus avoir de rendez-vous. Il y a plusieurs grades dans l'exclusion, depuis le SDF qui vit au bois et qui a encore du lien social au grand exclu que l'on ne retrouve pas dans le circuit de soin tant qu'il n'est pas presque mourant. »

Le personnel de l'ESI développe l'aller-vers pour récupérer les sans domicile fixes perdus dans la nature. Depuis le déconfinement, une maraude de jour a été mise en place en vue de retrouver les personnes proches géographiquement du centre mais qui n'ont pas nécessairement conscience de la possibilité de s'y rendre.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin